L’autre jour, je parlais avec Sabrina, une amie d’amie. Connaissant mes convictions, elle a rapidement évoqué le féminisme et mon boulot au niveau de la rubrique masculinité de madmoiZelle.
Cette discussion, passionnante, m’a beaucoup fait réfléchir, alors je t’en parle ici — parce qu’il y a des chances que ça trouve un écho en toi…
Un homme violé par une femme
Je t’explique un peu le contexte.
Sabrina sort avec un garçon à la vie très douloureuse. Il a été battu quand il était petit. Il a également été victime de violences conjugales et sexuelles.
Il s’agit d’un homme violé par une femme, cette catégorie de victimes dont le monde parle rarement, pour deux raisons :
- Car ils forment une minorité parmi les victimes de violences sexuelles
- Car le sexisme et la masculinité toxique mènent à penser qu’un homme violé par une femme, ça n’existe pas
Parmi les rares groupes qui s’intéressent à ces hommes, il y a… les féministes. Eh oui ! J’en suis bien la preuve vivante !
Mais je devrais plutôt dire : des féministes. Attends, je t’explique.
Certaines féministes face au viol des hommes
Mon interlocutrice m’a dit avoir été confrontée à des féministes qui ne respectaient pas, selon elle, le statut de victime de son copain.
Soit elles minimisaient ses souffrances, au prétexte qu’il y a plus de femmes violées, soit elles niaient carrément ce qu’il a vécu.
Elles voyaient ce mec comme « les hommes » en tant que groupe social privilégié, sans se pencher sur son expérience individuelle.
C’est ce qui est aussi arrivé à Anthony, un homme victime de violences sexuelles perpétrées par des femmes, qui a eu le courage d’en parler dans mon podcast The Boys Club.
Quand il a évoqué son expérience dans des cercles féministes en espérant trouver une oreille attentive, on lui a reproché de vouloir détourner l’attention voire carrément d’être anti-féministe.
Pourquoi les hommes victimes de viol divisent les féministes
Avant de continuer, je tiens à expliquer pourquoi la question des hommes violés, notamment par des femmes, est si crispante dans beaucoup de cercles féministes.
Le problème, c’est que certaines personnes, majoritairement des mecs, n’utilisent ce problème que pour détourner l’attention des viols commis sur des femmes.
Ça peut donner ce genre d’échange :
— En France, toutes les 9 minutes, une femme subit un viol ou une tentative de viol. C’est horrible ! Il faut changer les choses ! — Euh, et le viol des hommes alors ? Tu n’en parles pas, tu t’en fous ? C’est deux poids deux mesures, c’est ça ?
La personne lâchant cette dernière phrase, dans la majorité des cas, ne fait environ RIEN dans sa vie pour aider les hommes victimes de viol.
Ni sensibilisation, ni accompagnement, ni militantisme.
L’intervention sert juste à détourner la conversation…
Je précise aussi que souvent, ces gens oublient, de façon bien pratique, que la majorité des hommes violés le sont par des hommes.
Ainsi, il peut arriver à certaines féministes d’être lassées face à ce sujet qui est sans cesse brandi en porte-à-faux, alors qu’il s’agit d’un vrai problème, avec de vraies victimes qui ressentent une vraie souffrance.
Quand les féministes ne sont pas d’accord
Sabrina a beau comprendre cette lassitude, elle ne pardonne pas aux féministes qui nient ce qu’a vécu son copain et prétendent que si le crime qu’il a subi ne s’inscrit pas dans une violence systémique, alors il ne mérite pas qu’on en parle.
D’ailleurs, j’avance personnellement l’hypothèse que le traitement du viol masculin (surtout quand la coupable est une femme) s’inscrit bel et bien dans une violence systémique, celle exercée par le patriarcat.
Ce même système qui prétend que les mecs ont toujours envie, que la pénétration est pour eux le summum du plaisir et qu’il est donc impossible de les forcer à un rapport sexuel hétéro…
Mais je m’égare.
Sabrina, donc, m’a demandé comment je faisais « la paix » avec le fait que des personnes se réclamant, comme moi, féministes, tenaient des propos allant à l’encontre de ce que je crois
.
C’est loin d’être la seule division interne aux mouvements féministes : les débats sur la prostitution, sur le port du voile et même sur l’inclusion dans la lutte des personnes trans sont toujours d’actualité.
Alors, comment se réconcilier avec le fait d’appartenir à un mouvement dont certains ou certaines membres ont des opinions contraires aux miennes ?
Je suis féministe, et pas d’accord avec d’autres féministes
À mon sens, la chose la plus importante est de se rappeler que le féminisme est pluriel.
Ce n’est pas une religion, ni une secte, avec un dogme bien précis et des textes sacrés auxquels on peut se référer de façon immuable.
Par exemple, chez madmoiZelle est entretenu un féminisme plutôt pro-sexe, qui encourage la libération sexuelle des femmes, et la fin des complexes au niveau de leurs plaisirs et désirs.
Pour d’autres féministes, certains discours tenus dans la rubrique Sexe du magazine amènent au contraire un asservissement de la femme et sa réduction à un simple objet sexuel !
Je pense qu’on peut résumer le féminisme ainsi :
« Le féminisme est un mouvement visant à l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Cependant, si le but est le même, les avis divergent sur le meilleur chemin pour y arriver. »
J’aurais du mal à croire qu’une personne ne souhaitant pas l’égalité est vraiment féministe ; pour moi c’est antinomique.
Par contre, je peux comprendre que je ne suis pas d’accord sur TOUS les sujets avec TOUS ET TOUTES les autres féministes. Ce serait trop simple, hein !
L’union fait la force, le débat enrichit
Je n’ai rien contre le débat dans le cadre du féminisme. En fait, je le trouve même sain.
