Dernier paru dans la collection Métamorphose chez Soleil, Dans la forêt nous invite dans un monde étrange, organique et plein de poésie.
Anna est une petite fille cloîtrée dans le manoir familial sur ordre de sa mère, qui veut la protéger d’une nature qui la fascine pourtant bien plus qu’elle ne l’effraie. Mais un soir, une bande de crapauds kidnappe sa poupée, et elle part à leur poursuite pour la récupérer, entrant alors en ce lieu interdit qu’est la forêt…
Dans la forêt nous emmène avec Anna dans des endroits tantôt lugubres, tantôt lumineux, habités par des créatures effrayantes et sublimes. Lionel Richerand, l’orfèvre de ce joli titre, nous offre un conte qui ravira tou-te-s les amateurs-rices du genre. On frissonne car on a peur de ce qui peut arriver à cette petite fille, mais elle avance sans crainte. La nature grouillante, qui s’échappe des cases, finit par titiller tous nos sens, sensation assez inédite en BD. On entend les bruissements des milliers de petites pattes qui foulent le sol dans l’obscurité, on ressent la fraîcheur de la nuit sur notre nuque. Et puis, bien sûr, il y a cette odeur très organique, où se mêlent la terre, la mousse, les champignons, le bois mouillé, la respiration des animaux, qui finit par nous chatouiller les narines. Tout ça, l’auteur arrive à nous l’évoquer par son trait riche de mille détails, sublimé par des couleurs pleines de finesses. Il nous raconte une histoire, teintée de fantastique, de monstres et de secrets, et on la ressent bien plus qu’on ne la lit. C’est un moment suspendu, une nuit faite de songes qui bouleversent l’ordre établi.
On pense aux contes qui nous ont marqué enfant, à l’univers un peu fou de Lewis Caroll, mais aussi, plus proche de nous, à Miyazaki. Plaisir supplémentaire, la fin de l’ouvrage est en fait un guide cryptozoologique, qui nous en dit plus sur les créatures que l’on a croisées. Un carnet pleins de dessins superbes, mais aussi de détails passionnants qui nous en disent plus sur l’histoire que l’on vient de lire.
C’est encore une fois une belle surprise que nous réserve la collection Métamorphose… J’ai rencontré l’auteur, Lionel Richerand, à Angoulême, et lui ai posé quelques questions.
Lionel Richerand, l’interview
Est-ce que vous pouvez vous présenter, nous raconter un peu votre parcours ?
Je m’appelle Lionel Richerand, c’est mon troisième album, mais le premier chez Soleil, dans la collection Métamorphoses. Je me suis mis tardivement à la bande dessinée, après une longue activité dans les fanzines, et dix ans passés dans la réalisation de films en stop motion, avec des marionnettes. J’avais réalisé un 26 minutes produit pour TF1 et qui s’appelait La peur du loup. Je pensais avoir fait le tour du sujet des contes, et finalement je me rends compte que c’est devenu la matière de mon humus et mon sujet de prédilection. Je dirais que Dans la forêt est mon album le plus mûri, celui sur lequel j’ai passé le plus de temps, et qui est le plus personnel.
Est-ce que vous pourriez résumer Dans la forêt en quelques mots ?
C’est l’histoire d’Anna, une petite fille, qui est entraînée dans la forêt par un groupe de crapauds, qui lui ont volé sa poupée préférée et ne la lui rendront que si elle embrasse l’un d’entre eux. Comme elle a une forte personnalité, elle refuse, et est laissée à son destin dans cette forêt. Ça c’est la trame que j’avais présenté à Barbara Canepa et Clotilde Vu, les deux directrices de la collection, en montrant mes carnets et en leur expliquant que j’avais très envie de dessiner des animaux fantastiques, des chimères. Et j’avais aussi très envie de faire un livre avec des personnages de filles. Cette trame-là, je l’ai complexifiée, en travaillant le personnage de la mère, le secret de la naissance d’Anna et ce personnage de vieille femme assez mystérieuse. Trois générations de femmes à trois âges de la vie différents.
Comment est née l’idée de cette BD ?
C’est partie d’une boutade. J’avais fait un album pour mon fils qui se passait en mer et j’avais envie de faire un album pour ma fille qui se passait en forêt. Et Barbara, voyant mon bestiaire, m’a dit que si je faisais des monstres, elle était intéressée. J’ai repris cette idée au bond, et avec cette motivation de faire un livre sur une fille dans mon univers, ça s’est passé comme ça.
Comment s’est passé votre travail sur Dans la forêt ?
C’est né d’une image, et de cette situation de départ. Le burlesque avec les crapauds, et une image qui était très travaillée. À partir de là il y a eu un gros travail de maturation, parce que pour moi c’est un album qui devait se suffire à lui-même, pas du tout dans l’idée de faire une suite. J’ai toujours une frustration en tant que lecteur de lire une histoire, de m’attacher à des personnages, mais d’être juste dans une longue introduction et qu’au moment où l’action débute, le livre s’arrête. Donc je voulais travailler une histoire qui se tienne.
