J’aime beaucoup les émissions des satiristes politiques nord-américains, parce que je suis souvent scandalisée par la manière dont les médias généraux traitent l’actualité aux États-Unis, alors que des journalistes-comédiens tels que Stephen Colbert ou John Oliver, dont nous relayons régulièrement les émissions, font un excellent travail critique.
Le résultat, en plus d’être un décryptage pertinent du traitement médiatique d’un sujet, est souvent très, très drôle. Je suis particulièrement fan de l’usage que font ces personnalités de l’ironie et du sarcasme.
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Jon Stewart, le présentateur du Daily Show, figure également au palmarès de mes satiristes favoris. J’étais passée à côté de ce sketch, dans l’émission du 5 décembre. Et oh boy, qu’est-ce que j’ai manqué…
Jon accueille sur son plateau un comédien originaire d’Afrique du Sud, Trevor Noah. Ensemble, ils vont parler de l’héritage raciste de l’Apartheid en Afrique du Sud… mais plutôt de l’ignorance des États-Unis par rapport à l’Afrique, et de la poutre que ses habitant•e•s ont dans l’oeil à propos du racisme.
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« Spot the Africa »
— Vous venez d’arriver, n’est-ce pas ?
— Oui, j’ai atterri hier, et qu’est-ce que j’ai mal aux bras ! […] Non non, sérieusement, ça fait deux jours que je me balade les mains en l’air [façon « ne tirez pas ! »] Je n’aurais jamais cru avoir plus peur de la police en Amérique qu’en Afrique du Sud ! Ça me rend un peu nostalgique du bon vieux temps, à la maison…
— Trevor, est-ce que vous dites que les Noirs d’Afrique du Sud de nos jours ne sont pas harcelés par la police ?
— Oh non bien sûr que si, mais depuis la fin de l’Apartheid, ils sont aussi tués par des policiers noirs ! Le progrès !
— Pas à pas, pas à pas ! Mais bon, vous êtes là, vous êtes bien, relax…
— Pour être honnête, je suis un peu nerveux, parce qu’entre votre police et votre Ebola…
— WOHOHOH, « Notre » Ebola ? Vous vouliez dire « Votre Ebola », à vous, les Africains !
— Non non, SUD-Africain. Nous n’avons pas eu un cas d’Ebola depuis plus de 18 ans, en Afrique du Sud ! Et d’ailleurs mes amis m’ont mis en garde, ils m’ont dit « Trevor, ne va pas aux États-Unis, tu risques d’attraper Ebola ! » et je leur ai répondu « Non les gars, ce n’est pas parce qu’ils ont eu un ou deux cas d’Ebola qu’il faut couper le trafic aérien vers tout le pays, ce serait de l’ignorance pure et simple », n’est-ce pas, Jon ?
Pour comprendre cette pique, il faut savoir que plusieurs voix officielles se sont élevées pour suspendre le trafic aérien en provenance des pays touchés
par Ebola.
— Oui… Ce serait… de l’ignorance… C’est vrai qu’on a tendance à oublier que l’Afrique du Sud n’est pas juste à côté du Libéria !
— Oui, il y a 4 000 miles de distance.
— Oui ! Je… J’étais en train de calculer en kilomètres.
— Je n’en doute pas, Jon. [PERSONNE n’utilise les kilomètres aux États-Unis, Jon Stewart ment !] Vous savez, pour la majorité des Américains, l’Afrique n’est qu’un village géant plein de SIDA, de huttes et d’enfants qui meurent de la famine, « que vous pouvez aider pour seulement 5 centimes par jour ! ». Mais il y a une toute autre face de l’Afrique, que vous ne voyez jamais.
— Oui, comme cette vidéo sur YouTube, où un lion chassait un buffle, et un crocodile surgit et l’attrape, c’est trop cool !
— Oui, oui… Mais non, je ne parlais pas de ça, Jon. Jouons à un petit jeu ! Ça s’appelle « où est l’Afrique ? »
— Ha, euh… Je ne vais pas avoir à placer des pays sur une carte, n’est-ce pas ?
