L’image illustrant cet article a été réalisée par Loïc Bouchet
Mardi 8 mars 2017, c’était la Journée internationale des droits des femmes. À cette occasion, j’ai eu le plaisir d’assister à un défilé organisé par Sciences Po Mode, une association de la célèbre filière éponyme.
Ce sont des silhouettes d’élèves d’écoles telles que le LISAA ou les Arts Décoratifs qui ont défilé, devant nous, avec leur propre discours autour du thème de l’empouvoirement.
Deux organisatrices sont derrière cet évènement, Sarah et Lisa, qui n’ont bien sûr pas fait ce choix de thème de manière anodine.
Lisa me raconte qu’elles ne voulaient pas organiser un défilé juste pour faire du spectacle mais qu’il ait du sens. Il avait pour objectif de mettre en avant le concept d’empouvoirement, a fortiori dans une structure qui a encore beaucoup à faire sur la représentation des femmes dans le corps enseignant.
« En 4 ans à Sciences Po (dont une année à l’étranger), j’ai eu deux professeures femmes pour des amphis importants. J’ai parfois eu des semestres sans femmes pour enseignantes. »
Sarah précise encore :
« Nos cours en amphi sont toujours donnés par des hommes à l’exception de quelques-uns, le nom des salles, tout est encore très masculin dans un établissement qui se bat pourtant pour l’égalité homme-femme.
Ces inégalités qu’on voit tous les jours, que parfois on accepte car on n’a pas le choix, on a décidé de les mettre en lumière de manière créative. »
Cette prise de parole, elles ont choisi de la faire à travers un médium auquel on associe rarement le discours politique. Ce défilé avait pour aspiration de montrer que la mode peut jouer un rôle tangible lorsqu’il s’agit de faire passer des messages.
« Ce genre d’évènement soulève des débats, des interrogations. On stigmatise beaucoup la mode qui est pourtant un outil de réflexion à part entière. Ce n’est pas que faire les boutiques chez Zara », précise Lisa.
Sarah ajoute :
« On était assez fières de voir que toute la sphère fashion à Paris, Milan ou New York s’est emparée de cette idée de « fashion empowerment ». Le contexte politique américain joue sûrement beaucoup mais en tout cas, il dévoile aussi des engagements. »
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Défilé autour de l’empouvoirement, quelques silhouettes
Les élèves ont pu montrer les créations de leur collection en cours qui ont été sélectionnées comme répondant au thème du défilé.
Parmi les silhouettes, certaines m’ont frappée plus que d’autres. J’ai donc demandé aux créatrices de me parler un peu plus de leur démarche.
La combinaison d’Elsa Bernini
Elsa a imaginé une combinaison noire ultra-décolletée et fluide. Le thème de ses silhouettes, c’est le clubbing.
« [La collection est] inspirée des week-ends où j’ai travaillé en boîte de nuit pendant plusieurs années et de la période Palace/Studio 54 qui me rend dingue et que malheureusement je n’ai jamais connue ! »
La combinaison est donc confortable, fluide, parfaite pour aller danser. Ce qui retient mon attention, ce sont les motifs de silhouettes de femmes nues que la jeune femme a conçus.
Le scotch glitter souligne le côté dansant de la silhouette, une idée proposée à la mannequin, élève à Sciences Po qui défilait devant ses camarades, pour éviter toute gêne.
La créatrice affirme le côté empouvoirant de sa silhouette :
« Je trouve qu’une fille qui porte ce type de combi, c’est une personne qui s’assume, qui se sent belle, fière, et que ça, ça nous rend puissantes !
Mes dessins sont d’ailleurs des sortes de « bandes de filles », ce qui est également très important pour se sentir bien : un bon noyau d’amies ! »
Le manteau en fausse fourrure de Nelly Carle
Parmi les nombreuses silhouettes qui ont défilé, un manteau chic se glisse dans mon champ de vision. C’est le travail de Nelly. En fausse fourrure, une broderie au fil rose à paillette reprend L’origine du monde de Courbet, avec de la feutrine verte pour un effet gazon sur la vulve.
Nelly m’a éclairée sur sa démarche :
« C’est un travail sur notre rapport avec l’intimité de nos jours. On constate clairement que ça fait quelques générations que la mode déshabille plus qu’elle habille, et qu’elle utilise le sexe pour vendre. »
Nelly pense à Tom Ford ou dernièrement Saint Laurent, pour ne citer qu’eux.
« Je suis quelqu’un d’assez sarcastique, donc ça m’amuse d’utiliser le même langage qu’eux à la différence que l’intimité de la personne qui le porte est camouflée. »
« C’est ma pièce « jeux de mots », des poils et du gazon pour exhiber crûment une intimité ; mais ce dessin d’intimité de Courbet a été vu, revu et catalogué comme art et non sexe ou vulgarité.
Et c’est ce qui m’importe, j’ai envie de remettre les choses dans leur contexte mais en me moquant gentiment. »
La veste brodée de Justine
Avec sa veste au dos brodé et son slogan « Dead Virgins », le travail de Justine m’a interpellée.
« J’ai voulu mettre en scène une des premières icônes féminines (avec tout le symbole de la mère de Jésus) de l’Histoire dans une situation totalement inverse, elle devient donc totalement « dark », dans un mouvement punk qui a des valeurs bien différentes.
