Tout à commencé en septembre, à la rentrée des classes. Je rentrais en Terminale Littéraire, et j’étais plutôt contente. J’aimais vraiment mes cours, tout se passait bien dans la classe, et j’étais considérée par mes profs comme une bonne élève, motivée et même brillante.
J’étais ravie donc, d’autant que le premier jour de cours correspondait à mon anniversaire. Même si j’aurais préféré le fêter autre part, je fêtais mes 17 ans, et ma dernière année de lycée. N’était-ce pas un joli signe ?
Si j’avais su… Je crois que j’aurais fui en courant, et ça aurait été la décision la plus sage de ma vie.
Un climat scolaire qui se dégrade rapidement
Dès le mois d’octobre, tout s’était dégradé. Passionnée de Baudelaire, j’en parlais beaucoup en cours, rapportant souvent ce qu’on apprenait aux idées de ce poète. Les autres élèves, celles que je considérais comme des amies, ont fini par devenir froides et distantes.
« Mais arrête avec Baudelaire », « Tu nous saoules à tout le temps parler en classe… »
J’ai fait des efforts, arrêté de tout rapporter à lui. Mais je continuais à participer activement en classe. Les cours m’intéressaient – est-ce que c’est un crime ?
Jusqu’à ce que ma prof principale, également prof de philo, finisse par me prendre à part après un cours.
J’avais le vague espoir qu’elle me demande comment j’allais — je ne comprenais pas encore pourquoi, mais je ne me sentais pas très bien dans la classe, comme si j’y avais de moins en moins ma place.
J’en ai été pour mes frais, puisque cette prof m’a passée un savon, parce que, je cite, je « posais trop de questions en classe ».
Une prof de philo qui reproche à une élève de poser des questions dans son cours ? Mais où est la logique ?
J’étais tellement en colère que j’ai arrêté totalement de parler en classe. Je ne répondais même plus aux questions, alors que souvent, j’étais la seule à avoir la réponse. Et je me sentais de plus en plus seule, sans comprendre pourquoi.
J’ai perdu l’appétit, et puisque personne ne s’en apercevait, j’ai presque arrêté de manger. Je me rappelle par exemple être allée à ma première épreuve du bac de sport en n’ayant rien mangé depuis vingt-quatre heures.
Je devais de plus supporter les regards de plus en plus durs des autres élèves, sans comprendre pourquoi.
J’ai sombré, dans l’indifférence générale
Tout a vraiment basculé en décembre, au moment du conseil de classe. J’avais perdu du poids, je ne dormais plus, j’étais méconnaissable, même si je le cachais le plus possible sous mes sweats trop grands pour moi.
Je ne parlais plus du tout en cours, bref, ces quelques mois m’avaient métamorphosée. J’attendais beaucoup de ce moment, seule avec mes profs. J’attendais ça depuis plusieurs semaines, dans l’espoir d’une seule petite question :
« Comment est-ce que tu vas, Élise ? On ne comprend pas. Tu n’es pas comme d’habitude, qu’est-ce qui se passe ? »
Mes notes avaient baissé, je n’étais plus la même en cours, mais je n’osais pas en parler de moi-même. J’avais tellement besoin qu’on me pose cette question.
Mais ils ne l’ont pas fait. Ces profs avaient toujours été bienveillants avec moi. Mais maintenant que ça n’allait plus, que j’avais besoin d’eux, ils n’étaient plus là.
Ils m’ont décrit comme une gamine immature, ne réalisant pas l’enjeu du bac à la fin de l’année, qui devrait se reprendre, d’autant plus qu’elle demandait une prépa…
Ils ont considéré mon comportement « inqualifiable » pour avoir cessé de parler en cours, et ne m’ont même pas mis les encouragements pour « m’encourager à faire mieux ».
Encore une fois, bravo la logique. Voilà qui est encourageant.
Je suis restée de marbre devant eux, mais en sortant, j’ai appelé une amie, et je n’ai plus cessé de pleurer jusqu’à chez moi.
Les vacances, comme un répit
La semaine d’après précédait les vacances. J’étais épuisée, à bout de forces, physiques et mentales. J’ai fait ma première crise d’angoisse.
