Pendant que la planète brûle et se noie en même temps selon les endroits, les députés continuent d’enchaîner les diversions politiques. Plutôt que d’agir pour l’urgence climatique, la constitutionnalisation de l’avortement, la fin des mutilations des enfants intersexes, ou encore la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, certains préfèrent débattre et légiférer sur les tenues exigées à l’Assemblée nationale… Cela ne concerne que 577 personnes (215 femmes (37,3 %) et 362 hommes), et monopolise pourtant déjà une partie de l’attention politique et médiatique.
Le 21 juillet 2022, le député des Alpes Maritimes Eric Ciotti (Les Républicains) a tweeté une lettre qu’il adresse à la Présidente de l’Assemblée nationale. Il y réclame « l’obligation du port de la cravate au sein de l’hémicycle du Palais Bourbon pour empêcher que certains députés notamment de la France Insoumise se permettent de porter des tenues de plus en plus relâchées. » :
« Cette question est loin d’être anodine. Le port du costume et de la cravate pour les hommes, au-delà de la nécessaire marque de respect dûe [sic] à nos institutions et à nos compatriotes, permet d’unifier visuellement la représentation nationale et de recentrer les débats sur ce qui importe vraiment : les arguments des uns et des autres. »
Le député de droite souhaite donc une réécriture plus stricte de l’article 9 de l’Instruction générale du bureau. Celui-ci établit que « la tenue vestimentaire adoptée par les députés dans l’hémicycle doit rester et neutre et s’apparenter à une tenue de ville ».
Historiquement, l’expression « tenue de ville » renvoie à un complet veston pour les hommes (c’est-à-dire, une veste, un pantalon, et pourquoi pas un gilet en prime). Elle peut sembler désuète, mais continue d’être employée lors d’événements très institutionnels, par exemple. Il s’agit d’un code vestimentaire occidental.
Aujourd’hui, en ville, tous les hommes ne se baladent pas en costume tous les jours pour le travail ou leurs loisirs. C’est l’une des raisons pour lesquelles le député de la Seine-Saint-Denis Alexis Corbière (La France Insoumise — Nupes) a riposté le 22 juillet 2022 :
« D’abord, nous voudrions souligner que les recommandations de M. Ciotti sont anachroniques. Elles pourraient s’appliquer à un hémicycle exclusivement masculin, mais, ne lui en déplaise, l’Assemblée compte désormais une part significative de femmes et cela est heureux. Formuler des recommandations vestimentaires à la seule attention des hommes renforce l’idée que les femmes seraient des intruses en politique.
En 2022, reconnaissons-le, le port de la cravate n’est plus une « tenue de ville » courante. C’est au contraire la marque vestimentaire d’une catégorie sociale très particulière, généralement les hommes les plus aisés. […] Pour le bien du travail parlementaire, et sa perception dans la société, est-il pertinent de demander aux députés de se singulariser et d’adopter les codes vestimentaires d’une minorité sociale ? Nous ne le pensons pas ».
Alexis Corbière poursuit sa lettre, co-signée par Mathilde Panot (Présidente du groupe La France Insoumise), adressée à la présidente de l’Assemblée nationale en rappelant l’origine du costume-cravate de l’hémicycle : des obligations imposées par le pouvoir royal en 1789. Une tradition contestée au moins depuis 1889. C’est ce qui amène les représentants de LFI à conclure :
« Un adage populaire dit que « ce n’est pas l’habit qui fait le moine ». L’habit ne fait pas le député non plus. Et trop souvent par le passé, il l’a même éloigné du Peuple. C’est là le vrai « relâchement » qui nuit gravement à l’image de l’Assemblée nationale ».
Et au cas où cela ne suffirait pas, le député du Val-de-Marne Louis Boyard (Nupes) en a rajouté une couche le même jour. Il a à son tour écrit une lettre à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet (députée des Yvelines) pour s’insurger du fait que certains députés arborent des costumes-cravates valant plus d’un SMIC : « Il s’agit en l’occurrence d’une forme d’arrogance vestimentaire et comportementale d’un nombre de plus en plus important de députés, en particulier chez LREM, LR et RN. » En creux, on peut aussi comprendre qu’il suggère l’interdiction du port de costumes-cravates dépassant le prix d’un SMIC (même si ce n’est pas stipulé explicitement).
Bref, qu’autant d’hommes s’écharpent à parler chiffon à l’Assemblée nationale rappelle combien l’habit revêt une importance politique, d’une part. Mais aussi combien les femmes s’avèrent aussi exclues de ce genre de débats, alors même qu’elles comptent parmi les premières à être les plus violemment réprimées à cause de leur tenue vestimentaire soi-disant jugée incorrecte sans critère précis. Ce qu’a bien rappelé la députée Marie-Charlotte Garin en arborant en 2022 la fameuse robe inoffensive de Cécile Duflot, qui avait pourtant fait l’effet d’une bombe de sexisme à l’Assemblée nationale en 2012.
Pour enfoncer le clou, les députées LFI sont arrivées en cravate à l’Assemblée nationale le 26 juillet 2022. Parmi elles, Clémence Guetté (Vice-présidente du groupe LFI-NUPES, députée du Val-de-Marne, et responsable du programme l’Avenir en commun) a notamment expliqué son geste sur Twitter :
À lire aussi : Comment la cravate est-elle passée d’accessoire d’hommes puissants à celles d’une jeunesse dégenrée
Crédit photos de Une : Photos de profil Twitter d’Eric Ciotti, Alexis Corbière et Louis Boyard.
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires
Ca veut tout simplement dire que tu ne peux pas accompagner les baigneurs en étant dans ces tenues :