Article publié initialement le 21 juin 2021
C’est étrange, cette faculté qu’on peut avoir à oublier les évènements traumatisants. Et pourtant, en lisant la bande dessinée de Sophie Adriansen et Mathou, je me suis personnellement rendu compte que non, je n’avais rien oublié, j’avais seulement tout planqué sous le tapis, et qu’en plus je ne devais sûrement pas être la seule.
Dans leur BD La remplaçante, publiée aux éditions First et disponible dans toutes les librairies de France et de Navarre, Sophie Adriansen, autrice, et Mathou, dessinatrice, nous décrivent avec une justesse et une sensibilité folle le post-partum, cette période après l’accouchement loin d’être une sinécure.
La remplaçante, la BD qui défonce les injonctions
La remplaçante est la première BD qui explore le thème du post-partum et de ses difficultés. Ce sujet, de moins en moins tabou grâce à la libération de la parole des femmes ces dernières années, montre que l’accouchement n’est pas forcément merveilleux, que l’instinct maternel n’est pas nécessairement une évidence et qu’être mère s’apprend, avec plus ou moins de temps.
Le pitch ? Marketa et Clovis, amoureux fous, attendent un bébé. Mais l’accouchement signe la fin du conte de fées, et ce qui suit est encore pire. Si la naissance ne s’est pas passée comme elle l’imaginait, l’instinct maternel tarde à se manifester. Tandis que Marketa ne reconnaît plus son corps, elle se sent perdre pied face à Zoé, ce bébé si vulnérable dont elle a désormais la responsabilité. D’autant que le si efficace Clovis reprend bientôt le travail puis part quelques jours en séminaire…
Marketa réussira-t-elle à se sentir mère ? À aimer son bébé, à cesser d’avoir envie de le rendre et de penser qu’une remplaçante ferait mieux qu’elle ?
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Entretien avec Sophie Adriansen et Mathou, les créatrices de La remplaçante
La première impression que j’ai eue en lisant cette bande dessinée, c’est qu’elle est criante de vérité. Étant mère d’une petite fille de quatre ans et ayant vécu un post-partum bien vénère, j’ai même eu parfois du mal à lire certaines pages, tant elles m’ont plongée dans des souvenirs bien obscurs que je pensais avoir oubliés.
Intriguée, j’ai voulu poser quelques questions à Sophie Adriansen et Mathou, pour mieux comprendre ce qui les a décidées à écrire et dessiner autour de ce sujet sensible.
Comment avez-vous fait pour retranscrire aussi bien les premiers mois après la naissance ? Quelles ont été vos inspirations ?
Sophie Adriansen, l’autrice : « Eh bien, c’est probablement parce que j’étais en plein dedans quand j’ai écrit le scénario ! Mon deuxième enfant avait tout juste quatre mois quand j’ai commencé l’écriture. Je me suis principalement inspirée de mes deux expériences de naissance… et surtout de l’après. Mais l’histoire de Marketa s’est imposée dès la naissance de mon deuxième enfant à la maternité, lorsque j’ai croisé dans le couloir une jeune maman qui ne parvenait pas à sourire. Je me suis revue quelques années auparavant… »
Mathou, la dessinatrice :« De mon côté, en ce qui concerne le dessin, j’ai vraiment longuement travaillé les dessins des bébés à tous les âges, les postures d’allaitement, etc. afin que cela soit le plus proche de la réalité et que les dessins servent le plus possible la grande force du texte.
Je me suis mis une grosse pression parce qu’il y avait beaucoup de discours intérieurs de Marketa dans les textes transmis par Sophie, qu’il fallait traduire en dessin par de multiples expressions du personnage, et je voulais rester le plus fidèle possible aux mots et émotions transmis par Sophie. »
Pourquoi avez-vous eu envie de faire ce livre ?
Sophie Adriansen : « Entre mes deux grossesses, j’ai vécu une dépression post-partum de plusieurs années. Parce que je n’étais pas préparée à l’après, et que le fossé entre ce que j’avais imaginé (idéalisé !) et la réalité était considérable. Alors, j’ai voulu écrire une histoire qui consolerait celle que j’étais à l’époque, tout comme elle pourrait consoler cette femme qui ne souriait pas dans le couloir de la maternité, et peut-être d’autres femmes encore. J’ai voulu mettre en scène une réalité du post-partum, incarnée, et dire en toute sincérité ce que l’on ressent (ou ce que l’on peut ressentir) à ce moment-là. Pour déconstruire le mythe de la maternité rêvée, et avertir – mais avec bienveillance. »
Mathou : « Sophie m’a envoyé son scénario au tout début du premier confinement et dans le marasme et la noirceur de cette période, ce scénario a été la lumière au bout du tunnel ! J’ai été extrêmement émue à sa lecture, j’ai voulu tout de suite le faire, sans aucune hésitation. Je ne le regrette pas une seule seconde, parce que le sujet me parle beaucoup, il a fait écho à mon propre post-partum, et j’ai adoré travailler dessus pendant ces longs mois intenses. »
Est-ce qu’en dehors de vos vécus personnels, vous avez eu des témoignages pour vous aider à écrire La remplaçante ?
Sophie Adriansen : « Je suis passionnée depuis plus de quinze ans par le sujet de la naissance. Il est au cœur de plusieurs de mes romans. Alors cela fait quinze ans que j’ouvre grand mes yeux et mes oreilles dès qu’il en est question, que cela concerne les mamans autour de moi ou les initiatives des pouvoirs publics en France ou à l’étranger… Pour écrire La remplaçante, cet intérêt ajouté à mon expérience personnelle a suffi, je n’ai pas éprouvé le besoin d’aller chercher des témoignages supplémentaires. »
Mathou : « Je me suis inspirée de mon propre vécu pour les dessins et aussi de celui partagé par Sophie ainsi que de ceux de mes amies. »
Quels ont été les premiers retours sur votre livre ? Qu’est-ce qu’on vous a le plus dit après la lecture ?
