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Cinéma

De Papicha au nouveau Wes Anderson, Lyna Khoudri nous raconte son parcours engagé, humble et sincère

À l’occasion de la sortie du film Haute Couture, de Sylvie Ohayon, Madmoizelle a rencontré Lyna Khoudri. Elle revient avec humilité sur son engagement, son apprentissage et sa double culture.

Entre ce que l’on s’imagine d’une célébrité après l’avoir vue dans un film et ce qu’elle est en interview, il y a généralement un monde.

Lors des journées consacrées à la presse, où les talents enchaînent les entretiens — parfois très courts, parfois plus longs, parfois filmés, parfois écrits — il y a peu de place pour l’affect, et pas de temps pour créer un vrai lien, un début de connexion.

Pourtant, c’est souvent la connexion avec un talent qui permet une bonne interview.

Lyna Khoudri, une actrice qui fait place aux autres et au temps en promo pour Haute Couture

Lyna Khoudri fait partie de ses actrices qui oublient les convenances, prennent le temps de vous répondre droit dans les yeux, sans détours, et vous proposent, même lorsque leur attachée de presse leur précise que l’Interview est finie, de lui poser d’autres questions.

Il faut dire qu’à 29 ans, Lyna Khoudri a encore le naturel et la spontanéité d’une actrice qui en veut, et surtout désire être un être humain décent avec d’être une actrice.

Actuellement à l’affiche de deux films, le nouveau Wes Anderson (The French Dispatch) et le nouveau Sylvie Ohayon (Papa Was Not A Rolling Stone), Lyna cumule les succès, les prix et les répliques cinglantes sur les plateaux télé, sans jamais se défaire d’un petit air défiant qui désarme.

On a eu la chance de la rencontrer au Plazza Athénée, à seulement quelques pas d’une boutique Dior.

Hasard ou non, Haute Couture, le film dont Lyna fait actuellement la promotion, se déroule dans les ateliers de couture de Dior — où son personnage, Jade, apprend à créer des robes aux côtés d’Esther (brillante Nathalie Baye), une couturière diabétique et dépressive, avec laquelle elle va nouer une amitié quasi-filiale.

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Lyna Khoudri, dans un pull bleu ciel à découpes et une jupe patineuse, a pris le temps de discuter avec les journalistes dans la suite réservée à la presse, avant de rejoindre chacun des médias dans une autre chambre, encombrée de caméras et de techniciens.

Nous, on a pu l’avoir pour nous toute seule, sans caméra ni technicien, juste autour d’un dictaphone et d’un carnet.

Réservée mais lumineuse, elle a répondu sans jamais prendre un air las, nous offrant une parenthèse sacrée au coeur du nouveau cinéma français.

Madmoizelle : On entend souvent dire qu’il y a peu de femmes réalisatrices. C’est faux, les réalisatrices sont nombreuses. Seulement, elles sont invisibilisées par l’industrie. Vous-même, vous avez tourné avec pas moins de huit réalisatrices différentes. Est-ce que vous remarquez des différences notables entre la direction d’un homme et celle d’une femme ?

Lyna Khoudri : Ah bon, j’ai tourné avec autant de femmes ? (Rires)

C’est con ce que je vais dire, mais une femme est une femme et un homme est un homme, donc leur manière de diriger est forcément différente. Mais vous savez ça peut être aussi très compliqué de tourner avec une femme parce que, justement, ça peut bloquer à certains endroits, avec un phénomène de projection. Moi ça ne m’est jamais arrivé mais j’imagine qu’une réalisatrice qui se projette sur son actrice, ça peut parfois mal se passer.

En tout cas moi j’ai eu beaucoup de chance car je n’ai eu à faire qu’à des réalisatrices qui m’ont portée et à des hommes qui ont été très doux dans leur manière de s’adresser à leur équipe — et qui étaient, surtout, très professionnels.

Les films sociaux et engagés vous ont portée au rang d’actrice incontournable : Papicha vous a offert le César du meilleur espoir féminin, Les Bienheureux celui de la meilleure actrice à la Mostra de Venise. Haute Couture parle de l’ascension social et du transfuge de classes. Est-ce que c’est important pour vous de faire du cinéma engagé qui œuvre pour une société plus juste ?

Carrément ! Moi j’ai grandi comme ça, en regardant des films qui m’ont fait réfléchir et qui m’ont amenée à une pensée qui évolue. Le cinéma m’a toujours aidée — soit à décompresser, soit à me détendre, soit à réfléchir. Et surtout à réfléchir.

C’est pour ça que j’aime le cinéma d’auteur un peu intello, que parfois je ne comprends pas. Quand j’ai découvert Bergman, je ne comprenais rien, mais j’ai voulu comprendre justement.

Pour moi le cinéma c’est politique, donc si on peut aider à faire changer les choses et à faire réfléchir les gens en proposant des histoires sur des écrans, c’est merveilleux.

On a lu une Interview de vous où vous parliez d’écologie et du fait qu’on ne peut plus fermer les yeux sur le n’importe quoi qu’est devenu le monde. Vous vous considérez comme une actrice engagée ?

Faire du cinéma, c’est déjà une forme d’engagement. Parce qu’à travers les films et mes rôles, j’exprime mes opinions. En plus, on les expose au monde, donc c’est une sorte de prise de parole publique.