Je ne voulais plus la mettre seulement en tant que mère mais en tant que personne à part entière. »
Retrouve ici une vidéo de l’évènement afin de voir toutes les autres silhouettes inspirantes du défilé.
C’est quoi une mode empouvoirante ?
J’ai d’abord été un peu déçue par l’engagement timide (identifiable ou sous-jacent) de la plupart des silhouettes… Avant de me rappeler que justement, l’empowerment pouvait prendre de multiples formes, avec différents degrés de prise de position.
Est-ce qu’une mode empouvoirante respecte ce pour quoi les féministes se sont battues jusqu’à aujourd’hui ? Libérer les femmes des corsets, des jupes tailleur qui entravent la marche ?
D’un autre côté, c’est aussi se sentir plus forte, entendue. À ce compte là, le corset de Jean-Paul Gaultier réalisé pour Madonna avec ses seins coniques n’est-il pas tout aussi empouvoirant ?
J’ai trouvé la question passionnante.
L’avis de Marie (Ypsylone)
Marie, fondatrice d’Ypsylone, la première marque française féministe, affirme qu’il n’y a pas une seule bonne manière de faire une mode empouvoirante.
Elle nous explique que ça peut passer par faire parler les femmes qui ont des choses à dire, montrer plus de diversité, transmettre des messages… Mais aussi refuser de faire teindre son coton à l’indigo là où les ouvrières y laisseront leur santé.
Il n’y a pas un mode d’emploi figé, que des bonnes valeurs à défendre.
Les pensées de Lisa (Sciences Po Mode)
Lisa affirme qu’il n’y a pas un type de mode empouvoirante. C’est la mode toute entière qui l’est. Très introvertie étant plus jeune, le vêtement a constitué un véritable tremplin à sa propre expression.
« Les fringues, la mode, c’était du bidon pour moi. Et puis c’est venu comme ça, sûrement grâce à ma mère qui adore la mode, l’art et le design. Elle me créait des vêtements qui me donnaient confiance en moi. Au fur et à mesure, j’ai utilisé la mode comme un véritable outil d’expression. »
À lire aussi : De la signification sociale des fringues, et mon propre rapport au style
L’opinion de Sarah (Sciences Po Mode)
Pour Sarah, elle pourrait se résumer en un mot :
« C’est une mode libre. Qui permet à la femme de se réaliser en toute liberté, qui s’adapte à sa morphologie, à ses envies, à ses besoins et aux situations où elle veut être forte. »
Un grand bravo à Sciences Po Mode, Sarah et Lisa, ainsi qu’aux étudiantes qui défilaient, aux créateurs et créatrices et aux écoles Agathe Segura pour la coiffure, et School AIM – Atelier Maquillage pour le make-up !
Et toi, raconte-moi un peu, c’est quoi pour toi une mode empouvoirante ?
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Les Commentaires
J'ai tendance à être d'accord avec toi. L'ambition est chouette et les fringues aussi mais quand je vois le pull "never gender", heu, comment dire, on dirait un bon gros message de la Manif pour tous. C'est quoi la démarche, là ? On va se balader avec des pulls Hitler pour lutter contre l'antisémitisme ?
Est-ce que l'empouvoirement ne pourrait pas passer par le fait de dessiner des fringues solides et pratiques ( et peu chères) pour les femmes modeste, qui ne constituent pas l'ultra-élite déjà bien sensibilisée de Sciences Po ? Est-ce que ça ne pourrait pas passer par des ateliers en milieu scolaire pour expliquer aux jeunes la subjectivité des codes vestimentaires ?
Parce que là, c'est de la production d'élite qui s'adresse à une élite et dans une logique plus qu'assez discutable. Elle est où, l'utilité sociale, mis à part le fait de renforcer le CV des organisatrices ?
Ici, dans une région plutôt rurale et défavorisée de la France, j'ai une lycéenne qui s'est faite agresser parce qu'elle a décider de porter les cheveux courts. Une autre dont elle et les parents se sont fait casser la gueule par la famille de son ex petit-ami parce qu'il l'avait convaincu de se fiancer (à 16 ans!!) et qu'elle a fini par rompre. J'ai un élève homosexuel qui se fait insulter dans la rue par des inconnus de 50 ans qui "ont entendu parler du pédé". Ces populations composent 80 à 90% de la population française. C'est là qu'il faut aider, là qu'il faut faire des progrès, là où les dégâts sont les plus graves. Mais non, faire un beau petit raout pour un machin qui va être vu par cent personnes maxi, c'est clair que c'est bien plus important. (Je ne ferai aucun commentaire sur la composition de la population du public sur les photos).
Je comprend que ce genre d'initiative a une bonne intention mais sérieusement, la Rédac' n'avait rien d'autre à relayer ? L'autre jour, il y a eu une émission merveilleuse sur Julie Owono et l'afroféminisme sur France Inter . Est-ce que ça ne serait pas possible de faire quelque chose avec elle ? Elle habite à Paris, vous n'aurez même pas à sortie "en province" pour aller la rencontrer !
Le branlage de nouille autosatisfait par son seul aspect féministe, ça va bien deux minutes. J'aimerais vraiment que Madmoizelle évite les écueils du classisme, du nombrilisme parisien et de l'ignorance totale des réalités sociales.
Je vous aime mais j'attends mieux de vous.