Les frères et sœurs Daniel et Ana Torres, seuls membres d’une fratrie issue de la bourgeoisie mexicaine mènent une vie des plus confortables. Daniel (joué par Dario Yazbek Bernal, qui n’est autre que le demi-frère de Gaël Garcia Bernal), le cadet, découvre la sexualité avec une étudiante de son âge et se prépare pour courir un marathon, tandis qu’Ana prépare activement son mariage avec Rafa, un jeune homme de bonne famille également. La quatrième information que le spectateur grappille concerne les relations qu’entretiennent Daniel et Ana : complices, ils se confient peu mais se chamaillent régulièrement dans la tendresse.
Cette entente fraternelle de Daniel et d’Ana est brutalement bouleversée, lorsqu’en plein après-midi, ils sont victimes d’un enlèvement qui va les obliger, revolver sur leur tempe et menaces de mort sur leur famille, à avoir des relations sexuelles sous l’œil impitoyable d’une caméra. L’inceste ou la vie, eux choisissent la vie, mais lorsqu’ils sont relâchés, sans blessure physique, c’est l’inceste tu qui ruine leur vie, ce crime dans le crime. Au Mexique, des milliers et des milliers de personnes sont victimes de pornographie clandestine et Daniel & Ana est inspirée d’une histoire vraie.
Loin d’être un documentaire, le réalisateur et scénariste Michel Franco qui signe ici son tout premier film, assume un traitement de l’histoire audacieux. Choisissant de juxtaposer des séquences, qui deviennent de plus en plus courtes après celle de la relation sexuelle qui est manifestement la séquence la plus longue et la plus insoutenable pour le spectateur que l’on force à témoigner de cet inceste, Michel Franco reprend une à une les informations du début (la sexualité de Daniel, le marathon, le mariage et la relation fraternelle entre Daniel et Ana) pour nous montrer comment tout cela vole en éclat et se transforme radicalement.
Sans en révéler plus que la bande-annonce, puisque la force dérangeante du film réside principalement dans les événements inattendus et violents qui surviennent après l’enlèvement auxquels le spectateur assiste une fois de plus impuissant, Daniel et Ana gèrent leur choc émotionnel de façon très différente, en s’enfermant toutefois dans un silence commun : ils n’en parlent ni entre eux, ni aux autres et surtout pas à leur proche, écrasés par le poids de la honte palpable à chaque instant. Ce silence règne en maître sur l’après, et donne un écho particulier aux rares dialogues qui viendront le briser.
Par ailleurs, un thème insoupçonné et pour le moins surprenant, vient tirer les ficelles du film, par sa récurrence et son symbolisme ; celui de la voiture. Les scènes qui la mobilisent redondent du début jusqu’à la fin du film. Il faut dire aussi que cette famille aisée possède une voiture par personne (les deux parents et les deux enfants), et le fiancé d’Ana aussi, ce qui laisse de nombreuses combinaisons. Objet d’évasion et de maîtrise de soi lors que l’on est à ses commandes, la voiture joue une place centrale car c’est par elle que tout arrive. Par exemple, Daniel se trompe de chemin et c’est ainsi que les trafiquants les interceptent et les relâchent. C’est aussi dans son habitacle, supposé être sécurisant, de la voiture que les corps sont filmés dans leur immobilisme, par des angles de prise de vue variés et significatifs à chaque fois.
Ces voitures, au même titre que la reprise des quatre informations, anodines au premier abord, révèlent pourtant un certain talent de Michel Franco, qui, par une économie de moyens, est capable d’explorer les choses – et quelles choses – dans une profondeur remarquable, sans tomber dans des facilités psychologiques.
Ce film a été présenté l’année dernière à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes ; retrouve toutes nos revues de films et infos sur Cannes 2010 !
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