Je ne savais pas ce que c’était. Je ne pouvais plus respirer, mes mains tremblaient… J’étais en cours, alors je suis sortie rapidement, j’ai couru aux toilettes. Et là, je me suis effondrée. J’ai eu tellement peur. Je ne connaissais pas les attaques de panique, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.
Malheureusement, ce n’était que la première d’une longue série, un cauchemar qui m’a suivie au quotidien pendant de longs mois. J’avais peur de tout et je ne comprenais rien. J’avais peur de ce que diraient les profs, des regards des autres, j’avais peur de voir mon corps changer, peur d’être seule la nuit et de rester des heures dans le noir…
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Arrivée aux vacances, j’étais tellement fatiguée, tellement seule que j’ai parlé à mes parents de ce qui m’arrivait.
J’ai aussi expérimenté ma première cuite. J’étais avec des amis qui n’étaient pas dans mon lycée, rentrés pour les vacances, je voulais m’amuser, et oublier mes soucis pour quelques instants…
Mais l’alcool m’a simplement empêchée de tout garder pour moi, et pendant deux heures, bourrée, j’ai pleuré, en expliquant à une amie à quel point j’étais nulle…
Pourtant, ces vacances m’ont fait du bien. Ma mère m’a aidée à manger de nouveau, un peu, et a beaucoup été là pour moi.
Lorsque le harcèlement se poursuit sur les réseaux sociaux
La rentrée de janvier reste, après cela, un des pires souvenirs de cette année, pour plusieurs raisons.
D’abord, les insultes ont commencé.
En fait, elles avaient déjà démarré, mais seulement à l’oral, devant moi. Je n’en avais pas tenu compte : tout le monde était fatigué, peut-être ces filles avaient-elles dit des choses sans les penser ?
Mais à présent, sur la conversation Facebook de la classe, les doutes n’étaient plus permis. Je n’avais jamais vu un tel déferlement de haine, de cruauté… Et je ne le comprenais pas.
Quoi que je fasse, j’avais tort. Si j’essayais de me défendre, ça ne faisait que les lancer davantage contre moi. Mais quand je ne disais rien, c’était horrible…
J’ai passé des heures tellement atroces, en larmes, prostrée dans ma chambre, alors que mon téléphone, de l’autre côté de la pièce, vibrait sans arrêt, pour me signifier qu’elles continuaient.
Elles parlaient de moi à la troisième personne, comme si j’étais absente, comme si je n’étais rien, alors que j’étais là, seule, de l’autre côté, me tenant la tête dans les mains, à vouloir tout oublier.
Harcèlement scolaire : une solitude totale
La deuxième raison, qui fait de cette rentrée de janvier ma descente aux enfers, c’est ce que j’ai vécu comme une trahison de la part de mes parents. Alors que je traînais sur l’ordinateur familial, je suis tombée, par accident, sur un mail qu’ils avaient envoyé à ma prof principale.
Un mail dans lequel ils décrivaient froidement tout ce qu’ils savaient. Ils allaient même jusqu’à avouer craindre une phobie scolaire. Un mail dans lequel je découvrais également la trahison de Clélia, qui m’avait aidée alors que j’étais bourrée : elle avait appelé mes parents et leur avait tout dit…
Je ne critique pas Clélia, qui reste une de mes meilleures amies. Qu’aurais-je fait à sa place ? J’étais effrayante, à évoquer le suicide, à ne plus manger. Elle était loin pour ses études, elle a sûrement fait ce qu’il a fallait. Elle a agi en amie bienveillante, en voulant me protéger.
Mais moi, j’étais déjà tellement loin, je me sentais si seule, que j’ai cru que tout le monde était contre moi.
J’étais tellement en colère que je n’ai rien dit. Si je parlais de ma découverte, je partais de la maison et je ne revenais pas. La seule chose qui m’a retenue, c’est que si je parlais, n’étant même pas majeure, où pouvais-je aller ?
