Quand les Américains et les Britanniques reprennent les grands classiques de notre littérature, on a tendance à grincer des dents.
Difficile notamment de se départir du souvenir de la périlleuse et passablement abominable comédie musicale de Tom Hooper, réalisateur qui nous a plus récemment affligé, par ailleurs, avec son très vilain Cats.
Mais force est de constater qu’il existe des cinéastes, des scénaristes et des metteurs en scène, qui font mentir nos a priori.
Cyrano, l’adaptation de l’adaptation de l’adaptation de notre chef-d’œuvre théâtral
Il convient de préciser que cette mouture signée Joe Wright, qui sort ce mercredi 30 mars au cinéma, est l’adaptation de la comédie musicale éponyme d’Erica Schmidt (l’épouse de Peter Dinklage), qui à Broadway avait déjà pris de grandes libertés avec l’œuvre originale, faisant de Cyrano, non pas un homme au nez comme un cap, un roc ou une péninsule, mais un homme de petite taille.
Dès lors, l’adaptation de Joe Wright est une adaptation de l’adaptation du Cyrano de Bergerac comme vous et nous le connaissons.
Un travail potentiellement lourd de conséquences pour le cinéaste, qui s’attaque là à l’une des pièces de théâtre qui inspire le plus les Français, au théâtre bien sûr — on se rappelle avec émotion de la mise en scène de Torreton dans un asile psychiatrique ou du gracieux Edmond d’Alexis Michalik — mais aussi au cinéma, notamment dans l’éblouissant film de Rappeneau, sorti en 1990.
Joe Wright aurait pu payer le prix de son impertinence, de son culot même, à détourner les codes de notre pièce de théâtre chérie, mais il n’en fera rien car son adaptation est, sinon parfaite (et tant mieux), au moins honnête. Voire vibrante de sincérité.
Cyrano, l’histoire d’amour dont on ne se lasse jamais
Vous connaissez l’histoire par cœur, mais peut-être aimez vous encore la lire ou vous la faire conter. D’autant que cette fois-ci, l’histoire a quelque peu changé.
Cyrano, c’est un homme qui manie l’épée comme personne. Homme d’honneur, homme de vertu, il défend les malheureux d’un revers de fleuret sur leur museau.
S’il est corps et âme dévoué à son exercice militaire, il n’en est pas pour autant moins occupé à son autre exercice favori : aimer Roxane, une femme splendide et intelligente qui fait vibrer tous les coeurs.
Seulement, Cyrano souffre du pire mal qui soit : celui de n’être pas bien dans sa peau. Persuadé qu’il est trop différent pour lui plaire, il n’ose pas essayer de la séduire.
Cyrano est un homme de petite taille mais à la grande verve, verve qu’il aime dispenser dans les théâtres où il ne se gêne pas pour faire remarquer, en vers, que les acteurs sont mauvais.
Il se sert de son talent pour les mots pour amuser Roxane. Mais Roxane en aime un autre.
L’autre, c’est Christian de Neuvillette, un militaire splendide, sous l’autorité de Cyrano, qui la séduit sans même lui parler.
Roxane, qui démontre au départ un attrait pour le superficiel, réclame toutefois à son époux potentiel de lui écrire des lettres. Mais le malheureux n’a aucun talent pour l’écriture ni même pour le langage.
Cyrano, en bon Samaritain devant l’éternel, se propose d’être messager à la place du messager et écrit ces fameuses lettres, où Christian ne fait qu’apposer sa signature. Roxane, enchantée par les tournures de phrase et le romantisme de son interlocuteur, s’éprend encore plus de Christian, cette imposture.
Alors qu’elle vient de l’épouser, sans savoir que l’homme dont elle aime chacun des mots est en réalité son meilleur ami de Bergerac, Christian est envoyé à la guerre, avec Cyrano.
Seul l’un des deux reviendra vivant et pourra clamer le cœur de la sublime et brillante Roxane.
Cyrano, une adaptation tellement sincère qu’elle en est touchante
Ce qui change, de prime abord, dans cette version, outre la particularité du personnage principal, c’est évidemment la mise en musique du produit entier.
Car ce long-métrage signé Joe Wright est une comédie musicale. Tout n’y est pas chanté, mais une grande partie du texte l’est tout de même.
Ainsi, il nous faut préciser qu’en termes de compositions, on aura déjà entendu largement mieux, d’autant que certaines chansons sont trop modernes pour coller à l’esthétique du film, ce qui crée une dissonance incommodante.
En termes de récit, le film s’égare souvent, tirant sur quelques scènes qui auraient mérité d’être plus efficaces que contemplatives.
Toutefois, et en dépit des défauts bien présents du film, Cyrano a un je-ne-sais-quoi de furieusement sincère, de terriblement romantique, qu’il ne saurait souffrir ici d’un simple focus sur ses lacunes.
Précisons qu’on a du mal à résister au cinéma de Joe Wright, qui révèle systématiquement la fleur bleue qui sommeille en nous grâce à ses films en costumes adaptés de monuments de la littérature, comme Anna Karénine ou Orgueil et préjugés (on passera sous silence le raté Reviens-moi, avec son actrice phare Keira Knightley).
Et cette fois-ci ne fait pas exception ; devant l’amour sincère du cinéaste pour la romance littéraire, on s’agenouille, oubliant les défauts pour ne retenir que le beau : les costumes, les décors (splendide Syracuse), les lumières de Seamus McGarvey, grand Monsieur du cinéma, et évidemment les acteurs.
Peter Dinklage, en tête du casting, apporte des nuances mélancoliques et passionnées à la panoplie du personnage cynique qui l’a rendu mondialement célèbre : celui de Tyrion Lannister dans Game of Thrones.
Puissant acteur sans être grand chanteur, il émeut d’un morceau à l’autre de son drame, en prenant appui sur Haley Bennett, incandescente Roxane (et partenaire de Joe Wright dans la vie).
C’est certain, Cyrano est résolument imparfait, parfois instable sur ses appuis, mais il a l’éclat des films façonnés par ceux qui aiment furieusement les œuvres qu’ils adaptent.
Et ça, ça ne pourra jamais valoir une mauvaise critique.
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Crédit photo à la Une : Cyrano via Allociné
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