C’est l’expo à ne pas rater en ce moment, et je pousse l’enthousiasme jusqu’à dire que c’est même l’expo de cette année 2012. En ce moment et jusqu’au 19 août, le Musée d’Art Moderne de Paris accueille plus de 700 dessins de Robert Crumb. De quoi rassasier les fans du satiriste underground ET présenter l’oeuvre de cet artiste torturé aux néophytes. Un pari hautement réussi.
En effet, cette incroyable parcours chronologique est à la fois dense (et pleine de pépites visuelles qui sauront surprendre les aficionados de Crumb) et très didactique. Étape par étape, elle revient sur les grands mouvements de l’oeuvre du provocateur.
Sa période underground des années 60 (Crumb a commencé à créer jeune, boulimique de dessins et sous LSD), sa vision de l’Amérique, ses introspections : tout y est.
Féru de culture populaire (dessins animés, revues bon marché, musique des années 20), Robert Crumb grandit dans une famille agitée et névrosée, ce qui ne l’empêchera pas de recevoir une éducation catholique très stricte. La bande dessinée sera son échappatoire : Robert, en compagnie de son frère Charles, passe son temps à coucher sur le papier des centaines et des centaines d’histoires, toutes inspirées des Walt Disney’s Comics & Stories.
Plus tard, Crumb devenu jeune homme passe son temps à se shooter au LSD. Les années 50 et les magazines satiriques et anar de Kutzman, Mad et Hambug, lui inspirent le fanzine Foo. Crumb y déploie une critique acerbe et sans concession de la société américaine.
C’est le début du succès. En parlant de sexe, de violence, de drogue sous un angle clairement absurde et nihiliste, les histoires de Crumb attaquent les conventions sociales et morales de l’Amérique.
Le style de Crumb, qualifié de bigfoot à cause de son trait souple, se répand. L’artiste devient même le dessinateur underground préféré des Américains.
En 1965, le LSD change complètement la perception du monde qu’a Crumb. Le dessinateur se met alors à créer de nouveaux personnages, très récurrents dans ses planches (et que, par conséquent, tous les fans connaissent). Il approfondit un peu plus sa veine de « dessinateur pour adultes » et devient une référence de la contre-culture de l’époque. Les comix (comics pour adultes traitant de politique et de sexe), les journaux étudiants et les revues hippies s’arrachent ses histoires.
Mr. Naturel est le personnage que Crumb dessinera le plus longtemps : il s’agit d’un gourou des temps modernes qui croise le chemin de hippies, névrosés et personnages égocentriques. Mais il y a aussi Fritz the Cat (un jeune libertin bien représentatif des vices de l’époque), Flakey Foont (l’égocentrique névrosé), Whiteman (qui incarne les frustrations des Américains classe moyenne).
(« Une famille qui couche ensemble est une famille unie ! »)
La névrose de Crumb ne prend pas uniquement ses sources dans son enfance. Le dessinateur se sent en décalage avec la société américaine toute entière : il n’adhère ni aux valeurs hippies, ni au culte de l’argent. Il méprise l’esthétique contemporaine et traquer les pires tares de l’humanité est son obsession première.
Mais parler de Crumb sans parler de son rapport aux femmes serait une erreur. L’oeuvre de Crumb n’est pas que le fruit d’une opposition à son époque, mais aussi celui d’un rapport frustré au sexe féminin. Crumb n’a jamais nié « l’amour et la haine » qu’il porte conjointement aux femmes.
Après avoir longtemps été rejeté par elles, Crumb connaît une aura de séducteur soudaine au fur et à mesure que le succès de ses dessins s’installe. S’ensuit une période pendant laquelle il enchaînera les conquêtes, jusqu’à en devenir un goujat. Brisant les coeurs de toutes celles qui croisaient son chemin en refusant de faire autre chose que coucher avec elles, Crumb tiendra une forme de revanche sur son passé de vilain crapaud. Cette période de sa vie, il la décrit en bande dessinée avec une troublante sincérité.
Les personnages féminins de Crumb incarnent ses fantasmes sexuels : ainsi, Angelfood McSpade évoque Joséphine Baker, Yetigirl représente la « bonne » sauvage, Harriet Hotpants la nymphomane et Devil Girl la femme démonique.
Sous le crayon de Crumb, les femmes sont toutes imposantes. Elles se tiennent sur de solides jambes, ont le bassin large et les épaules carrées. Le satiriste n’hésitera jamais à se dessiner lui-même dans les jupes de celles-ci, minuscule personnage à la merci du sexe opposé.
(Cette grande salle revient sur les premiers dessins de Crumb. De l’inédit.)
L’expo se termine par la partie française de la vie de Crumb, plus sage et reposée. Dans les années 90, Crumb s’installe finalement dans le sud de la France avec sa femme Aline et leur fille Sophie. Là bas, le couple dessinera ensemble (le recueil Parle-moi d’amour ! paru en 2011 revient sur 35 ans de dessins à 4 mains). Crumb dessine énormément d’affiches pour la protection de l’environnement de sa région, illustre les textes d’autres auteurs et s’adonne de manière compulsive au croisillon pour s’inspirer des graveurs du XVIIIe siècle.
— Musée d’Art Moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson, métro Ligne 9 Robert Crumb, de l’underground à la Genèse, du 13 avril au 19 août 2012 Du mardi au dimanche de 10 à 18h Tarif plein : 8 euros, Tari réduit : 6 euros
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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