Sophie Adriansen : « Les premiers retours de mamans font écho au vôtre : quel que soit le nombre d’années qui s’est écoulé depuis la naissance, les femmes retrouvent des choses qu’elles ont vécues, des phrases qu’on leur a dites, des émotions qu’elles ont éprouvées. Comme si Marketa était un peu nous toutes ! Les premiers retours des sages-femmes et autres professionnels de l’accompagnement de la naissance, par ailleurs, nous disent que le chemin de Marketa est représentatif de celui de nombreuses femmes ; mais aussi que la santé mentale des jeunes mères n’est vraiment pas à prendre à la légère, et que notre livre peut devenir un support pour aborder cette question. »
Mathou : « On a été emportées par les premiers retours : leur enthousiasme nous a touchées. Les mères s’y sont retrouvées autant que je m’y suis retrouvée à la lecture du scénario. J’ai été aussi très touchée par le retour des sages-femmes qui ont bien conscience de ce moment compliqué du post-partum pour les mères. »
Pensez-vous que, même si l’on en parle de plus en plus dans les médias, les livres, voire les films et séries, le post-partum et sa réalité restent toujours aussi tabous ?
Sophie Adriansen : « Non, je pense que la multiplication des discours libérateurs sur le sujet concourt tout de même à une plus grande information des futures mères. Mais il faut du temps pour déconstruire un mythe que l’on a mis des décennies à bâtir. Et s’ajoute à cela le problème de moyens humains que connaissent beaucoup de maternités, à l’hôpital public notamment, et qui fait que même si l’on est conscient qu’il faut respecter le rythme du corps lors de l’accouchement, être disponible ensuite pour la maman et le bébé, etc., en pratique la théorie est rendue compliquée, voire impossible, par manque de personnel d’accompagnement. Bref, on progresse, mais pas assez vite à mon goût. »
Mathou : « Il faut parler de ce sujet, il faut dire que le post-partum est similaire à des véritables montagnes russes émotionnelles, qu’on a le droit de ne pas aller bien, que c’est OK, que c’est normal et surtout qu’on n’est pas seule à ressentir ces sentiments contradictoires et à se sentir complètement paumée. Je pense que les mères sont plus averties désormais, grâce aux réseaux sociaux, aux témoignages et prises de parole, mais qu’il demeure un cruel manque de moyens pour mettre en place un vrai soutien et une vraie écoute des mères. »
À votre avis, qu’est-ce qu’il faudrait faire, de la part des institutions ou du grand public, pour que le post-partum soit tout autant écouté et accepté que le reste de la grossesse ?
Sophie Adriansen : « Je crois qu’il faut en parler ! Plus on en parlera, plus les gens se poseront la question avant de venir voir la maman et le bébé à la maternité, ou de passer déjeuner à la maison trois semaines après la naissance, et moins on demandera “Alors, heureuse ?” sans réfléchir ni véritablement écouter la réponse. Ça ne devrait choquer personne qu’une jeune mère refuse les invitations dans les semaines qui suivent son accouchement. Les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer, par exemple avec l’allongement du congé paternité ou la prise en charge d’une aide à domicile. Si les pouvoirs publics reconnaissent qu’on peut avoir besoin d’aide lors de cette période, cela rentrera dans les esprits. »
Mathou :« Il faut en parler, c’est primordial afin que les mères puissent mieux vivre leur post-partum entourées de personnes averties et bienveillantes. Et il faudrait notamment allonger le congé paternité pour que le père soit plus présent. »
Qu’avez-vous à dire aux jeunes mères qui culpabilisent de mal faire, de ne pas assez faire, ou de ne pas faire comme il faut ?
Sophie Adriansen : « Que le “comme il faut” dépend de chacune ! Le mieux est l’ennemi du bien, c’est faire de son mieux qui importe. C’est à chacune de trouver son propre rythme, avec son bébé, mais aussi avec son corps. Il faut être tolérante avec soi, et s’affranchir au maximum des injonctions, même venant de personnes amies. Plus facile à dire qu’à faire ! Alors, je crois qu’il ne faut pas hésiter non plus à admettre qu’on a besoin d’aide si c’est le cas, et oser la demander. »
Mathou : « Je le dis à tout le monde et depuis des années : dans la vie, on fait ce qu’on peut et c’est déjà pas si mal. Dans nos rôles de femme, d’amoureuse, de professionnelle et de mère, cela vaut pour tout. Et encore plus dans notre rôle de mère, il est, je pense, très important de ne PAS se mettre la pression, le moins possible. Il n’y a pas de mauvaises mères, il n’y a que des mères qui font ce qu’elles peuvent. »
Vous l’aurez compris, je ne peux que vous conseiller de vous procurer la formidable bande dessinée de Sophie Adriansen et Mathou, dès que vous en aurez l’occasion, c’est une véritable pépite !
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Les Commentaires
On parle ici d’un tabou fortement ancré, et il est de nécessité publique que chacun ait conscience que le post-partum et ses conséquences sont des choses tout à fait normales, dont il ne faut pas avoir honte.
Je conseillerais donc au contraire à toutes les personnes concernées par la parentalité de lire cette BD, afin de libérer la parole.