Lundi 11 mai, les Français se sont rués en dehors de leurs foyers, tout impatients de vaquer de nouveau à leurs occupations : c’était le premier jour du déconfinement.
Le déconfinement et son lot de haine
Ainsi, les avaleurs de livres se sont dépêchés d’aller cueillir les nouveautés en librairie, les sportifs ont investi dans des chambres à air pour regonfler les pneus de leurs vélos, et les bricoleurs ont acheté un régiment de clous dans l’optique de casser les oreilles et les couilles de leurs voisins, au cas où un nouveau confinement serait de mise.
Mais ces lecteurs, ces sportifs et ces bricoleurs n’ont eu droit à aucun déferlement de haine sur les réseaux sociaux. Aucune queue devant un libraire n’a provoqué d’ulcère aux internautes.
Non, ce qui a courroucé les foules, ce sont les queues qui serpentaient devant des boutiques Zara (et Vuitton) partout en France.
En face des magasins, en effet, des dizaines de femmes et d’hommes ont patiemment attendu leur tour, lundi 11 mai, pour acheter des fringues.
Plusieurs vidéos ont alors tourné sur Twitter, et laisse-moi te dire que les commentaires valent leur pesant de cacahouètes.
Le déconfinement, Zara et le mépris
Entre deux remarques sexistes et trois réflexions méprisantes, le ton est donné :
https://twitter.com/Djokaire/status/1259823148607901696
https://twitter.com/Jai_Rien_a_Dire/status/1259807460082307080
Personnellement, je viens de passer un quart d’heure sur Twitter, et me suis félicitée de ne presque jamais m’en servir. Ma tension artérielle n’y survivrait pas !
L’avis du Huff Post sur la haine envers le déconfinement chez Zara
Bref, j’ai ensuite lu un article très intéressant du Huffington Post, qui souligne la dimension tout à fait sexiste du mépris à l’égard des consommatrices.
Le journaliste écrit, en s’appuyant sur les théories du psychanalyste britannique John Carl Flügel et sur le livre Des idées dans la garde-robe de la philosophe Juliette Ihler :
« La mode, superficielle ? C’est en tout cas une critique dont ses aficionados pâtissent depuis la fin de l’époque moderne, période à partir de laquelle les hommes ont abandonné le plaisir des apparences aux femmes.
C’est ce que le psychanalyste britannique John Carl Flügel appelle la « Grande Renonciation masculine ». »
Il poursuit :
« Le mépris des hommes à l’égard de la conduite vestimentaire des femmes, exclues du monde du travail, traduit aussi le refoulement d’une pulsion primordiale, celle de l’exhibitionnisme, dont eux ne peuvent plus profiter. »
Le journaliste précise qu’apparemment, ce regard posé sur la mode, estimée superficielle, n’a pas changé. Je t’encourage à lire l’article dans son intégralité, il soulève plein de phénomènes et de comportements intéressants !
Au sortir de cette lecture édifiante, j’ai réfléchi sur mon propre rapport à la mode.
La mode, vectrice de bonheur ?
La vérité, c’est que si j’avais pu, j’aurais été faire la queue devant Zara dès lundi matin.
Mais mes horaires de travail ne me permettent pas cette liberté.
Ainsi, seules mes horaires de taf et mes obligations du soir m’ont tenue loin des portes vitrées de Zara.
Pourquoi y serais-je allée dès le premier jour du déconfinement
?
Car la mode a un pouvoir énorme sur moi. Le pouvoir, peut-être superficiel aux yeux de certains, de me procurer… du bonheur.
Celui de pouvoir physiquement être qui je veux quand je le veux.
Avoir des placards bien remplis me permet d’être une femme fatale le vendredi, une sportive le samedi, une hipster le dimanche, une meuf cottage-core le lundi, une cow-girl le mardi, une fan de Matrix le mercredi etc.
Ces « superficiels » t-shirts, robes, boots, santiags, chapeaux, manteaux, chaussettes et salopettes ont le pouvoir magique de me faire changer de peau.
Et comme chacun sait, le changement et l’imprévu permettent d’entretenir un élément non-négligeable de notre machine : le moral !
