À l’investiture américaine, Amanda Gorman avait marqué les esprits par son look et son poème « The Hill We Climb ». La voilà nommée ambassadrice Estée Lauder. Bien plus qu’une muse muette, elle est devenue porte-parole d’une génération.
Vous vous souvenez de la dernière fois que vous avez vu un poète vivant en couverture de magazine ? Moi non plus. Lentement mais sûrement, la poétesse Amanda Gorman change pourtant la donne, confirmant un nouveau paradigme d’égérie en signant avec la marque beauté Estée Lauder : il ne suffit plus d’être jolie et de souhaiter pieusement la paix dans le monde pour inspirer, il faut désormais s’engager. Vraiment.
Après l’investiture américaine vient le contrat de mannequin
Vous vous souvenez peut-être d’elle, à l’investiture américaine de Joe Biden et Kamala Harris, le 20 janvier 2021 : Amanda Gorman portait un manteau jaune soleil, un serre-tête de satin rouge et une mise en beauté lumineuse, pour servir son éloquence hors du commun.
Aussitôt, presque tout ce qu’elle portait a été en rupture de stock, tandis que les recherches pour des modèles similaires ont bondi de 1328% d’après l’entreprise de e-commerce Lyst.
Face à tant d’influence, l’industrie de la mode a commencé à s’intéresser de plus près au phénomène Amanda Gorman.
Forcément, une agence de mannequins s’est empressée de signer cette autrice prodige et étudiante en sociologie à Harvard : IMG Models, soit la même maison que Kate Moss, Cara Delevingne, et les soeurs Gigi et Bella Hadid.
Dans la foulée, elle s’affiche en couverture du Time Magazine, où elle se voit interviewée par nulle autre que Michelle Obama. L’artiste y raconte notamment à l’ancienne première dame comment la poésie lui sert d’outil de compréhension du monde et des futurs possibles. Soit une parole de poète rarissime en couvertures de magazines :
« La poésie est un prisme par lequel on peut interroger l’histoire dans laquelle nous vivons et l’avenir que nous défendons. Ce n’est pas un hasard si au pied de la Statue de la Liberté, il y a un poème. Notre instinct est de nous tourner vers la poésie lorsque nous cherchons à communiquer un esprit plus grand que nous. »
Rares sont les mannequins à finir en Une du Time, mais qu’une jeune artiste comme Amanda Gorman y figure signale qu’elle n’a pas tapé dans l’œil des industries de la mode et de la beauté uniquement pour son physique (qui correspond quand même à beaucoup de critères esthétiques en vigueur actuellement).
C’est aussi par sa capacité à susciter des conversations engagées et s’imposer dans l’agenda culturel mais aussi politique qu’elle a su marquer — en d’autres termes, sa compétence à parler et se faire entendre bien au-delà de l’entre-soi des microcosmes homogènes et endogames de la mode et de la beauté.
La poétesse évoque d’ailleurs l’injonction à l’exemplarité qu’elle subit particulièrement en tant que femme noire, auprès de Michelle Obama qui ne connaît que trop bien le sujet elle aussi :
« Lorsque vous êtes propulsée pour la première fois à un stade de visibilité, vous essayez de vous représenter au mieux sans forcément en avoir les moyens.
Pour les femmes noires, il y a aussi la politique de la respectabilité — malgré nos meilleures tentatives, on nous reproche de ne jamais être assez ; mais quand nous le faisons, nous sommes jugées tapageuses. Nous marchons continuellement sur cette ligne trop ténue entre qui nous sommes vraiment et comment le grand public nous considère. »
La poétesse qui fait rimer engagement artistique et commercialité
C’est donc à la fois en tant qu’artiste engagée et future gravure de mode qu’Amanda Gorman a ensuite fait la couverture du Vogue américain de mai 2021, puis duWall Street Journal, tandis que son recueil de poésie The Hill We Climb caracolait dans les tops des ventes de livre du pays, preuve qu’elle parvient à faire rimer ce qui aurait pu sembler impossible : engagement artistique et commercialité.
À l’ère où la pandémie menace la pérennité des événements mode et les réseaux sociaux favorisent les prises de parole engagées, ce n’était donc qu’une question de temps avant qu’Amanda Gorman ne soit nommée comme ambassadrice d’une prestigieuse marque — Estée Lauder, depuis septembre 2021.
On a failli attendre, et pour cause : la poétesse a refusé différentes propositions de marques depuis janvier. Si elle a enfin accepté ce contrat, c’est parce qu’elle a signé pour être bien plus qu’un visage et qu’un porte-parole : elle est Global Changemaker. Comprendre : opératrice d’un changement global.
Plutôt que de se contenter d’afficher sa tête sur les campagnes de maquillage de la marque, Amanda Gorman a obtenu que l’entreprise lance Writing Change (écrire le changement), un ensemble de subventions d’une valeur de 3 millions de dollars pour promouvoir l’alphabétisation des jeunes filles et des femmes à travers le monde.
Cinquième femme noire à être nommée ambassadrice d’Estée Lauder en 75 ans d’existence de la marque (après Liya Kebede, Misty Copeland, Adut Akech, et Anok Yai), Amanda Gorman s’impose donc avec éclat et intelligence.
Alors qu’elle sera co-hôtesse du Met Gala le 13 septembre 2021, et s’apprête à sortir deux ouvrages (des comptines pour enfants Change Sings fin septembre, et un recueil de poésie Call Us What We Carry en décembre 2021), vous allez sûrement encore beaucoup voir sa tête. Et entendre parler d’elle, par elle-même.
Cela se fera-t-il au prix de son intégrité artistique ? L’avenir le dira, mais en attendant, Amanda Gorman a d’ores et déjà le mérite de contribuer à repopulariser la poésie engagée.
Le buzz autour de cette poétesse a quand même pas mal été entretenu entre janvier et maintenant par la question de la traduction de son œuvre (qui, qu'on soit d'accord ou pas, a permis des débats intéressants).
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