« J’aimerais rappeler aux médias que l’existence des personnes trans est un fait, pas un débat »
La voix de La Briochée, première candidate ouvertement trans de l’émission Drag Race France, résonnait fort ce dimanche soir à l’issue de sa prestation dans le Légendaire Cabaret Club. Impossible d’ignorer ce à quoi elle réagissait : la veille, lors de l’émission Quelle Époque ! sur France 2 animée par Léa Salamé et Christophe Dechavanne, était invitée Dora Moutot, militante autoproclamée « femelliste » et activiste transphobe assumée.
En face d’elle, une élue, la première maire trans de France, Marie Cau, qui témoigne de son parcours dans un livre, Madame le Maire, publié chez Fayard.
Oui, une émission diffusée sur le service public a jugé bon, pour tenter de comprendre ce qu’est la transidentité d’inviter une des personnalités les plus vocales dans sa haine et son rejet des personnes trans, depuis qu’elle a appelé à exclure les personnes trans de la loi interdisant les thérapies de conversion, ou lorsqu’elle a appelé à désubventionner le Planning familial, avec sa comparse Marguerite Stern.
Cela n’a pas loupé : depuis la diffusion de l’émission ce samedi 15 octobre, plusieurs séquences tournent en boucle sur les réseaux sociaux montrant par exemple Dora Moutot asséner, péremptoire et sûre d’elle, que Marie Cau, assise en face d’elle, n’est pas une femme.
Un débat constructif, quel débat constructif ?
Sous prétexte de vouloir décrypter une actualité, la télévision tombe dans le sensationnalisme facile et parle de phénomène à décrypter comme si les personnes trans étaient apparues le mois dernier.
Au cours de l’émission, Léa Salamé insiste sur l’engagement de toutes les parties à avoir un « débat constructif », mais comment construire une réelle discussion quand on met face à face une femme trans qui doit se défendre d’exister, et une personne dont le désormais seul fonds de commerce est de nier les droits des personnes trans ?
Parler de transidentité dans les médias, oui, qui plus est avec des personnes qui savent de quoi elles parlent et ont la capacité d’apporter des éléments de compréhension. Or ici, le résultat n’est finalement pas à la hauteur de l’enjeu : on nivele par le bas en se limitant à ce qui s’apparente finalement à un « pour ou contre la transidentité ? » ou à un « pour ou contre le genre ? ». Pourtant le sujet mérite d’être abordé avec sérieux, respect et rigueur journalistique, ce qui est souvent encore loin d’être le cas.
Durant l’émission, Dora Moutot s’illustre par la pauvreté de son argumentaire (sur la présence des femmes trans dans le sport) et est reprise par les autres invités, non seulement par Marie Cau, mais aussi par l’humoriste Jérémy Ferrari ainsi que par une personne du public. Pourtant sa simple présence sur le plateau de Quelle Époque ! donne du crédit à son discours transphobe, comme s’il était légitime et représentatif d’un mouvement féministe plébiscité.
Son discours s’est pourtant très clairement radicalisé ces dernières semaines, à travers la publication d’un manifeste « femelliste » (signalé début octobre par le compte Le Coin des LGBT+) pour afficher ses convictions essentialisantes, anti-trans et critiques du genre, la plaçant elle-même en dehors du militantisme féministe, qui dans sa globalité a compris que la transphobie n’avait rien à faire dans ses rangs.
Ce débat violent, dont les extraits sont repris dans tous les médias, s’ajoute à la violence d’une autre émission récemment diffusée sur une autre chaîne, le reportage de M6 Trans – Uniques en leur genre, mais surtout le débat animé par Karine Le Marchand qui en a suivi, où étaient invitées plusieurs militantes transphobes. L’Arcom a été saisie par plusieurs associations.
Un débat à la télévision, et des conséquences bien réelles
Dans un récent sondage Yougov, on apprenait que seulement 47% des Français déclarent que si un proche faisait son coming-out trans ou non-binaire, ils et elles feraient preuve de soutien.
En gros, les personnes trans ont une chance sur deux de recevoir de l’acceptation, de la solidarité et de l’affection de la part de leur entourage.
Face à ce constat, il est clair que la responsabilité médiatique doit être pointée du doigt : refuser de prendre au sérieux la propagation des discours de haine envers les personnes trans, c’est aussi nier les conséquences très concrètes qu’ils peuvent avoir sur la vie des personnes trans, notamment sur celle des plus jeunes.
Régulièrement, des images de micro-trottoirs des années 70 ou 80 nous parviennent grâce aux archives de l’INA, nous permettant de constater l’évolution des mentalités ou à la persistance de certains préjugés, quant aux droits des minorités, aux violences faites aux femmes… il y a fort à parier que dans une trentaine d’années, certaines images qui nous reviendront de ces « débats » actuels sur le dos des personnes trans nous feront honte.
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Crédit photo : Quelle Époque ! (France 2)
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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