Les lumières s’éteignent, un carton s’affiche en plein écran. Le film que l’on s’apprête à voir « reste une fiction »… bien qu’elle soit « inspirée d’une histoire vraie ». OK.
BAC Nord de Cédric Jimenez met en scène le quotidien de trois policiers de la brigade anticriminalité — la fameuse BAC — officiant dans les quartiers populaires de la partie nord de Marseille.
Greg (Gilles Lellouche), Antoine (François Civil) et Yass (Karim Leklou) vivent sur le fil du rasoir, dévouant leur vie à leur métier de policier jusqu’au jour où leur hiérarchie les incite à dépasser définitivement la ligne rouge entre flic et ripou.
La police aux commandes
Conseillé par un des policiers mis en cause dans l’affaire réelle dite « de la BAC Nord de Marseille » qui a éclaté en 2012, le réalisateur offre le récit introspectif de trois policiers, pour expliquer le cheminement de ces agents de terrain — des courses poursuites en voiture jusqu’aux cellules de garde à vue.
Greg, le personnage interprété par Gilles Lellouche, explose à plusieurs reprises. Contre un métier qui a selon lui perdu son sens, contre la « politique du chiffre » qui l’empêche de mener des enquêtes de fond. Lui et ses collègues cèdent pourtant facilement quand leur hiérarchie leur donne les pleins pouvoirs pour retrouver la cachette de gros dealers…
Vols, extorsion : nos trois protagonistes finissent chopés par la police des polices. Si l’IGPN en prend pour son grade dans BAC Nord, le Préfet et le chef de la BAC ne sont pas épargnés. Mais, suggère le film, c’est parce que de toute façon, derrière leurs bureaux, ils ne comprennent rien à « la réalité du terrain »…
L’humanité à deux vitesses de BAC Nord
Embarquée dans la voiture des protagonistes du film, la caméra suit donc leur quotidien (dont ils se lassent), illustre leurs montées d’adrénaline et capte des conversations intimes entre deux opérations.
Dans le civil, ces policiers sont des gens comme nous, qui partagent un barbecue avec la belle Adèle Exarchopoulos incarnant Nora, la conjointe (elle aussi policière) de Yass. À eux quatre, ces protagonistes vivent en vase clos les mauvais comme dans les bons moments.
Les autres personnages, c’est-à-dire les délinquants, font office de toile de fond dont on perçoit à peine les dialogues. Leurs mots, leurs vécus, leur humanité, c’est tout juste du brouhaha.
Figures sans voix et sans visage, les dealers des quartiers nord de Marseille ressemblent plus à des membres d’un gang américain qu’à des gadjos du Sud : à travers leurs masques, on sait tout juste qu’ils sont noirs ou arabes.
« C’est Bagdad ici », déclare un personnage du film. Au temps fort de BAC Nord, on a même l’impression d’avoir affaire à des zombies qui poursuivent déchaînés une voiture de police où se trouvent les seuls survivants de l’humanité.
Lors de la projection hors compétition à Cannes du long-métrage, en juillet 2021, le journaliste irlandais Fiachra Gibbons avait pointé du doigt cette représentation des habitants des quartiers populaires. Si on s’en tient à la vision offerte par le film, « les gens de la cité ne sont que des bêtes », avait-il regretté — entre deux rires des acteurs et du réalisateur.
Cédric Jimenez s’était alors rangé derrière la fameuse problématique du manque de moyens, mettant sur un pied d’égalité l’abandon des forces de l’ordre et celle des habitants des quartiers populaires.
BAC Nord, un film d’homme à homme
Au fil de BAC Nord pourtant, pas de trace du désoeuvrement de la jeunesse de Marseille. A la place, une complainte sur la puissance perdue des forces de l’ordre, mâtinée de virilisme — « J’ai baissé mon froc », résume le couillu Greg lorsqu’un caïd du quartier interprété par le rappeur Kofs les empêche de pénétrer dans la cité.
Les autres policiers, Antoine et Yass, ne valent guère mieux niveau égalité femmes-hommes. Quand l’un préfère draguer en terrasse sur son temps de travail, l’autre part en boîte lorsque sa femme accouche. Sans compter les bagarres dans les vestiaires du commissariat, les dialogues animés au kebab du coin, les insultes putophobes qui rythment le film, la conduite à risque des flics…
Au sortir de la projection, on a carrément entendu de jeunes spectateurs se plaindre du temps de présence à l’écran d’Adèle Exarchopoulos, jeune mère, flic au service d’appel du 17, et excellente préparatrice de taboulé en période de barbecue (les hommes gèrent, bien évidemment, la viande). On se demande également ce qu’elle est venue faire dans cet entre-soi testostéroné, miroir de la réalité — bastion masculin, la police française ne comprenait que 28,3% de femmes en 2020.
BAC Nord se vante d’être une fiction. Et il s’agit, dans un sens, d’une très jolie fiction, à la mise en scène audacieuse et à la lumière crépusculaire qui donne à Marseille des airs de jeux vidéo. Dommage qu’elle ne permette qu’à ses virils policiers d’avoir droit à une once humanité.
À lire aussi : 10 films pour comprendre le racisme et les violences policières aux États-Unis
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Bon article sinon !