J’éprouve souvent une petite déception en constatant la véracité de certains dictons et en réalisant que je ne suis pas le libre penseur que j’ambitionne d’être. J’aimerais faire mentir les habitudes et démontrer combien je suis au-dessus d’elles, mais parfois je suis forcée d’admettre que mon comportement et mon jugement se conforment aux proverbes centenaires.
Ainsi, on m’a souvent répété ce fameux « La curiosité est un vilain défaut » et je ne voyais pas bien en quoi il était vilain de se poser des questions et de chercher des réponses. Je trouvais même que la curiosité était plutôt naturelle et saine, et qu’au contraire, il était dangereux de ne point s’interroger et d’avaler tout cru ce qu’on me mettait sous le nez. J’ai donc derrière moi un lourd passé d’investigateur de l’extrême, j’ai farfouillé les recoins sombres de ma maison a?n d’en débusquer les lourds secrets que chaque famille porte en son sein. Du moins c’est ce qu’en dit le cinéma français (avez-vous déjà vu un ?lm français ayant pour thème la famille sans qu’il soit basé sur un LOURD secret totalement tabou ? Moi, non). Ma vie n’étant pas un ?lm d’Arnaud Desplechin, je n’ai jamais rien découvert d’extraordinaire (les tailleurs en soie que ma mère portait dans les années 90 sont-ils un lourd secret de famille ? Cela reste à déterminer) et j’ai donc dû satisfaire ma soif de curiosité autrement.
Étant née avec l’Internet, cela me fut aisé : j’ai pu me rassasier de ragots, d’exhibition égotique et de potins scandaleux sur tous les sujets qui éveillaient mon intérêt. Et je pense que nous sommes nombreux à avoir agi ainsi, jusqu’à trouver désormais totalement normal de taper le nom d’une personne récemment rencontrée sur Google et Facebook a?n d’en « savoir plus ». En savoir plus sur quoi ? Si la limite entre le privé et le public est plus ?oue que jamais c’est en partie de notre faute, par notre désir d’af?rmation, de singularisation et par cet excès d’exposition intime que nous avons placardé partout.
Si le mystère est attirant, il n’est pas attachant. On aime les gens que l’on connaît, que l’on peut cerner, qui parlent d’eux-même et sont transparents ; du moins, c’est ce que j’ai constaté autour de moi. Le mystère qui persiste doit être troué, la nouveauté doit s’écorner rapidement au risque de devenir menaçante
. Alors, en bons curieux modernes, on s’y attaque derechef par tous les moyens à notre disposition.
C’est le mois dernier, en tapant le nom d’une nouvelle collègue sur Facebook sans aucune intention de l’ajouter à ma liste d’amis, mais seulement dans l’ambition perverse d’en « savoir plus », que j’ai ressenti un léger malaise. Alors que je regardais les deux cents photos d’un voyage scolaire de l’automne 2009, je me suis demandé : « Mais qu’est ce que j’en ai à foutre ? ». Rien, il est vrai.Ses trois cent amis ne m’apprennent rien de fondamental sur cette personne et quand bien même j’y découvrirais un secret croustillant (comme une paraphilie pédestre par exemple), je serais bien en peine de répondre à ce questionnement aussi métaphysique que fondamentale : en quoi est-ce que ça me regarde ?
Je pense que la curiosité est naturelle mais que nous sommes de plus en plus invités à jouer le rôle d’inquisiteurs à la petite semaine lorsque la transparence n’est pas immédiate. Nous n’aimons pas nous poser des questions, nous ne voulons que des réponses et nous sommes incités à les donner rapidement. Je suis de plus en plus effarée lorsque je déchiffre les listes de questions et de cases à cocher qui semblent s’allonger sur les questionnaires, jusque dans les plus petits détails. Les préférences qu’il faut af?cher, les justi?catifs totalement absurdes et illégaux à apporter aux dossiers de locations d’appartement, par exemple. Les preuves de soi qu’il nous faut fournir urgemment sous peine de … de quoi déjà, exactement ? Sous peine de ne pas satisfaire l’obsessionnelle curiosité des autres ?
En réaction, je me mé?e et je ne dis plus rien. La vendeuse de chez Princesse tam-tam me demande ma taille pour l’ajouter à son ?chier client ? Je refuse de la lui donner ; loin de s’arrêter à mon mutisme, elle décide d’inventer une réponse à ma place : « Bon, je note un 36 alors ». Facebook me demande de me géolocaliser, de préciser d’où me viennent mes amis, je ne coche aucune case, de toute façon je peux être sûre que mes potes le feront pour moi et sans moi. Il est de bon ton de tout dire, d’af?rmer haut et fort que « Moi, je n’ai rien à cacher ». J’ai des copines qui laissent leur compagnon fouiller dans leurs téléphones portables, leurs boîtes mails, qui connaissent leurs mots de passe sur Internet. « Moi, je m’en fous, j’ai rien à cacher », déclament-elles, ?ères et transparentes. Moi, à ce stade, je suffoquerais déjà, langue pendante et enroulée autour du cou, bien serrée et à moitié évanouie par strangulation. Moi non plus, je ne crois pas avoir grand-chose à cacher ni à me reprocher, mais de là à autoriser l’invasion par autrui de mon espace intime, il y a un fossé infranchissable que j’appellerai tout bêtement le respect de l’autre.
Je suis une ex-curieuse qui a compris (peut être grâce au cinéma français ?) que les secrets découverts à la dérobée font rarement du bien et que la curiosité n’est jamais vraiment rassasiée. On s’imagine toujours qu’il y a davantage à démasquer que ce qu’on trouve. Pire, en étant trop curieux on autorise les autres à l’être envers nous-même, et moi les questions, les justi?cations, les comptes à rendre à Monsieur tout-le-monde, ça m’énerve méchamment. Depuis, je fais un peu plus attention aux dictons et j’use mes vices avec modération.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Et ce qui m'a rendue triste, c'est que tout ça, je l'aurais appris s'il m'en avait parlé, je n'aurais plus aucune surprise avec ce garçon puisque je sais déjà tout. Et je gagne quoi ? Rien du tout... Je perds même tous les plaisirs de la nouvelle que l'on apprend, puisque j'aurais déjà vécu ces plaisirs là toute seule, dans mon lit, mon Mac sur les genoux. Au secours...
Avec mon ex, j'ai eu du mal aussi à faire la différence entre ce que je peux partager/savoir et l'intimité, le "jardin secret", je ne ferais plus jamais cette erreur, je crois.
En tout cas, très bonne chronique, félicitations Ophelie et merci.