La mode comme réponse à la déprime
La mode, pour moi, c’est un remède contre l’enlisement, l’ennui, la stagnation, et ça demeure surtout un beau moyen de mettre sa créativité au service de son unicité.
Ça peut n’avoir l’air de rien, mais une petite fringue, un simple top à fleurs, peut avoir une vraie incidence sur le bien-être. T’aider à te sentir bien dans ta peau, légère, printanière.
Mais dans un monde où aller bien est vu d’un mauvais oeil par un cynisme très à la mode, le facteur bonheur du vêtement est considéré comme totalement ridicule.
L’achat de vêtements pour relancer l’économie
L’utilisateur Twitter qui a commenté « Les femmes », a certes un talent admirable pour la concision, mais n’en possède pas moins les capacités de réflexion d’une courgette.
Penser que la consommation de vêtements ne découle que d’un caprice lié à un genre, c’est ne vraiment pas voir plus loin que le bout de son nez.
C’est nier le fait qu’un achat peut répondre à un vrai besoin, comme procurer des chaussures à sa taille à un enfant qui aurait grandi.
Et que la somme des achats peut en plus permettre une certaine relance de l’économie, dont on a bien besoin en ce moment.
Alors cessons de faire culpabiliser ces femmes ET CES HOMMES qui par leurs petits bonheurs ou leurs besoins permettent de faire fonctionner un tout !
Culpabiliser les autres, une habitude malsaine
Je suis un peu fatiguée, à vrai dire, de la volonté permanente des individus à culpabiliser leur voisin, que ce soit sur l’insuffisance de leur éthique, sur leur féminisme pas assez documenté ou sur leur consommation en général.
Culpabiliser les autres ne peut pas être un moyen efficace de les convertir à une cause, si tant est que cause il y ait.
Car en réalité, les « foules » devant Zara n’étaient pas si indécentes que cela. Elles n’étaient composées que de quelques dizaines de gens, tout au plus.
Ces gens faisaient la queue en rang, à distance, avec des masques, ce qui n’enfreint AUCUNE règle.
Et si ça ne déroge à aucune règle, alors il n’y a pas matière à ergoter.
Peut-on donc cesser de décider à la place des autres quelle activité est décente, éthique et digne d’importance ?
La police de la bien-pensance et de la bienséance, j’ai envie de lui mettre un coup de pied là où je pense.
La consommation de fast-fashion, un vrai souci
Toutefois, je ne peux pas regarder le problème que par ma seule lucarne…
Il est vrai que, comme le sous-entendent beaucoup d’internautes, les dangers de la fast-fashion pour l’environnement et l’humain sont réels, et que se « ruer » en magasin dès le premier jour du confinement pose la question de l’éthique du consommateur.
Il est vrai que je ferme les yeux sur des méthodes et des moyens de fabrication terribles lorsque j’achète un jean chez Zara.
Il est vrai aussi que le prêt-à-porter, de son côté, devrait repenser toute sa chaîne.
Tout cela est vrai.
Cependant, je constate que la majorité des accusations du tout Twitter se concentre davantage sur la légitimité de l’envie des femmes à acquérir de nouveaux vêtements que sur la non-éthique de leur envie.
MAIS : y-a-t-il une plus grande légitimité à vouloir acheter des outils de bricolage ? Y-a-t-il une plus grande légitimité à acquérir des bouquins par kilos ?
NON.
Cette hiérarchisation par « noblesse » ou par « utilité » des activités et des habitudes des Français est exaspérante, et surtout parce qu’elle est tournée contre un loisir supposément féminin.
Là encore, ça sent le sexisme à plein nez.
Qu’à cela ne tienne, ce soir, j’irai sans doute faire un tour chez Zara…
À lire aussi : Les gens qui croient aux théories du complot sont-ils de gros débiles ?
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Les Commentaires
@Anémona En plus de la remarque d'Adita, j'ajouterai que de consommer chez une marque étrangère n'est pas inintéressant pour la France étant donné que l'état de l'économie de nos voisins détermine aussi fortement la nôtre.