« Je crois que je suis malade.
Cette maladie me donne à penser que je dois toujours être fort, dominant, performant. Que je ne dois surtout pas montrer d’émotivité, de sensibilité.
C’est pour les femmes.
Elle m’indique également que je n’ai pas le choix. Malgré son caractère nuisible, je dois vivre avec elle et revendiquer sa présence en moi pour ne pas faire tâche, pour être considéré.
Cette maladie, enracinée au plus profond de moi, a pris ses quartiers dans toutes les sphères de ma vie. »
Ces mots puissants sont ceux de Sikou Niakate, 28 ans, réalisateur du documentaire inspiré de sa vie Dans le noir, les hommes pleurent.
La maladie dont il souffre : les normes de la masculinité qui pèsent sur lui.
Dans le noir, les hommes pleurent, un documentaire poignant sur la masculinité
Dans le noir, les hommes pleurent est un documentaire plein de sensibilité qui dresse le portrait de la masculinité de Sikou et de quatre hommes ayant grandi dans des quartiers pauvres de Paris.
Sikou, Jules, Ange, Okba et Paul parlent sans filtre des souffrances associées au fait d’être un homme. Ils abordent des thèmes intimes tels que les émotions, la sexualité et le manque de confiance en soi.
Des témoignages courageux, alors qu’il est souvent si difficile de parler de sa vulnérabilité en tant qu’homme !
Ce documentaire m’a profondément émue et donné de l’espoir.
Espoir que la parole des hommes continue à se libérer, et qu’hommes et femmes puissent dans le futur s’affranchir des injonctions de genre qu’ils et elles subissent !
Je te laisse découvrir le film, en espérant qu’il te touchera autant que moi :
Questions à Sikou Niakate, le réalisateur de Dans le noir, les hommes pleurent
J’ai contacté Sikou pour lui poser quelques questions sur son film. Notre échange était passionnant !
- Qu’est-ce qui t’a poussé à réaliser ce documentaire ?
J’ai vécu un deuil amoureux qui m’a profondément bouleversé. La douleur de cette rupture m’a fait m’intéresser à la masculinité et aux obligations qui en découlent.
J’ai alors eu besoin d’aller voir chez les autres si j’allais trouver la même chose que chez moi. J’ai dirigé mon film comme une exploration.
A la base, c’était un subterfuge pour avoir une conversation avec mes potes !
Je les ai interrogés sur leur intimité avec caméra et micro, car je pressentais que je n’aurais pas eu le même degré de mise à nu dans une conversation normale.
Dans ma tête, je me disais « dites-moi que vous êtes comme moi, s’il vous plaît ! ».
Je ne pensais même pas sortir un docu. Je me disais « si les témoignages sont bons, j’en ferai peut-être quelque chose ». C’est ce qu’il s’est passé.
Puis quand le projet était lancé, ce qui m’a motivé, c’est que j’aurais tellement aimé voir un tel film plus jeune ! J’aurais tellement aimé savoir que je n’étais pas le seul à être dans une prison intime.
J’espère, à travers mon film, montrer aux autres hommes qui vivent ce genre de choses qu’ils ne sont pas seuls.
- Qui sont les hommes que tu as interviewés ?
Ce sont uniquement mes amis proches. Au début, je voulais travailler sur un panel beaucoup plus large, j’avais prévu une trentaine d’interviews avec des hommes aux profils très variés.
Mais j’ai changé d’avis et me suis concentré sur quatre histoires, pour que mes amis deviennent des personnages à part entière.
- Tu ne t’étais jamais intéressé au sujet de la masculinité avant ta rupture ?
Non. Avant, je n’avais jamais remis ma masculinité en question. Je mesure 1m95 depuis l’adolescence, je suis grand, noir, j’ai une carrure sportive…
Aux yeux des autres, ma masculinité était bien affirmée. Mais ma perception de moi-même dans l’intime était totalement différente. J’avais peur qu’on découvre que je n’étais pas qui j’avais l’air d’être.
Cela m’a posé problèmes dans mes relations avec les femmes.
Avant ma dernière rencontre amoureuse, je me disais que je ne serais jamais en couple de ma vie, que je n’aurais jamais de relation intime car je préférais ne rien faire et garder mon image intacte plutôt que de prendre le risque de me ridiculiser.
Depuis ma rupture, je me suis rendu compte que si je veux avoir de nouvelles relations, je dois me guérir, je dois creuser ça.
- Quel message veux-tu faire passer dans ton film ?
Je ne veux pas vraiment faire passer de message.
C’est pour ça que je n’ai pas interrogé de spécialistes, comme des psychologues ou des sociologues. Je voulais seulement restituer des points de vue, sans instaurer de hiérarchie entre les paroles.
Mon objectif, c’était de mettre en lumière la voix de ceux qui n’ont pas la parole. C’est ce que j’ai fait en choisissant de filmer des hommes issus du même milieu que moi, c’est à dire des quartiers populaires.
Dans mon travail, j’essaye toujours de représenter l’invisible, de dire ce qui n’est pas dit, ce qui n’est pas considéré.
Or, une des caractéristiques de la masculinité, c’est qu’il ne faut surtout pas s’en plaindre, elle est censée être valorisante. On ne peut pas dire qu’on en souffre.
- Tu t’intéresses à des hommes ayant grandi dans des quartiers pauvres dans ton documentaire. Leur masculinité est-elle différente de celle d’hommes d’autres milieux ?
Je pense que dans chaque milieu, la masculinité se manifeste différemment.
Dans les quartiers pauvres, nous sommes dépossédés de beaucoup choses, comme les capitaux culturels et économiques. Ce qu’il nous reste alors, c’est notre corps.
Dans le milieu d’où je viens, la masculinité s’exprime par le corps. Cela passe par des injonctions à se muscler, à paraître performant sportivement mais aussi sexuellement.
Il faut avoir un corps imposant pour montrer que malgré toute la dépossession que nous subissons, malgré les oppressions, nous restons hommes.
Un corps fort véhicule l’image d’une absence de faiblesses, d’une absence de peurs. Il faut aussi avoir une attitude qui corrobore ce que notre corps exprime.
- Quels retours as-tu reçu sur Dans le Noir, les hommes pleurent ?
Les retours sont bouleversants, je ne m’attendais pas à ça !
Beaucoup de personnes m’ont envoyé des messages en m’évoquant des larmes, beaucoup m’ont remercié.
Notamment des personnes dont je ne me serais pas attendu à ce qu’elles soient aussi touchées. J’ai par exemple reçu un mail particulièrement ému d’une grand-mère !
Quant à moi, ce film m’a sauvé la vie.
Merci Sikou d’avoir répondu à mes questions avec autant de sincérité ! Et toi, chère lectrice, qu’as-tu pensé de Dans le noir, les hommes pleurent ?
À lire aussi : Pourquoi les hommes ne parlent (presque) jamais de leurs complexes
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Les Commentaires
C'est terrible l'effet des préjugés (sur telle ou telle catégorie de personnes) !
Au passage, à l'intention de @littlerudy (et de toute madz bien sûr ), petit rappel (déjà fait dans d'autres posts) d'un ouvrage d'Olivia Gazalé. Titre : "Le mythe de la virilité"", sous-titre : "un piège pour les deux sexes".
L'auteure est philosophe et féministe, son bouquin est très agréable et facile à lire, et très instructif.