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Cinéma

Ce film poétique met à l’honneur la cérémonie du thé japonaise

Dans un jardin qu’on dirait éternel sort dans les salles françaises mercredi 26 août. Rare témoignage d’une tradition ancestrale, l’œuvre de Tatsushi Ōmori est une ode à la contemplation et une invitation à se reconnecter à l’essentiel.

« Lorsque nous vivons une époque difficile, lorsque nous perdons confiance en nous dans les ténèbres, le thé nous enseigne : « Vis le présent dans une perspective de temps long. » »

C’est sur cette méditation que s’ouvre le best-seller La Cérémonie du thé – Ou comment apprendre à vivre le moment présent – de l’autrice japonaise Noriko Morishita, qui a tenu d’inspiration au film Dans un jardin qu’on dirait éternel, en salles mercredi 26 août 2020.

Dixième long métrage de Tatsushi Ōmori, ce drame japonais est le dernier rôle de la surprenante actrice Kirin Kiki, notamment connue du public français pour son interprétation de Tokue dans Les Délices de Tokyo. Au Japon, le film a connu un immense succès en réunissant plus de 1,3 millions de spectateurs.

À travers l’art de la cérémonie du thé, Dans un jardin qu’on dirait éternel invite à se reconnecter à l’instant présent et à poursuivre son chemin spirituel personnel, en se soustrayant du quotidien et des contraintes de la société.

Dans un jardin qu’on dirait éternel, une ode à la vie

Bien loin du sachet de thé Lipton absorbé entre deux rendez-vous, la voie du thé, dite sadō ou chadō, n’est pas une dégustation ordinaire. Au Japon, la cérémonie du thé est un art et une tradition qui se transmettent et s’apprennent tout au long d’une vie.

© ArtHouse Films
© ArtHouse Films

C’est cette vie que raconte la narratrice et figure principale du film Dans un jardin qu’on dirait éternel, Noriko Morishita.

À 20 ans, Noriko ressemble à de nombreuses jeunes japonaises. Parvenue à la fin de ses études universitaires de littérature, elle peine à intégrer une maison d’édition. Au détour d’une conversation, sa mère l’interroge :

« Dis, Noriko, pourquoi ne pas prendre des cours de thé, toi aussi ? »

Entraînée par l’enthousiasme de sa cousine Michiko, elle prend le chemin de la maison de thé de madame Takeda tous les samedis après-midis. Lent, fastidieux et rigoureux, l’apprentissage de l’art du thé n’est pas loin de décourager Noriko.

Mais au fil des années, confrontée à des événements de vie difficiles et à force de persévérance, Noriko perçoit progressivement la voie spirituelle que lui offre le chemin du thé. Petit à petit, ces parenthèses poétiques et philosophiques deviennent des moments privilégiés pour contempler les subtilités du passage des saisons.

« Printemps, été, automne, hiver. Selon l’ancien calendrier, ces quatre temps se divisent en vingt-quatre. Mais pour moi, chaque samedi, chaque séance de thé était en fait une saison singulière. C’était un jour où il pleuvait abondamment. Je m’oubliais dans l’écoute du  bruit de l’averse. Subitement, j’eus l’impression que la pièce où je me tenais avait disparu : j’étais en plein milieu de l’ondée torrentielle. À mesure que j’entendais la pluie, j’étais devenue cette pluie même, c’était moi qui tombais du ciel, frappais les arbres du jardin de la maîtresse de thé.

« C’est donc ça être vivante ! »

[…] Au fil du temps, nous rencontrons tous des événements qui nous ouvrent les yeux et nous découvrons le progrès que nous avons accompli à ces diverses occasions.

Le thé, cependant, par sa nature exempte de tout superflu, nous permet de nous rendre compte de ces « progrès imperceptibles à nos yeux et pourtant bien réels ». Au début, on ne comprend pas bien ce que l’on fait. Mais un jour, subitement, on embrasse une perspective beaucoup plus large. Cela ressemble à la vie. »

La Cérémonie du thé – Ou comment apprendre à vivre le moment présent –, Noriko Morishita

Dans un jardin qu’on dirait éternel est une capsule de tradition japonaise hors du temps. Sans époque, il arrête l’horloge pendant une heure quarante pour livrer des plans dirigés comme des tableaux. Dans l’exiguïté de la salle de cérémonie du thé, le spectateur est agenouillé et observe avec curiosité et minutie la pièce qui se joue, rodée au millimètre près.

Peu habitué aux codes contemplatifs et lents des drames japonais, le regard occidental n’est ici pas un frein mais il sera plus confortablement guidé dans la pénombre et le calme d’une salle de cinéma. Le thème du film invite à savourer les scènes dans leur plus pure pureté, en se laissant porter tantôt par le ruissellement de l’eau sur la roche, tantôt par les éclats de vie de Niroko et Michiko.

Dans un jardin qu’on dirait éternel, une rupture avec la société et ses injonctions

Il suffit de visionner quelques épisodes de Terrace House

ou des documentaires sur le Japon moderne pour effleurer nos différences culturelles. Mais au Japon, comme en France, le poids de la société sur les individus peut-être asphyxiant.

De ses 20 à 40 ans, Niroko est en proie aux projections de ses proches : que va-t-elle faire de sa vie ? Quel métier va-t-elle exercer ? Quand rencontrera-t-elle l’amour ? Quand se mariera-t-elle ? Consacrera-t-elle sa vie à sa famille ?

La pression à s’épanouir et à s’accomplir en tant qu’individu tout en contribuant à l’ordre social est omniprésente dans la société japonaise. Les individus sont enjoints à rester dans la norme, à ne pas faire de vagues, à se fondre dans le groupe.

