Le mal se cache dans les détails. Samedi 17 juin 2023, sur le plateau de l’émission Quelle époque !, diffusée sur France 2, la membre du jury de Drag Race France Daphné Bürki est revenu sur une plaisanterie de Paul de Saint-Sernin adressée à Thierry Ardisson.
Daphné Bürki à Paul de Saint-Sernin : « Je vous souhaite de vous faire enculer »
Alors que l’humoriste venait d’employer le terme « enculé », l’animatrice rétorque :
« En fait, je ne supporte plus le mot enculé. C’est une insulte homophobe. Et moi je vous souhaite de vous faire enculer car ça peut être très chouette. Il faut arrêter avec ça [se servir du terme comme d’une insulte]. Ça me fatigue. Arrêtez avec cette insulte. »
Pourquoi « enculé » ne devrait pas servir d’insulte
Le plus affligeant réside dans le contexte et la suite de cette séquence, puisque Daphné Burkï était présente sur le plateau de l’émission pour y faire la promotion de Drag Race France saison 2, aux côtés des drag queens de l’émission. Plutôt que de saluer la pertinence de l’animatrice, Christophe Dechavanne (65 ans) tente d’expliquer en quoi il existerait des moments où l’emploi de ce terme aurait toute sa place en tant qu’insulte, avant que Thierry Ardisson (74 ans) ne surenchérisse : « Là, tu [Daphné Bürki] fais régner le politiquement correct. »
Daphné Bürki tente ensuite de les caresser dans le sens du poil tandis que Julie Gayet, également présente en plateau, soutient la jury de Drag Race France, pendant que Léa Salamé tente d’apaiser l’atmosphère. On ne se risquera pas à mettre sur le seul compte de l’âge la défense de l’emploi du terme « enculé », puisque c’est Paul de Saint-Sernin (31 ans) qui l’emploie le premier, et que l’insulte résonne dans bien trop de stades de football par exemple. En revanche, on peut remarquer que ce sont surtout des hommes cis hétéros qui tiennent tant à pouvoir continuer d’utiliser ce terme comme une insulte soi-disant décorrélée de toute homophobie.
Or, il n’en est rien. Alors que les paroles et les actes LGBTphobes continuent de se multiplier en France et dans le monde, difficile d’ignorer le continuum de violences entre la banalisation de ce genre d’insultes soi-disant non-homophobes, et les agressions verbales, physiques, parfois mortelles qui persistent à cause de l’homophobie. Car c’est ce genre de petites blagues faussement innocentes qui contribuent à faire le lit des LGBTphobies. A fortiori quand elles sont exprimées à la télévision, sur le service public, à une heure de grande écoute, puis lorsque leur recours est défendu par d’autres hommes en plateau, dans une forme de réflexe de solidarité cis hétéro masculine révélatrice.
Daphné Bürki illustre comment être une alliée face à des propos offensants qui ne nous visent pas directement
Certes, les drag queens (qui connaissent bien ce genre de violences, aussi bien dans leur art que dans leur vie civile en tant que personnes queer) n’ont peut-être pas osé réagir, mais les femmes en plateau ont tenté de faire comprendre en quoi l’usage de ce terme posait question. Si « enculé » est utilisé comme insulte principalement par des hommes, c’est parce que cela induit qu’être pénétré serait un acte infamant. On peut aussi comprendre par là les liens évidents entre misogynie et homophobie, mais aussi la solidarité entre les femmes et les personnes queers (qui peuvent évidemment être des femmes).
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Enfin, cette séquence illustre aussi la façon dont on peut s’affirmer comme une personne alliée lorsque des propos offensants à l’encontre de personne minorisées sont tenus devant soi, sans qu’ils ne nous attaquent directement. Alors que les premières personnes concernées n’osent pas forcément réagir, de peur d’être caricaturées comme paranoïaques, hypersensibles, ou qu’elles peuvent tout simplement être sidérées, d’autres peuvent prendre le relai. Et c’est peut-être aussi parce qu’elle n’est pas perçue comme concernée que Daphné Bürki bénéficie du privilège de paraître objective (l’objectivité n’étant que la subjectivité des dominants).
Les Commentaires
Ensuite, tu n'as techniquement pas tort sur le second paragraphe sauf que je ne pense pas que les insultes soient le seul problème. J'ai déjà eu du mal à exprimer mon malaise dans un groupe de féministes qui se vantaient d'être très ouvertes et d'accepter tout le monde. Il n'y avait techniquement aucun dénigrement, du moins pas ouvertement. Ca n'empêchait pas que l'ambiance n'était pas des meilleures. Le fait de bannir les insultes de son langage, ça ne veut pas dire que les relations seront plus saines. Je parle de mon groupe d'amis parce qu'à l'inverse, on se charrie tous autant les uns que les autres, mais je n'ai jamais ressenti autant de confiance envers des gens qu'envers eux, parce que derrière les insultes qu'on se balance de temps en temps pour se vanner, je n'ai jamais eu de relation aussi saine et apaisante. Le fait de dire une insulte ne veut pas dire qu'on se déteste parce qu'en fait, tout dépend de l'intention qu'on met dans un mot. Il y a des gens qui ne pourront clairement pas supporter ça et ne pourront pas faire parti de notre groupe d'amis, et ce n'est pas grave. Parce que derrière, peut-être que nous il y a aura quelque chose qui nous rebutera aussi chez d'autres personnes.
En soit, et d'ailleurs, quand je dis qu'on a un humour assez large et ouvert, je veux dire qu'on est capable d'autodérision. Ca ne veut pas dire qu'on accepte ce genre d'humour de la part de n'importe qui et à n'importe quel moment. Une fille du groupe a essuyé il n'y a pas longtemps une blague sexiste et particulièrement dégradante d'un de ses collaborateurs, et ça ne nous a pas fait rire ; ce n'était pas drôle dans ce contexte.