— Oh non Jon, je ne serai pas si cruel ! Dites moi simplement, sur ces deix photos, laquelle a été prise en Afrique, et laquelle a été prise aux États-Unis !
Spoiler alert : Jon Stewart se trompe sur les trois premières photos. La rue défoncée se trouve en Amérique, et la salle de classe où des étudiants noirs travaillent sur leurs ordinateurs portables n’a pas été prise à Harlem, mais au Kenya. En revanche, la photo des deux enfants vivants dans la misère a été prise à Detroit, dans le Michigan, une ville déclarée en faillite depuis 2013.
Trevor Noah termine avec une dernière photo, histoire de ne pas tomber dans la caricature inverse : tout n’est pas rose en Afrique, comme en témoigne la photo prise dans un bidonville de Johannesburg.
— Ok ok Trevor, j’ai compris la leçon. Mais vous n’êtes pas en train de dire que les choses sont mieux en Afrique du Sud qu’en Amérique, n’est-ce pas ?
— Oh non Jon, moi je ne dis pas ça. C’est vous qui le dites.
Et on enchaîne sur un extrait vidéo au cours duquel un expert américain analyse l’écart de richesses entre la famille moyenne blanche et la famille moyenne noire aux États-Unis (où les mariges mixtes restent rares, et où la collecte de données relatives aux origines permettent de réaliser des statistiques ethniques).
— On incarcère davantage de Noirs aux États-Unis de nos jours que pendant l’Apartheid en Afrique du Sud. Le niveau de richesses moyen d’une famille blanche est 18 fois supérieur à celui d’une famille noire aujourd’hui aux États-Unis. Durant l’Apartheid en Afrique du Sud, ce ratio était de 15.
— Oh mon Dieu.
— Voici la partie intéressante : pour qu’en Afrique de Sud, on en soit arrivés à un écart de richesses de 15 en moyenne entre les familles blanches et les familles noires, il nous a fallu mettre en place un état d’Apartheid, privant les Noirs du droit de vote, et les empêchant d’accéder à la propriété. Mais vous, vous avez réussi sans même essayer ! On s’est entraînés pendant des décennies, mais vous, vous avez débarqué de nulle part et vous remportez la médaille d’or !
— Débarquer de nulle part et s’imposer sans être légitimes, c’est notre spécialité !
— Au moins, on progresse. On est parti sde loin, mais les choses s’améliorent en Afrique du Sud. […] Je vais être honnête avec vous Jon. L’Afrique s’inquiète pour les États-Unis. Vous savez ce que les mères africaines disent à leurs enfants, chaque jour ?
« Sois reconnaissant pour ce que tu as. Parce qu’il y a des enfants obèses qui meurent de faim dans le Mississippi. »
Meilleure punchline du monde.
Ce sketch a une résonance particulière, alors que la situation ne s’est pas améliorée à Ferguson, aux États-Unis. Le policier qui avait abattu Michael Brown (et dont la défense a été financée grâce à un appel aux dons, soutenus par… le Ku Klux Klan local…) ne sera même pas jugé pour cet acte.
Car le racisme aux États-Unis est toujours une réalité… qui s’ignore, à en juger par l’incompréhension des classes moyennes blanches face aux voix qui s’élèvent de plus en plus pour dénoncer les discriminations dont sont encore victimes les Noirs en Amérique.
« J’aimerais que ceux qui sont en charge des contrôles de sécurité aléatoires dans les aéroports soient également en charge du tirage du loto. J’aurais beaucoup plus de chance d’être « tiré au sort » ! »
Il a tweeté cette photo depuis les coulisses de l’émission, déclarant avoir « vécu un rêve ». Merci à lui d’avoir rappelé les États-Unis à la réalité…
Pour en savoir plus :
- This South African ‘The Daily Show’ Guest Just Schooled America on Africa, News.Mic
- When Whites Just Don’t Get It : After Ferguson, Race Deserves More Attention, Not Less, TheNew York Times
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Les Commentaires
Il a juste voulu remettre les USA à sa place en mettant le nez sur quelques sujets sensibles affaire Brown, inégalités noirs/blancs, les stéréotypes sur l'Afrique etc