Pour les femmes, cette norme se retranscrit encore souvent dans un parcours très fléché : si elles sont plus nombreuses à mener des études supérieures et à travailler, l’arrivée du premier enfant est un frein à leurs ambitions et elles sont une majorité à démissionner dès sa naissance.

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© ArtHouse Films

D’aucuns pourraient penser que cette injonction à la perfection et à rentrer dans le moule se traduit dans l’exécution au cordeau de la chorégraphie d’une cérémonie du thé. Mais au contraire, ce sont les samedis après-midis qui permettent à Niroko de s’extraire de cette routine et de ce chemin tout tracé.

Alors qu’elle vit des moments difficiles, les cérémonies du thé lui permettent de se recentrer sur l’instant présent et d’accueillir les émotions vives qui la traversent, sans jugement et en prenant de la distance vis-à-vis des injonctions de la société japonaise. Au début carcan rigide, la cérémonie se transforme en une bulle de liberté individuelle.

Dans un jardin qu’on dirait éternel de Tatsushi Ōmori

En salles le 26 août (VOSTFR)

Comment se déroule une cérémonie du thé japonaise ?

Dans un jardin qu’on dirait éternel est bien fidèle à la tradition qui parcourt la cérémonie du thé japonais, aussi appelée cha no yu. 

Très codifiée, son exécution demande un apprentissage et une rigueur qui ne souffrent aucun écart. La cérémonie du thé au matcha peut durer jusqu’à quatre heures si elle comprend toutes les étapes, du repas léger au thé fort, en passant par le thé léger.

Au Japon, en dehors des cérémonies touristiques, seules les personnes familières des gestes à adopter, des phrases à prononcer et de la tenue vestimentaire à arborer peuvent y participer.

© ArtHouse Films
© ArtHouse Films

Cet art est donc réservé à une population privilégiée et est perçu comme une tradition plutôt conservatrice. Dans La Cérémonie du thé, l’aspect bourgeois et vieillot de la pratique manque d’ailleurs de décourager Noriko, qui soupçonne ses parents de l’y diriger pour attirer un jeune homme de famille fortunée…!

S’il y a quelques siècles, l’art du thé était principalement maîtrisé par les guerriers samouraï, ce sont les femmes qui l’ont investi après la Seconde Guerre mondiale.

Pendant la cérémonie, les maîtres utilisent plusieurs ustensiles et objets : une longue louche en bambou, un bol, une boite et une écope à thé, un fouet en bambou, un tissu pour nettoyer le bol et un carré de soie pour nettoyer l’écope et manipuler le couvercle de la bouilloire.

En fonction des saisons et des événements, la cérémonie évolue, il existe ainsi plusieurs variantes et préparations. L’une d’elles est démontrée dans cette vidéo de la Maison de la Culture du Japon.

Le thé est le protagoniste de la cérémonie mais les maîtres préparent en réalité tout un contexte pour que sa dégustation soit empreinte de sérénité et de spiritualité.

Les maîtres du thé sont ainsi souvent formés à l’ikebana (l’art de l’arrangement floral japonais) et ils accrochent une peinture ou une calligraphie poétique dans une alcôve, afin que les invités puissent les admirer en silence.

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© ArtHouse Films

Le contexte déborde aussi dans l’odeur du tatami au sol, les couleurs des kimonos que portent les convives, les sons qui émanent des jardins japonais souvent accolés aux maisons de thé et la position agenouillée, caractéristique de cette tradition japonaise.

Comment assister à une cérémonie du thé ?

Dans un jardin qu’on dirait éternel relancera sans nul doute l’intérêt pour les cérémonies du thé et la dégustation du matcha. En France, certaines démonstrations sont organisées dans des institutions comme la Maison de la culture du Japon, le Musée Guimet ou le salon de thé traditionnel Jugetsudo by Maryuma Nori à Paris.

Ces cérémonies sont plutôt rares, affichent des prix variables et se déroulent plus ou moins en intimité. Les cérémonies du thé sont différentes selon les pays et ne sont donc pas exécutées de la même façon au Japon, en Chine ou en Corée.

Pour les amatrices de matcha qui veulent se passer du cérémonial, d’autres solutions existent pour en goûter d’excellents : quelques salons de thé proposent de délicieux thés accompagnés de pâtisseries et offrent un voyage instantané au Japon, à l’instar de Tomo à Paris, Mubyotan à Lyon ou Midori à Strasbourg.

Dans un jardin qu’on dirait éternel est un voyage au Japon bienvenu, en cette période où les déplacements sont malheureusement restreints par le contexte sanitaire.


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Les Commentaires

4
Avatar de KittyKiller
26 août 2020 à 13h08
KittyKiller
Je suis contente qu'il sorte enfin en France ! Je me rappelle du décès de Kiki Kirin, il y a deux ans ; j'avais cru que son dernier film était Une affaire de famille, qui était sorti peu après, mais je me rappelle effectivement qu'une Japonaise m'avait dit qu'il y en avait un autre, seulement il aura mis longtemps à être importé haha. J'ai un point de vue sans doute biaisé par rapport à @Iphise car je vis à Paris, où pas mal de films japonais sortent dans les MK2 ou dans des cinés indépendants (et puis je vais souvent dans le quartier japonais, je lis de temps en temps des journaux franco-japonais, donc je vois passer toutes les sorties, même si elles ne se font que dans quelques salles). Mais Tatsushi Omori est sans doute moins connu en France que Kore-Eda (la plupart de ses films sont sortis en salles, bien avant Cannes), Kiyoshi Kurosawa (surtout depuis Tokyo Sonata) ou Naomi Kawase (primée très tôt en Europe). Et tout(e)s sont aussi certainement moins populaires que les réalisateurs des années 60-70.
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