J’ai passé des heures, prostrée dans ma chambre, à fixer les murs en me répétant que je ne pouvais faire confiance à personne…
Harcèlement scolaire : lorsque les idées suicidaires apparaissent
À partir de là, j’ai sérieusement envisagé de sauter d’un pont. Je recommençais à ne pas manger, je faisais des crises d’angoisse toutes les nuits et je devais les gérer au lycée, je devais supporter les insultes, les profs de plus en plus durs avec moi.
Mes notes avaient baissé, parce que je ne travaillais plus. Physiquement, j’en étais incapable.
Ce qui était dur, ce n’était pas tellement la journée au lycée. C’était de la recommencer, jour après jour. Jour après jour, de se retrouver seule, de se dissimuler au maximum, d’ignorer les insultes, les regards assassins, de pleurer aux toilettes. Seule.
Dans mon histoire, la solitude était très difficile à vivre. J’ai toujours été quelqu’un d’assez solitaire et introvertie, quelqu’un qu’un peu de solitude ne dérangeait pas.
Mais là, il s’agissait d’être seule contre tous, contre tous ces gens à qui je n’ai jamais rien fait et qui pourtant m’avaient prise en haine. Cette solitude s’est faite chaque jour plus insupportable, et c’était presque une forme de torture. Mes amis me manquaient terriblement.
L’importance du soutien lorsque l’on est victime de harcèlement scolaire
À propos d’amis, Chloee m’a été d’une aide précieuse, capitale. Elle passait cette année-là un concours très important pour la suite et était dans une prépa, qui lui prenait évidemment énormément de temps.
Pourtant, chaque soir, elle me parlait, m’envoyait des messages, me soutenait, me secouait souvent. Pour me sortir de l’espèce de léthargie dans laquelle j’étais plongée.
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Jamais elle n’a lâché, jamais elle ne m’a laissée tomber. Un soir, je lui ai envoyé des captures d’écran emplies d’insultes, avant de laisser tomber mon téléphone, pour la nuit, parce que j’en avais marre.
Le lendemain, elle avait écrit un immense et magnifique texte à ces élèves, en me défendant et en leur montrant l’absurdité, la cruauté de leur conduite. On a hésité à le poster sur ce groupe, mais finalement on ne l’a pas fait. À quoi bon ?
Un autre jour, elle m’a écrit un long texte en me disant toutes les raisons pour lesquelles elle m’aimait. Un texte dans lequel elle me disait à quel point j’étais belle et merveilleuse pour elle, dans lequel elle évoquait nos beaux souvenirs.
Ou alors, je l’appelais, en crise d’angoisse, en larmes, et elle était là. Toujours. Autant qu’elle le pouvait. Elle m’envoyait tout son amour et tout son soutien au travers de ses messages, de nos appels.
La dépression, provoquée par le harcèlement scolaire constant
L’année avançait lentement, sans que rien ne change pour moi. Jusqu’à ce jour, en avril, où ma prof principale a voulu me parler.
Mon cœur a battu très fort. Avait-elle découvert mon enfer ? Allait-elle me demander comment j’allais ?
Encore une fois, il m’a fallu rester stoïque. Encore une fois, je me suis faite sévèrement réprimander, l’écoutant expliquer à quel point mon comportement était inacceptable. Elle est allée jusqu’à me menacer de me renvoyer trois jours de cours si je ne parlais pas plus.
J’étais au fond du trou. J’avais même creusé, à ce stade, j’étais au bout de tout. Les élèves me haïssaient, les profs me tournaient le dos. Sur qui pourrais-je compter ?
À peu près à la même époque, j’ai fini par aller voir une psy/hypnothérapeuthe, contrainte par mes amis. Celle-ci, au bout de dix minutes de notre premier rendez-vous, m’a diagnostiquée une dépression et suggéré d’aller voir un vrai médecin, pour me faire prescrire des anti-dépresseurs.
Ça a été une prise de conscience terrible. J’ai réalisé jusqu’où j’étais descendue, à quel point j’étais mal en point.
Je ne savais plus quoi faire. Diagnostiquée dépressive à moins de dix-huit ans, seule pour gérer ça. Mes amis étaient là pour m’aider, bien sûr. Mais sur place, à mes côtés, il n’y avait personne.
