« Un chiffre donné au pif. »
Stéphanie Lamy, cofondatrice du collectif Abandon de famille – Tolérance zéro, en est convaincue : Gérald Darmanin ne sait pas exactement combien de policiers ou gendarmes condamnés pour des faits graves sont encore en exercice, en attente de leur conseil de discipline. Le Ministre de l’Intérieur a en effet estimé que cela ne concernait « une vingtaine d’entre eux par an », dans une interview donnée au Parisien ce dimanche 1er août.
Le 23 juillet, Stéphany Lamy et les membres de son collectif ont lancé une pétition demandant justement au ministre de recenser les membres des forces de l’ordre mis en causes ou coupables de violences intrafamiliales.
« Visiblement, eux-mêmes ne savent pas combien il y en a donc il serait temps de faire une enquête exhaustive sur le nombre de gendarmes et policiers condamnés, ou mis en cause, pour des faits de violences intrafamiliales », explique la co-fondatrice de l’organisme, contactée par Madmoizelle.
Soutenue par douze associations mais aussi par la sénatrice Laurence Rossignol (PS) et l’ancienne sénatrice Maryvonne Blondin (PS) ainsi que par la députée Albane Gaillot (Non inscrite), la pétition vient de dépasser les 23.000 signatures.
Le féminicide de Chahinez Daoud comme élément déclencheur
Tout est parti d’une indignation collective.
Le 20 juillet 2021, Le Canard enchaîné a révélé que le policier qui avait recueilli en mars dernier la plainte de Chahinez Daoud, une femme brûlée vive par son ancien compagnon récidiviste au mois de mai, était condamné à huit mois de prison avec sursis pour « violences habituelles » sur son ex-conjointe.
« Cet élément-clé portant sur les dysfonctionnements de la police a été étouffé par la mission d’enquête interministérielle sur le féminicide de Chahinez Daoud », dénoncent alors les autrices de la pétition.
Le Canard précise que la hiérarchie dudit policier était « parfaitement au courant » de cette condamnation. Ce qui ne l’a pas empêché d’être affecté au bureau des plaintes et de continuer à exercer, en attente de son conseil de discipline.
« Sa hiérarchie n’aurait pas dû le laisser en contact avec le public », reconnaît Gérald Darmanin, interviewé par Le Parisien. Cette évidence qui paraît simple, basique, n’a pourtant pas l’air d’en être une pour tout le monde. « La dissimulation de sa condamnation est typique de l’omerta qui est imposée sur ce sujet-là, notamment par le gouvernement et les syndicats de police », déplore Stéphanie Lamy.
Recenser pour prendre conscience des faits
Pour briser le silence, le collectif Abandon de famille-Tolérance Zéro exige un recensement exhaustif. Stéphanie Lamy nous explique :
« Dans un premier temps, il s’agit de connaître le nombre précis de policiers ou gendarmes mis en causes ou condamnés pour des violences intrafamiliales. Ensuite, on devrait prendre des mesures pour restreindre l’exercice de leur activité, notamment dans le cas du traitement des violences conjugales. »
Dans son interview au Parisien, le ministre de l’Intérieur affirme que ces agents ne doivent plus être en contact avec le public en cas de « condamnation définitive ». « Mais on sait déjà que l’étape du dépôt de plainte est très difficile pour les victimes de policiers ou gendarmes ; ces plaintes ont, en plus, très peu de chances d’aboutir à une condamnation », rétorque Stéphanie Lamy.
Même lorsque c’est le cas, et c’est très rare, les faits ne sont pas nécessairement inscrits dans le casier judiciaire des condamnés. C’est ce qu’il s’est passé pour le policier qui a recueilli la plainte de Chahinez. Stéphanie Lamy clame :
« Connaître l’ampleur de ces violences est pourtant une question de vie ou de mort. Il est indispensable que les victimes ne se retrouvent pas face à des agents agresseurs. »
L’activiste a lancé, en parallèle de la pétition, le hashtag #MeTooFdO pour inciter des victimes à témoigner si elles le souhaitent.
Des violences spécifiques à ces corps de métier
Pour Stéphanie Lamy, la transparence sur les violences commises par des policiers ou gendarmes est d’autant plus nécessaire que celles-ci sont spécifiques :
« Ces personnes sont outillées par l’État et ont en leur possession des armes à feu, des logiciels d’espionnage, etc. Surtout, l’esprit de camaraderie qui règne dans ces corps de métier peut être utilisée pour bâtir une certaine forme d’impunité. »
Dans leur ouvrage Silence, on cogne, la journaliste Sophie Boutboul et Alizé Bernard — elle-même victime de la violence d’un gendarme — avaient mis en lumière cette particularité, comme l’explique la première dans une interview donnée à Libération. :
« Ce qui ressort est la peur exacerbée par une emprise rendue particulièrement étouffante de par la fonction de l’auteur, la détention d’une arme de service et la nature des menaces, toujours très semblables : “c’est moi, la loi”. »
Alors à votre avis, une plainte pour violences conjugales recueillie par un agent lui-même auteur de tels faits a-t-elle toutes ses chances d’aboutir ? Dans le cas de Chahinez, le policier en question avait transmis tardivement la plainte et le document était rempli de manière illisible. Stéphanie Lamy développe :
« Les auteurs de telles violences ont tendance à minorer la gravité de leurs faits et vont d’avantage s’identifier aux autres agresseurs qu’aux victimes. C’est donc une entrave au bon déroulement des procédures judiciaires. »
Des moyens insuffisants, encore et toujours
Dimanche 1er août, Gérald Darmanin a annoncé de nouvelles mesures pour la lutte contre les violences conjugales. Parmi elles, l’instauration d’un délai maximum de trois mois pour la tenue des conseils de discipline visant les agents de police ou gendarmes condamnés pour violences. Stéphanie Lamy commente :
« Pour nous, c’est déjà une aberration d’attendre la décision définitive de ce conseil pour restreindre l’exercice de l’activité de ces agents. La véritable lutte contre les violences intrafamiliales passe par la prévention. »
De manière globale, elle dénonce le manque d’investissement concret de la part du gouvernement :
« Comme toutes les associations, on rabâche que tant que les moyens financiers ne seront pas suffisants, la lutte contre les féminicides et les violences intrafamiliales ne pourra pas avancer ».
On se demande pourquoi Darmanin rechigne tant à mettre la main au portefeuille. Peut-être est-il trop préoccupé par la plainte pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance qui le vise personnellement ?
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Crédit photo : Aloïs Moubax / Pexels
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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