Vous avez peut-être déjà vu passer ce procédé sur Twitter ces dernières semaines, et donc sur Instagram depuis quelques jours. La yassification consiste à retoucher la photo d’une personne, inconnue ou célèbre, en poussant toutes les fonctionnalités de FaceTune.
Résultat : un contouring digne d’une drag queen ou d’une soeur Kardashian-Jenner, avec sourcils accentués et acérés, regard charbonneux, et bouche pulpeuse au bord de l’explosion.
Le mème de la yassification ironise sur les standards de beauté inatteignables des réseaux
Ce nouveau mème semble dénoncer les dérives du recours aux retouches photo pour ressembler à un idéal de beauté complètement irréaliste, naturellement inatteignable, en s’y adonnant jusqu’à l’absurde.
Tout serait parti de Twitter (comme la plupart des choses intéressantes sur Internet de toute façon). La toute première occurrence de « Yassification » date de fin août 2020, venant d’un compte depuis suspendu qui parle alors de « gaz de yassification », d’après le média d’histoire memesque Know Your Meme.
L’expression se voit ensuite reprise de façon sporadique, dont en novembre 2020, quand un tweeto qui feint de dévoiler une breaking news, au milieu des rumeurs et intox toutes plus absurdes les unes que les autres autour du Covid, des vaccins, et de la 5G.
Une expression tout droit venu de la culture queer
Selon le tweet ci-dessus, président des États-Unis Joe Biden aurait lâché du gaz de yassification sur la population. Celle-ci se mettrait alors à parler en ««« argot queer »»», utilisant des termes courant dans la communauté comme « slay » (qu’on pourrait tenter de traduire en « tuer » mais dans le sens de tout défoncer avec élégance).
Depuis, des personnes utilisatrices de Twitter s’amusent à comparer des célébrités entre elles, se demandant si l’une ne serait pas la version yassifiée d’une autre. Comprendre : plus outrancière, quitte à ce qu’elle semble verser dans ce que le commun des mortels jugeraient vulgaires ou de mauvais goût… mais que la culture queer préfère appeler camp.
Défini par l’intellectuelle Susan Sontag dans un essai publié en 1964, le camp désigne une forme d’humour méta qui se joue des artifices afin de mieux déjouer la dimension performative des rôles sociaux, dont ceux de genres et de sexualités. C’est cet humour plein d'(auto)dérision qui amène des personnes queer à traiter par exemple des films que le grand public trouverait grossiers — tels Jennifer’s Body — comme des chefs-d’oeuvre, par exemple.
Le Yassify Bot transforme l’histoire de l’art et les célébrités en baddies d’Instagram
Depuis novembre 2021, le mème gagne en viralité. En particulier depuis l’exemple de l’actrice yassifiée Toni Colette à partir d’une scène du film d’horreur Hérédité.
Depuis, la partie la plus marrante de Twitter FaceTune tout le monde et n’importe qui — du casting de Friends à Joe Biden et Kamala Harris, en passant par Mark Zuckerberg — pour en faire des baddies d’Instagram.
Puisqu’il est facile d’utiliser Face App pour yassifier la tête de n’importe qui, beaucoup d’utilisateurs s’en amusent en tirant le procédé à l’extrême. Un bot (au sens de robot : un compte Twitter automatisé) a même été créé pour yassifier au quotidien. Il a été créé par Denver Adams, une personne non-binaire de 22 ans, étudiante en art dans le Nebraska.
Le média Teen Vogue vient de l’interviewer pour tenter de comprendre ce que la viralité soudaine de ce mème raconte peut-être de l’époque :
« Je ne sais pas s’il y a une signification plus profonde derrière ce mème, mais si je devais la théoriser, je dirais qu’il met la lumière sur le ridicule sur cette technologie d’intelligence artificielle — à quel point elle est maline, capable de lire un visage, de le retoucher complètement en quelque chose d’aussi artificiel en un clic, en une seconde. C’est une pensée effrayante, mais en faire une blague permet de s’en moquer. Je dirais que c’est de la satire. »
Étudiant l’histoire de l’art, Denver Adams s’est aussi amusée à yassifier beaucoup de chefs d’oeuvre, ce qui a aussi pour effet de montrer combien les standards de beauté dépendent d’une époque. En dehors du temps et de l’espace qui les a vus naître, ils peuvent paraître absurdes.
Transformer la fatigue généralisée face à la culture de la retouche en satire
La popularité de ce mème illustre aussi peut-être en creux une forme de fatigue généralisée autour de l’artificialité des critères de beauté dominants, et de manière particulièrement saillante sur les réseaux sociaux.
La volonté d’y apparaître plus que parfait pousse poussent beaucoup de personnes à retoucher exagérément leurs photos, au point parfois de devenir méconnaissables.
FaceTune caracole souvent parmi les applis les plus téléchargées sur smartphone. En 2017, sa version payante était même numéro 1 au classement Apple, notait CNN. Vécue comme une injonction par beaucoup de jeunes, cette façon de devoir toujours se montrer sous son meilleur jour sur les réseaux a déjà été pointé du doigt par de nombreuses études comme pouvant favoriser des troubles d’estime de soi, d’insatisfaction corporelle, et d’anxiété.
La yassification ou le techno-racisme
Ce mème démontre peut-être aussi ce qu’on peut appeler une forme de techno-racisme. Puisque ce genre de technologies est développée par des humains avec leur biais racistes qui veulent répondre à une société elle-même perclue de biais racistes, alors elles les reproduisent, les systématisent.
C’est pour ça que FaceTune a tendance à éclaircir et affiner les traits du visage, comme s’il s’agissait du seul moyen d’augmenter son capital beauté : une forme de blanchiment automatisé.
Le mème de la yassification ne rend le phénomène que plus saillant encore. Car c’est bien le propre de la satire par exagération : questionner une réalité qui dérange en l’exagérant jusqu’au ridicule qui ne fait que souligner l’absurdité de la situation. Et sa violence.
À lire aussi : De Twitter et TikTok à l’IRL, casser son poignet devient un signe de ralliement entre queers et alliés
Crédit photo de Une : le casting de Friends, yassifié. © Capture d’écran Twitter.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.