Dans le flux infini des sorties cinéma, certains films ont le don de vous surprendre, de vous amener là où vous n’êtes jamais allé et de vous faire ressortir de la salle grandi.
Entre son scénario édifiant de justesse (Emmanuelle Nicot l’a écrit en quatre ans), une mise en scène aussi sublime qu’intelligente et éthique et des acteurs dont on oublie qu’ils jouent la comédie, Dalva est la révélation d’une grande réalisatrice, et d’une grande (jeune) actrice.
Si l’on ne pouvait vous donner qu’un conseil, ce serait de ne manquer pour rien au monde Dalva, et d’y aller sans aucun à priori, car le film se vit comme une expérience sensorielle, politique et féministe comparable à aucune autre.
Pour vous aider à vous plonger un peu plus dans une œuvre qui vous accompagnera longtemps après la projection, on a rencontré la réalisatrice Emmanuelle Nicot.
Avec une vivacité, une intelligence, une maîtrise de son art et une empathie rares, elle nous a parlé du rapport au monde des enfants victimes d’emprise, mais surtout de la façon dont elle a voulu montrer avec une bienveillance bouleversante leur chemin vers l’émancipation.
Dalva, de quoi ça parle ?
Dalva a 12 ans mais s’habille, se maquille et se vit comme une femme.
Un soir, elle est brusquement retirée du domicile paternel.
D’abord révoltée et dans l’incompréhension totale, elle va faire la connaissance de Jayden, un éducateur, et d’autres enfants placés dans un foyer.
Une nouvelle vie semble alors s’offrir à Dalva, celle d’une jeune fille de son âge.
Rencontre avec la réalisatrice Emmanuelle Nicot
Madmoizelle. Pouvez-vous nous raconter la genèse de Dalva ? comment vous est venue l’envie de faire ce film ?
Emmanuelle Nicot. Plusieurs éléments m’ont amené à rencontrer Dalva. Il y a d’abord eu la thématique de l’emprise, qui m’est assez personnelle et que j’ai eu besoin d’explorer depuis que je fais du cinéma. Je pense d’ailleurs que c’est pour ça que je fais du cinéma. Après mes deux courts-métrages qui parlaient déjà d’emprise, j’ai eu besoin d’explorer cette question dans les relations parents-enfants parce que je pense que c’est l’une des emprises dont il est le plus compliqué de se défaire.
Ensuite, il y a une immersion assez fondatrice que j’ai faite dans un centre d’accueil d’urgence pour adolescents au Nord de la France. J’ai rencontré des mômes qui avaient entre 11 et 18 ans, qui venaient tout juste d’être placés. Ce qui m’a frappé chez ces enfants, c’est à quel point ils étaient encore complètement sous l’emprise de leurs parents.
Plus précisément, comment est né le personnage de Dalva ?
J’ai commencé à interroger des travailleurs sociaux, des éducateurs, des psys, des juges… Une histoire est alors arrivée à mes oreilles : celle d’un éducateur qui allait chercher les enfants chez eux quand il y avait des suspicions de maltraitance. Un jour, il a été contacté pour une enfant de six ans qui vivait seule avec son père. Et il s’est retrouvé face à une petite fille qui était extrêmement sensuelle, sexuée et qui était dans un jeu de séduction par rapport à lui.
C’est tout ce que j’ai su de cette histoire, mais j’ai eu envie de raconter l’histoire de cette enfant à douze ans, à l’âge des premiers émois, à l’âge de la puberté, à l’adolescence… et c’est comme ça que Dalva, doucement, est née.
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Vous laissez une grande place au point de vue de Dalva. On la comprend, on éprouve sa sensibilité… mais en même temps, son monde est construit sur du déni et des mensonges. Le point de vue des éducateurs vient corriger ce regard. Comment avez-vous pensé la question du point de vue ?
Ce qui m’intéressait dès le début de l’écriture, c’était d’être dans le point de vue de Dalva, qui est une victime qui ne se vit absolument pas comme telle. Tout l’enjeu du film, c’est comment on va réussir à avoir de l’empathie pour de cette jeune fille qui a un regard complètement biaisé sur le monde et qui est tellement lointain du nôtre.
J’ai voulu commencer le film lors de l’arrestation car c’est un moment de chaos total. Dalva et nous, on est complètement dans le flou. On ne sait pas qui sont les gentils, qui sont les méchants. Tout s’éclaircit au fur et à mesure. Le défi est que l’on comprend de quoi Dalva a été victime, mais elle ne le comprend pas. Il fallait donc rester accrochée à elle.