Dès qu’on pense détenir la vérité absolue, dès qu’on pense être au-dessus de tout doute, de toute remise en question, c’est là, à mon sens, qu’on perd en ouverture d’esprit.
Donc en soi, je ne trouve pas ça mal qu’il y ait divers courants internes au féminisme. C’est important que tout le monde puisse se sentir représenté, trouver le groupe qui correspond le mieux à ses valeurs.
Là où je me sens navrée, où j’ai envie de baisser les bras, c’est quand les divisions internes prennent tant de temps et d’énergie qu’elles semblent parasiter le discours.
J’en ai vu, des heures et des heures de débat stérile entre des personnes d’accord à 99% ! Y compris sur le forum madmoiZelle…
Mais ce n’est pas à moi de dire aux autres comment militer. Je me contente de ne pas participer à ce genre de discussions, qui m’épuise plus qu’autre chose.
Libre à celles et ceux qui le souhaitent de les entretenir ; je préfère diriger mon énergie vers l’extérieur de « la bulle féministe ».
Je suis féministe, mais ce n’est pas le plus important
Sabrina se demande si ça a du sens, pour elle, de continuer à se définir comme féministe, et donc d’être potentiellement associée sans le vouloir à des discours qui ne lui correspondent pas.
Personnellement, je ne me vois pas arrêter de me considérer comme féministe. Ce serait antinomique, et je pense que les mots sont importants.
Dans un monde où pour encore beaucoup de gens, « féministe = FEMEN enragée », montrer que le combat a aussi pour visage ma petite bouille à frange, ce n’est pas anodin.
Cela dit, je n’en voudrais pas à Sabrina si elle décidait de ne plus revendiquer cette étiquette.
Car au final, je trouve que oui, les mots sont importants, mais les actions le sont bien plus.
Soutenir une victime de viol, lutter contre les idées reçues et les discriminations, faire entendre l’importance du consentement, c’est féministe. Peu importe si la personne porte ce badge ou non.
Alors Sabrina, j’ai envie de dire : revendique le féminisme que tu défends, ou ne revendique rien du tout. Ce n’est pas si grave, je crois.
Tant que tu es là pour ton copain, que tu l’aides et que tu défends le droit des hommes violés à être considérés comme des victimes d’un crime, tu agis. Et ça, aucun débat d’idée ne peut te le retirer.
À lire aussi : « Parole de concernée ? », ce réflexe militant et excluant que je ne supporte plus
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Invitées (en couverture) du Télérama qui vient de sortir : Béatrice Dalle (actrice), Virginie Despentes (écrivain) et Casey (rappeuse). Virginie Despentes est réputée pour sa plume provocatrice, voire trash, adepte d'un féminisme qui ne prend pas de gants (avec les hommes, les bourgeois...).
Toutes trois sont à l'affiche d'un spectacle féministe intitulé...."Viril" mis en scène par David Bobée, homme de théâtre gay, féministe, militant plutôt provoc lui aussi, d'après mes bribes d'informations,
Mieux vaut sans doute lire l'entretien complet dans Télérama, mais voici quelques extraits (et - dans des parenthèses - mes modestes commentaires :erf :
Durant le spectacle, Casey lit un texte dans lequel Valerie Solanas (féministe radicale américaine), propose de supprimer le sexe masculin, "accident biologique" dont le mâle n'est qu'un "gène femelle incomplet"
Commentaire de Casey : "ce passage brillantissime est plein d'humour ! (...) il s'agit juste de retourner le discours patriarcal contre lui-même"
(démonter le discours machiste, OK, mais voilà un "humour" qui pousse un peu loin la misandrie, à mon avis)
Beatrice Dalle tende de calmer le jeu : "Je refuse d'exterminer les hommes" (ouf) "je les aime trop" (traitresse :annoyed, Elle précise tout de même avoir "compris" le texte extrême de Solanas grâce aux explications de Bobée et de Despentes...
Virginie Despentes : "clamer qu'il faut exterminer les hommes, pourquoi pas ? Le discours misogyne est si fort partout (...) il faut le contrebalancer" . Selon elle, les 15-20 ans sont "plus radicales" que les générations précédentes "trop chargées encore d'une certaine bienveillance envers les hommes"
(pas de quartier envers ces porcs et ces machos :bomb
Sur #metoo, Casey : "prendre du recul dans ces histoires de harcèlement. La solution n'est pas d'aller, à chaud, pendre les mecs haut et court" (là, je suis d'accord)
VD : "imaginer que la sanction (contre violeurs et harceleurs) soit une formation intensive au féminisme" (pas idiot)
Sur le féminisme :
Casey : "opposer hommes et femmes, homosexualité et hétérosexualité est trop binaire, réducteur" (tout à fait d'accord)
VD : "je suis choquée de voir certains courants s'écharper entre eux" (précisément de l'article présenté par @Mymy !)
Casey s'en prend ensuite au "féminisme soi-disant universel prôné par Elisabeth Badinter", à "sa fixation sur le voile", sort l'artillerie lourde contre "les normes de femmes blanches occidentales", déclare qu'elles ne savent pas "mieux" que les " femmes arabes et noires (...) ce qu'est une femme libre"
(je n'ais pas la prétention de définir une "femme libre", mais j'ai du mal à l'associer au port du voile, désolée)
Il y a beaucoup d'autres choses intéressantes dans l'entretien mais j'arrête ici pour l'instant.
Petite conclusion tout de même sur le commentaire (dans l'éditorial du journal) de Fabienne Pascaud, qui a mené l'entretien. Selon elle, "le XXIème siècle sera féminin ou ne sera pas"
Je le préférerai mixte et égalitaire, le XXIème siècle