Ce sont des scènes de la vie de tous les jours, au travail, en famille, dans un festival ou dans un bar.
Dans ReconnaiTrans, publié aux éditions Lapin en octobre dernier, Laurier The Fox, auteur de BD et illustrateur, a recueilli et mis en images une centaine de témoignages de personnes trans et non-binaires — des histoires ordinaires qui montrent la diversité des vécus et des expériences.
Deux œuvres ont grandement inspiré Laurier The Fox : le Projet Crocodiles de Thomas Mathieu, et Paye Ta Shnek d’Anaïs Bourdet, comme il le confie à Madmoizelle.
« Je n’étais pas encore out en tant que mec trans gay, ni à moi-même, ni au reste du monde. Ces projets m’ont fait réaliser que j’avais subi beaucoup de harcèlement de rue, et ce dès mes 11 ans. Cela m’a fait l’effet d’un énorme parpaing en pleine tête, ces projets m’ont donc beaucoup marqué.
Début 2017, alors que j’avais commencé ma transition, je sors d’une conférence sur les queerphobies et discute avec des amis et amies, disant que ce serait bien si un projet BD similaire existait pour la transphobie. Ma petite amie de l’époque me lance : “Bah, fais-le, toi !” »
Laurier The Fox se lance quelques mois plus tard.
« En mai, je poste le premier témoignage sur Tumblr – celui de mon ex petite amie justement – et fais un appel à témoignage sur mes réseaux sociaux. Pour moi, il n’était pas question de faire un livre, c’était et c’est toujours un projet militant par et pour les personnes trans et non-binaires, pour nous donner une voix.
En un mois, je reçois une trentaine de témoignages et j’ai largement dépassé la centaine à l’heure actuelle. J’ai essayé de réaliser et poster un témoignage par semaine, mais je me suis vite trouvé dépassé par la charge de travail. »
Raconter la transphobie, mais aussi montrer les histoires positives
Chaque récit mis en images est relu par la personne qui a livré son histoire, puis qui valide et autorise la publication de son témoignage. Certaines sont d’une violence flagrante, d’autres chargées d’une transphobie plus insidieuse mais non moins dangereuse. D’autres montrent aussi un dénouement plus heureux.
« Mon projet se concentre majoritairement sur la transphobie, l’enbyphobie, le cissexisme subis, plus que sur la transidentité en tant que telle », explique Laurier The Fox.
« L’un des déclencheurs de ce choix a aussi été un mec random sur Twitter qui m’avait sorti “de toute façon la transphobie ça existe pas”. C’était peut être juste un troll, mais il était la goutte d’eau d’un océan d’invisibilisation et de négation de la transphobie ordinaire et institutionnelle. »
En tant qu’auteur, il a aussi choisi de dessiner toutes les histoires reçues, sans distinction :
« J’ai pris le parti de dessiner tous les témoignages que je recevrais — positifs, violents, etc. De ne pas faire de tri. Je ne me sentais pas de juger quel témoignage devrait être privilégié par rapport à un autre. Pour moi, cela n’avait pas de sens.
Les seuls témoignages que j’ai triés et que je n’ai pas publiés sont ceux des personnes cisgenres. Heureusement, je n’en ai pas eu beaucoup, mais le peu que j’ai reçu m’a mis très en colère. »
Une oppression pesante, poisseuse
Un gimmick graphique ponctue l’ouvrage à différentes scènes où intervient de la transphobie, qu’elle soit frontale ou à demi-mots : les bulles deviennent gris-bleu et dégoulinent, comme si la transphobie se répandait physiquement.
« Mon but avec mon travail de bande dessinée est de toucher les personnes, de faire passer des émotions, de faire comprendre ce que je ressens ou ce que mes protagonistes — ici les personnes qui témoignent — ressentent.
Je voulais faire comprendre et faire ressentir le côté insidieux, pesant, gluant, intrusif, poisseux de l’oppression. Qu’elle peut nous toucher physiquement et nous faire suffoquer telle une marée noire. Et que “de simples mots” peuvent nous blesser physiquement, nous tuer, quand ce ne sont pas directement des coups, des agressions sexuelles et des tentatives de meurtres.
À l’image du Projet Crocodiles, où j’avais trouvé son code couleur très pertinent et intéressant, j’ai voulu aussi en utiliser un qui rende visible et palpable l’oppression. »
Dans la société, dans les médias, les personnes trans ont toujours été là
Dans les films, comme dans la littérature, les histoires des personnes trans semblent se faire de plus en plus de place dans des œuvres grand public. Pourtant, les personnes trans ont toujours été là, ont toujours parlé dans les médias, rappelle Laurier The Fox :
« Quand on se penche sur l’histoire de notre communauté, des médias et des œuvres culturelles, on se rend compte que ce n’est pas récent du tout et qu’au contraire c’est très cyclique. J’ai fait justement une conférence à ce sujet il y a peu, basée sur le très important travail de la sociologue Karine Espineira.
En se basant sur les vidéos de l’INA, on voit que depuis les années 1960 jusqu’à nos jours, nous avons toujours été là. Les femmes trans ont été interviewées durant des décennies sur divers plateaux, mais les questions n’ont jamais changé : elles ont toujours porté sur la transition, les chirurgies… Les questions intrusives, fétichisantes et sexualisantes sont même devenues la norme à partir de la fin des années 1980 et de l’arrivée d’Ardisson.
Ce qui est récent par contre, c’est que les médias parlent de non-binarité, qui est un concept très ancien et non blanc à l’origine. Kelsi Phung en parle très bien, notamment dans son interview pour XY Média. »
Au départ dédié à la communauté trans et non-binaire, ReconnaiTrans a une portée indéniablement pédagogique pour un public cisgenre :
« À l’origine je l’ai pensé comme un besoin de hurler à la face du monde l’oppression que nous subissons. Mais en le transposant en papier, j’ai fini par rajouter un lexique, une liste d’associations francophones, des ressources. Finalement en l’état actuel je pense, et j’espère, que cela pourra servir à tout le monde, personnes cisgenres incluses. »
Et la suite ? En collaboration avec un autre auteur trans, Laurier The Fox prépare J’ai un’e ami’e Trans et/ou Non Binaire, un livret pédagogique à destination des personnes cis. Une version courte était présente dans les goodies du crowdfunding destinés aux personnes qui ont soutenu ReconnaiTrans.
ReconnaiTrans est disponible pour 22€
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Crédit photo : « Un vrai festival », extrait de ReconnaiTrans aux éditions Lapin
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