Dans ma mise en scène, tout est mis en place pour qu’on ne décroche jamais de ce qu’elle ressent. Avec ma cheffe opératrice, on s’est demandé à chaque fois où mettre la caméra pour être au plus proche, émotionnellement, de ce que Dalva vit. C’est comme ça qu’on a raconté le déni dans toute la première partie du film, avec ces enfants du foyer qui n’ont pas de visage, ces éducateurs qui sont toujours flous, lointains. Et au fur et à mesure du film, ils se mettent à exister. Il y a de plus en plus d’extérieurs…
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Votre film parle beaucoup d’amour. Il l’évoque sous des formes multiples et parfois contradictoires. Il y a notamment l’amour filial, l’amitié, l’amour romantique, le manque d’amour…
Figurez-vous que pendant un certain temps, le film s’appelait L’amour selon Dalva. Finalement, on a gardé que Dalva parce qu’on trouvait le premier titre un peu pompeux. Mais oui, ça parle complètement d’amour : je pense même que ça parle aussi d’amour entre un père et sa fille.
C’est aussi la question de tous les enfants placés. Ce sont des enfants qui sont retirés de leur famille, non pas parce qu’ils ne sont pas aimés, mais parce qu’ils sont très mal aimés, d’un amour extrêmement toxique et destructeur.
Et quand je parle de l’amour selon Dalva c’est parce que le film est tout un réapprentissage de l’amour par Dalva, qui va découvrir ce que c’est que l’amour en échange de rien. Je pense aux formes d’amour qu’elle va développer, notamment l’amitié avec les autres enfants du foyer, avec son éducateur… Des formes d’amour sans contrepartie.
Pourquoi avez-vous choisi de représenter l’espace de l’école, qui introduit de nouveaux enjeux, alors qu’on aurait pu imaginer un film se déroulant uniquement dans le foyer par exemple ?
Chez les enfants placés, j’ai pu observer que cette prise de conscience vient aussi de la fréquentation avec des gens complètement différents. Ces gamins sont à dix mille lieues de ce qu’a vécu Dalva. Ils sont « monsieur tout le monde » et pourtant, c’est leur regard qui va participer à pointer ce qui lui est arrivé. Et c’est aussi comme ça qu’on sort du déni.
Malgré la grande âpreté de leur vie, les enfants du foyer ne jugent absolument jamais Dalva. Il y a une grande douceur entre eux. Alors qu’à l’école, où il y a ces enfants dont la vie est beaucoup plus lisse, cette âpreté est apportée par le regard. J’avais envie de confronter Dalva à cette violence qui vient d’un endroit où on ne s’y attend pas et à cette douceur qui vient d’un autre endroit où on s’y attend pas non plus.
À 12 ans, votre actrice principale Zelda Samson a un talent saisissant. Comment l’avez-vous découverte ?
Pour gagner ma vie, je fais de la direction de casting sauvage, ce qui fait que j’ai travaillé avec des non-professionnels. Ce bagage m’a beaucoup servi pour trouver Dalva parce que je savais exactement ce que je cherchais et où je pourrai la trouver.
Je cherchais une jeune fille qui soit issue d’un milieu social plutôt aisé, qui ait une certaine maîtrise du langage, qui ait un port de tête de danseuse et qui n’ait pas d’âge. J’ai déposé des annonces dans des centres équestres, des écoles de gymnastique, des écoles de danse classique, des académies de théâtre, de musique, parce que je savais que c’étaient des jeunes filles issues d’un milieu social plutôt moyen, voire aisé.
Entre la France et la Belgique, on a reçu 5000 candidatures, sur lesquelles j’ai sélectionné 300 profils. J’ai demandé à ces jeunes filles de m’envoyer une petite vidéo de présentation.
Quand je l’ai rencontrée, Zelda était bien sûre beaucoup plus introvertie que sur la vidéo. Mais quand j’ai allumé la caméra, elle avait, comme Romy Schneider, ce visage étrange qui fait qu’elle a 10 ans de face, 20 ans de profil, sans bluff, sans maquillage… Son visage est magnétique et change d’âge.
On était à peine au deuxième jour de casting, mais j’ai tout de suite su que je n’avais plus besoin de chercher : Dalva, c’était elle.
Premier Rang, c’est la chronique sans langue de bois de Maya Boukella, journaliste pop culture chez Madmoizelle, dans laquelle elle vous conseille le film à voir au cinéma cette semaine. Un rendez-vous hebdo pour dénicher les pépites du grand écran, en ne gardant que le meilleur des films à l’affiche et des sorties de la semaine.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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