Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour (re)découvrir que les femmes avaient, elles aussi, participé à la création de notre héritage culturel commun ? Pourquoi emploie-t-on le terme patrimoine à tout-va, et que dit-il de la place que l’on accorde aux femmes, artistes, créatrices, scientifiques, inventrices… ?
Depuis huit ans maintenant, la Fédération inter-régionale pour l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture (aussi connu sous le nom de Mouvement HF) se bat pour réhabiliter le terme « matrimoine », qui, contrairement aux idées reçues, n’est pas un néologisme. De quoi ce combat sémantique et politique est-il révélateur ? Éclairage.
De quoi le débat sémantique autour du mot « Matrimoine » est-il révélateur ?
Dans un article du Monde, daté du 13 septembre 2023, la journaliste Claire Legros résume l’enjeu politique et sémantique que représente le mot matrimoine (et son effacement dans le temps) : c’est « un mot très ancien, dont l’histoire éclaire l’invisibilisation méthodique de la créativité des femmes et de leur rôle dans la culture et les arts, avant que des chercheuses ne leur redonnent vie depuis une vingtaine d’années ».
Réhabiliter le mot matrimoine, permet ainsi de visibiliser et reconnaître la contribution des femmes à l’héritage culturel du monde.
D’où vient le terme « Matrimoine » ?
Comme le retrace l’article du Monde, qui s’appuie sur les travaux de l’anthropologue américaine Ellen Hertz, la première occurrence du mot, sous la forme « matremuine » en ancien français, remonte à 1155 et désigne les « biens de la mère », « au même titre que le patrimoine se réfère à ceux du père. Du XIIIe siècle à la fin de la Renaissance, le mot « matrimoine » est couramment utilisé dans le cadre des héritages » précise la journaliste.
En 1634, l’Académie française voit le jour, et avec elle le choix d’ériger le masculin en valeur par défaut. Le mot matrimoine disparaît donc des dictionnaires, au profit de son analogue masculin. Ce n’est que dans les années 2010 qu’il signe son retour, grâce aux travaux de la chercheuse et metteuse en scène Aurore Evain : « celle qui a permis de réhabiliter l’usage du terme « autrice » fait du matrimoine l’un des étendards de la bataille pour l’égalité dans les arts et la culture » ajoute Le Monde.
Qu’est-ce-que les Journées du Matrimoine et pourquoi les célébrer ?
Le rapport 2023 de l’observatoire de l’égalité du ministère de la Culture le montre bien : aujourd’hui encore, malgré les efforts de parité mis en place dans le secteur culturel, les femmes restent minoritaires (41%) à la direction des établissements publics de la culture.
Du côté des artistes exposés, le déséquilibre est encore plus flagrant :
La représentativité des femmes dans le catalogue collectif des collections des musées de France, Joconde, est le reflet de cette histoire. Sur un total de 511.979 notices relevant de près de 35.000 artistes, les femmes artistes sont au nombre de 2.304, avec 20.575 œuvres. Elles représentent donc 6,6 % des artistes de la base de données, avec 4 % du nombre d’œuvres. Même s’ils sont très faibles, ces pourcentages de 2021 n’en sont pas moins supérieurs aux chiffres connus pour la seconde moitié du dix-neuvième siècle. En France, elles étaient alors 3.818, soit 1,74% des artistes répertoriés…
Site du ministère de la Culture, « Les Musées en France »
C’est pour cela qu’en 2015, la Fédération inter-régionale pour l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture a créé les Journées du Matrimoine qui visibilisent et revalorisent « l’héritage culturel des femmes, que le terme de patrimoine a tendance à invisibiliser ».
Le Mouvement a d’ailleurs lancé une pétition afin de réhabiliter ce terme, tombé en désuétude, et « (re)construire notre Matrimoine culturel ». Le but ? « Rendre à nouveau visibles les œuvres oubliées des femmes du passé en les intégrant à notre héritage global ». C’est une manière de « leur donner la place qu’elles auraient dû avoir si l’Histoire ne s’était pas écrite au masculin. Ce Matrimoine retrouvé permet aussi aux jeunes générations de se projeter dans des carrières en ayant des modèles féminins », peut-on lire sur le site de la pétition.
La fédération réclame que les Journées Européennes du Patrimoine (JEP) soient rebaptisées Journées Européennes du Matrimoine et du Patrimoine (JEMP). Si certaines villes comme Paris, Bruxelles ou Rouen célèbrent désormais le double héritage, trop de collectivités ne l’intègrent pas encore à leur réflexion :
En effet, le Matrimoine n’est pas encore inscrit dans le langage, l’espace et l’opinion publique et encore moins dans la politique culturelle nationale et locale. Pire encore, de trop nombreuses institutions culturelles ignorent le Matrimoine dans leur réflexion et action culturelles ou alors d’autres se contentent de laisser l’initiative à des collectifs militants comme le Mouvement HF.
lematrimoine.fr, Pétition.
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