Après Jouer juste en 2003, François Bégaudeau récidive deux ans plus tard avec Dans la diagonale, son deuxième roman, publié en janvier 2005, toujours aux éditions Verticales.
À histoire banale…
Pour l’histoire, la quatrième couverture se tapisse d’un résumé, un peu abstrait au premier abord :
Je ne demandais pas grand-chose. Je ne demandais qu’à marcher dans la ville. Mais des revenants m’alpaguaient, arguant du passé. Jacques entre tous. Jacques est revenu me chercher. Il m’a attrapé par le col, et mes pieds ont pédalé dans le vide. Il m’a aimanté vers sa maison, où il y avait des gens, et à manger, et à boire, et sa femme, et sa sœur. J’étais dans de beaux draps propres. J’étais dans une sale situation. Je serais mort si n’était apparu un nouvel ami. Il m’a rebaptisé, je renaissais. Il m’a indiqué le chemin, je l’ai suivi. On a pédalé pour de vrai. On a marché dans la ville. On ne demandait que ça.
Et déjà, lorsque l’on considère chaque lettre, l’intrigue entière, approximative, se dévoile grâce à ces quelques mots, qui notons-le, n’apparaîtront nulle part dans le texte. Et déjà, les questions se posent : un type est convié par un certain Jacques, qu’il n’a plus vu depuis longtemps ? Mais quel sujet bateau pardi ! En tout cas, le navire lui, ne coule pas. Car le roman puise sa force dans une découpe très inégalitaire, articulant les étapes progressives du week-end que vivra cet hôte si singulier.
Le récit s’ouvre avec le « prologue », où le type rencontre fortuitement un ancien camarade de lycée, quant à lui enthousiaste de ce hasard. Naturellement, Jacques invite dans sa maison de campagne notre type, qui accepte, sans en avoir vraiment le choix. Pour y aller, il choisit l’auto-stop. Grands moments. Lorsque arrivé à destination, il se retrouve « dans la situation » : on comprend. Les réticences du type à se rendre à une réunion de… trentenaires ! Avec leurs sujets de conversations déjà épuisés, toujours resservis : boulot, famille… Alors le type observe, taciturne, peu loquace, se contentant de répondre aux questions qu’on lui pose, seulement quand il le souhaite. Au détour d’une page, le type, notre fidèle narrateur, devient Teddy. Cependant, à trente ans comme à quinze, les bouteilles d’alcool – de vin, plus exactement – se vident aussitôt ouvertes. À trente ans comme à quinze, les effets de la boisson restent inéluctables. Sur fond de guerre en Irak, dans un roman ancré dans un contexte plus qu’actuel donc, les anecdotes fusent tandis que les faux-pas s’accumulent, jusqu’au moment où Teddy commet l’irréparable, et qu’il doit fuir, fuir « dans la diagonale », en plein milieu d’une soirée, d’une nuit, d’une action, d’une phrase.
… Style alambiqué !
Justement, parlons des phrases. Et du style. L’écrivain distribue points et virgules au compte-goutte. Ou au contraire, il les abrège, ses phrases. Le rythme s’accélère. Tantôt, un mot se suffit à lui-même. Un autre vient s’ajouter, majuscule avant toute chose. Tantôt, les mots défilent à toute vitesse sans ponctuation aucune, et s’étendent sur trois, quatre, cinq pages… Des répétitions, des mathématiques, des dialogues qui prennent à peine forme : larguez les amarres, bienvenue sur les flots avec capitaine François Bégaudeau.
Les vulgarités côtoient un langage plus soutenu. Les nombreux personnages se confondent à la faveur d’un nom substitué, et remplacé par un signe, un vêtement. On assiste à des scènes intimistes, décrites avec l’œil. L’œil de Teddy qui jamais d’une paupière ne se couvre. À l’affût, aux aguets, mais jamais de « je ». Et nos papilles émotives s’éveillent, on nous tient en haleine, l’eau à la bouche bouillonne. Des hommes par là, des femmes par-ci, paradoxalement ennuyeux et étranges pour les uns, intrigants et détestables pour les autres. L’imagination mâchée par les précisions de Teddy. Un roman qui nous remue les sens, par sa confusion permanente, et sa fluidité perpétuée. Au fond, Dans la diagonale est un véritable bordel de mots. Un bordel où chaque coin désordonné est étudié, machinalement calculé.
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