La fin de l’année scolaire, une libération
Quelques jours plus tard, j’ai fait une crise d’angoisse tellement grosse que ma mère m’a entendue. Sur le coup, elle n’a pas compris ce qui se passait. Mais le lendemain, Chloee, que j’avais au téléphone, a voulu lui parler et lui a tout révélé de ces crises. Pour la suite, j’ai pris la relève et je l’ai racontée à mes parents.
Ils ont été très choqués de voir jusqu’où tout cela était allé. Mais désormais, ils étaient là pour me soutenir.
J’ai continué comme j’ai pu jusqu’à la veille de la fin des cours. Là, sur le groupe de la classe, la cruauté a atteint des sommets, et j’en ai eu marre. Marre de cette cruauté, de ces jugements permanents.
J’ai écrit une lettre au directeur, ainsi qu’à ma prof principale, décrivant sans prendre parti ce que j’avais vécu, dans laquelle j’ai joint des captures d’écran pour preuves. Ils n’ont pas daigné répondre, ne m’ont pas prise au sérieux.
J’ai passé mon bac et l’ai obtenu, ce qui n’était pas gagné au regard du travail que j’avais fourni. J’ai enfin pu quitté le groupe Facebook de la classe.
Je n’avais pas pu avant, puisqu’il y avait du travail qui pouvait y être dit. Je pensais dire, en partant, tout ce que j’avais vécu. Mais épaulée par mes parents et une amie venue dormir à la maison, ils ont su me convaincre de ne pas le faire. À quoi bon ? Ça n’aurait fait que les relancer contre moi.
En revanche, j’ai posé une main courante. Techniquement, ça ne sert pas à grand choses. Ces personnes ne seront pas punies pour leurs actes. Mais moi, ça m’a permis d’obtenir une certaine reconnaissance de ce qui m’est arrivé. C’est officialisé, d’une certaine façon.
Guérir du harcèlement scolaire
Pourquoi tout cela est arrivé, je ne sais pas. Je pense que je ne comprendrai jamais ce déferlement de haine. J’ai eu droit à beaucoup de suppositions, d’hypothèses plus ou moins folles, auxquelles j’accorde plus ou moins de crédit. Mais aujourd’hui, j’essaie surtout d’avancer en laissant ça derrière moi.
Je n’oublierai jamais ce qui est arrivé. C’est inscrit en moi. Dans les cauchemars qui me réveillent encore la nuit. Dans les crises d’angoisse qui continuent à me ronger.
Mais cette histoire m’a rendue plus forte. Déjà, parce que malgré tout, j’ai eu mon bac, et les études que je veux, cette histoire donne une valeur toute particulière pour moi à ces réussites.
Et je suis en vie. Juste ça. J’ai réussi à tenir, à rester en vie. Je peux rire, respirer, faire des câlins (j’en ai tellement besoin maintenant !)… Je mesure à quel point la vie est précieuse, et c’est inestimable.
Je ne sais pas ce que la vie me réserve, je ne sais pas quelles difficultés je devrai affronter demain.
Mais je sais aujourd’hui que je suis armée pour.
Pourquoi est-ce que je raconte mon harcèlement scolaire ?
Pour que d’autres sachent. Sachent que le harcèlement scolaire, c’est grave. C’est un sujet sérieux et très urgent. C’est horrible de penser que ce qui m’est arrivé, ça arrive, à l’instant où vous me lisez, à d’autres, un peu partout.
À ceux qui traversent ce genre d’épreuves : je voudrais vraiment vous dire de parler. Parlez de ce que vous endurez, de ce qui vous arrive. Vous n’avez pas à en avoir honte – ce sont ceux qui infligent ça qui le devraient !
Et vous êtes tous, tous, géniaux. Toi aussi, là, qui me lis. Tu es une personne géniale. Avec des défauts bien sûr. Mais tu es une belle personne, avec des talents et des qualités.
Ce qu’ ils disent, ça n’est PAS TOI. Alors je te souhaite plein de courage.
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