Je suis très fan d‘Harry Potter et j’aime beaucoup l’idée d’un personnage qui a une conscience parcellaire de ce qui se joue, puis on découvre des raisons qui le dépassent, situées avant sa naissance mais qui donnent une résonance à ce qu’il vit sur le moment. Et il y a eu un aller-retour entre le dessin, trouver la forme graphique et la structure du scénario. Très rapidement avec Clotilde et Barbara on a admis qu’il fallait que ce soit classique, travailler un découpage de bande dessinée classique avec des cases tirées au cordeau, et plus on avançait dans le récit plus ça devenait étrange, avec des cases éclatées. Finalement on débute dans un cadre victorien, une demeure bourgeoise avec un régisseur qui est une espèce de figure de mâle dominant, un Clark Gable toxique, séducteur, qui pense que ça va être très facile pour lui de prendre l’ascendant sur une veuve et sa fille. Puis on bascule dans le fantastique, parce qu’il se rend vite compte qu’il y a une réalité qui le dépasse, et qu’une bizarrerie se dévoile. Et quand Anna est dans la forêt, on se trouve dans une forêt absolument pas naturaliste, avec des yeux partout, un grouillement. Plus on avance plus le spectateur se retrouve embarqué dans l’histoire et n’a plus de repères. Le bestiaire reprend la même logique.
Quelles sont vos influences ?
Je suis très marqué par le travail de Lewis Caroll, Tenniel, Rackham, Dulac, c’est juste magnifique. Et pouvoir travailler dans ce type d’univers, c’était une vraie envie. La collection Métamorphoses est le cadre idéal pour ça. Ce qui est fabuleux l’est d’autant plus qu’on part d’une réalité crédible.
Ça faisait des années que je dessinais des chimères et là j’avais vraiment le scénario qui me permettait de les mettre en mouvement et de les développer.
La nature est très importante dans l’histoire. Est-ce qu’elle a aussi une place particulière dans votre vie ?
Je vis à Paris, donc je ne vis pas dans un environnement de campagne, mais pour moi la forêt a un côté très symbolique. Ce sont les peurs de l’enfance, l’inconnu, le lieu de passage, avec ce côté grouillant, très foisonnant. Je suis un très grand amateur d’animes, de mangas. J’ai eu envie de donner un côté Mononoké, qui se retrouve dans cette gestation. Ce n’est pas une nature hostile, mais on ne sait pas à quoi s’attendre. La première image que j’avais présentée à Barbara et Clotilde c’était ça. Image qui est dans le livre d’ailleurs, et qui est reprise en couverture, où Anna entre dans la forêt. J’y ai mis tous les détails, les éléments graphiques importants, que j’ai ensuite déclinés au fur et à mesure de l’histoire.
À la fin de l’ouvrage, il y a un guide de cryptozoologie qui parle des créatures qu’on retrouve dans le livre. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
De savoir qu’à la fin j’avais ce guide m’a donné plus de liberté. Je pouvais bien définir leur rôle, et les mettre un peu partout dans l’album. Plutôt que de mettre des notes en bas de pages, j’ai pu développer pour que le lecteur comprenne mieux le rôle des personnages. Par exemple les crapauds, qui ont un rôle dans l’histoire, mais ont en même temps un but qui leur est propre. Ce crapaud est la pulsion primaire, la testostérone sur pattes. Ils n’ont qu’une idée en tête, c’est d’embrasser la princesse pour être transformés en crapauds charmants, et finalement c’est leur but. Mais justement je me suis amusé à expliquer leur objectif et à mettre de l’humour là-dedans. Plus on avance dans le bestiaire, plus on découvre des bêtes qui sont mi-animal, mi-végétal, on ne sait plus vraiment ce que c’est et ce guide c’est aussi un mode d’emploi pour ne pas être perdu dans l’album.
Pendant des années en festival j’avais mes albums, et mes carnets à côté. Avec cette frustration de ne pas pouvoir présenter dans mes livres ce qui me correspondait vraiment. Là c’est le premier livre dans lequel je suis totalement impliqué et qui me correspond totalement. C’est un plaisir d’être enfin vraiment en résonance avec son univers. Cette collection offre cette liberté-là. Un côté carte blanche, et en même temps qui nous oblige à pousser nos limites.
Quels outils et techniques utilisez-vous pour dessiner ?
Je dessine encore à la main, je fais mon encrage à la main. Je dessine sur du papier technique assez épais, en format A3, ou 24×32, à la plume et au stylo. J’ai trouvé des plumes extrêmement fines, parce qu’on ne peut pas dire que j’aille vraiment dans l’épure, mais je veux que ce soit lisible. La couleur a été faite à l’informatique, j’ai travaillé avec le studio Blinq qui a fait un travail de titan. Ils ont une grande sensibilité. Je suis très content de cette colorisation.
Quel est votre conte préféré ?
J’ai été très marqué enfant par la figure du loup. Je crois que je travaille sur mes peurs, mes traumatismes. J’ai été traumatisé par le loup-garou de Londres, par les histoires de vampires et j’ai une espèce de fascination-répulsion pour ce genre de choses. J’ai essayé de les apprivoiser petit à petit, lire les romans gothiques : Carmilla, Edgad Allan Poe, les romantiques allemands… J’adore Frédéric de la Motte Fouquet qui a écrit Ondine. Pour La Peur du Loup j’ai beaucoup lu autour du conte, notamment les écrits de Pierre Péju. C’est une matière commune à tout le monde, ce qui permet d’en donner sa lecture. Une petite fille dans une forêt, on pense immédiatement au Petit Chaperon Rouge, et on s’attend à ce qu’il y ait un loup. Mais ce n’est pas forcément le loup auquel on s’attend et c’est là qu’il y a un vrai travail de création. J’ai été très marqué récemment par le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro qui est pour moi un chef-d’œuvre du genre. Le conte parle autant aux enfants qu’aux adultes et j’avais envie de faire un album transgénérationnel… Et voilà, je ne suis pas sorti de la forêt.
Merci à Lionel Richerand, mais aussi à Bénédicte pour l’organisation de cette interview !
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