En ça, j’estime que je suis engagée. Politiquement en revanche, pas du tout. Je ne me sens pas concernée par les débats politiques. Déjà parce que ça m’ennuie, ensuite parce que je ne me sens représentée par personne.

J’ai grandi dans le 93, à Aubervilliers, avec un tissu associatif extrêmement développé — j’ai fait des voyages humanitaires à 17 et 18 ans par exemple. Pour moi elles sont là les actions politiques concrètes. À mes yeux, il n’y a pas plus politique que d’agir dans son quotidien pour aider les autres.

Alors ça me va, et je vis mon engagement comme ça.

Vous êtes née en Algérie, puis vous vous êtes installée en France avec votre famille. Est-ce que cette double culture a impacté votre carrière à un moment donné — un peu comme pour le personnage que vous jouez dans Haute Couture, qui doit faire face au racisme de certaines collègues et essuyer des clichés ?

Jamais. J’ai eu beaucoup de chance. J’en ai entendu, des histoires… J’ai fait des cours de théâtre, au Théâtre National de Strasbourg, où j’ai entendu des amis à moi auxquels on a demandé de faire l’« accent africain » pour un casting, de venir en boubou, enfin des trucs abusés.

Pour moi, Dieu merci, ma double culture n’a été qu’un avantage. Parler arabe, par exemple, m’a permis de faire Papicha. Ça n’est que du positif : je ne suis tombée que sur des bonnes personnes. J’ai eu de la chance.

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Ça ne veut pas dire que les mauvaises ne sont pas là, mais ça signifie que les bonnes personnes existent. Il faut penser au positif.

Pour parler un peu plus du film, est-ce que vous avez dû apprendre à coudre auprès de petites mains, la caméra étant souvent braquée sur vos gestes dans Haute Couture ?

Loin de moi la prétention de dire que j’ai appris ne serait-ce qu’un pour cent de ce qu’elles savent faire ! Parce que c’est incroyable, mais vraiment incroyable les heures passées sur des robes, la technique… l’inventivité aussi, parce que souvent on leur demande de faire des choses qui sont à peine réalisables.

Je me souviens d’une conversation avec une première d’atelier, notamment, qui était face à un gros problème. Les filles ne comprenaient pas comment elles allaient réaliser une robe parce que tel tissu ne marchait pas, que ça allait glisser, etc. Elles redoublent toutes d’inventivité. Elles ne sont pas juste des faiseuses, elles font partie entièrement du processus de création.

Tout ça pour dire qu’on a appris un tout petit peu à coudre. Par exemple, j’ai appris à faire de petits ourlets, des ourlets couture et j’ai appris un petit peu à broder. Mais c’est tout.

Camille Cottin nous a récemment raconté qu’elle avait tout le temps le trac avant de tourner, d’autant plus maintenant qu’elle travaille avec les gros bonnets d’Hollywood. Est-ce vous avez encore plus le trac depuis que vous bossez à l’international, notamment avec Wes Anderson sur The French Dispatch ? Et surtout, comment vous faites taire le syndrome de l’imposteur (si tant est que vous l’ayez) ?

Oui, j’ai toujours le trac. Après, on le gère plus ou moins bien selon les séquences.

Je sais que si je vais tourner une partie qui est plutôt tranquille, ça va aller mais dès que ce sont des séquences plus engagées avec quelque chose à défendre, une émotion particulière ou des moments charnières dans la narration du film, là je vais commencer à stresser beaucoup.

Et ce que je me dis tout le temps, c’est qu’il y a mille manières de faire, qu’il faudrait mille prises pour toutes les explorer. Et encore, mille prises ça ne suffirait pas. Je ne serais même pas satisfaite. Même là, on vient de finir le nouveau film de Mounia Meddour [avec qui Lyna Khoudri a travaillé sur Papicha, ndlr] et on a toujours autant le trac.

Alors c’est plus détendu parce qu’on se connait, mais parfois on se regarde et on a peur. Je crois que ça ne change jamais.

Lyna Khoudri retrouve sa réalisatrice fétiche

Malheureusement interrompu par un chrono qui tourne même quand on essaie de l’oublier, notre échange avec Lyna Khoudri en est resté à l’évocation de ce stress qui, décidément, ne semble jamais quitter les comédiennes, même lorsqu’elles ont fait leurs preuve.

Et ses preuves, Lyna Khoudri les a faites ! Dans Haute Couture — actuellement en salles — mais aussi dans The French Dispatch, Papicha, Novembre, Hors Normes, Qu’un sang impur, Luna, Les bienheureux… autant de films, souvent façonnés par des femmes, qui montrent la pluralité de ses talents.

Lyna Khoudri a déjà gouté à l’international, et bien qu’elle y brille, notamment aux côtés de Timothée Chalamet et Bill Murray, elle ne boude pas ses amours premières et sera de nouveau à l’affiche du prochain Mounia Meddour : Houria.

Pour l’heure, elle fait des pieds de nez à Yann Barthès dans l’émission Quotidien, où elle répond, lorsqu’il lui demande de parler de Zemmour : « Vous ne voulez pas qu’on parle des gens qui apportent de la lumière plutôt ? »

Et parce qu’on ne saurait mieux finir qu’elle ne vous le propose, on ne peut que conclure en vous suggérant d’aller en salles découvrir Haute Couture.

À lire aussi : Dexter is back ! Mais le retour du serial killer était-il vraiment nécessaire ?


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