À l’heure où l’on s’inquiète, à juste titre, pour nos retraites, la crise s’intensifie également dans les hôpitaux. Depuis quelques années, le monde de la pédiatrie souffre, et avec, les patients. Mais cet automne, la situation s’est particulièrement aggravée, comme en témoignent de très nombreux soignants.
Un engorgement prévisible à l’automne 2022
Fin octobre 2022, une forte épidémie de bronchiolite a subitement saturé les services hospitaliers pédiatriques sur toute la France. Le plan d’urgence nationale a alors été déclenché. Pour Déborah Ridel, sociologue à l’École des hautes études en santé publique, cette crise était prévisible :
Cela fait longtemps que les soignants tirent la sonnette d’alarme, notamment en 2019 pendant la grosse grève collective inter-urgences et inter-hôpitaux. Il y a de moins en moins de places, et de plus en plus de demandes. Il n’y a pas assez de pédiatres en libéral, les parents dont les enfants ne peuvent pas être pris en charge assez rapidement se tournent vers les urgences. Et avec l’arrivée des maladies hivernales, les services d’urgences ont été très vite remplis. »
Emma, pédiatre en cabinet libéral dans l’ouest de la France, en atteste. « Cette crise dure et est dénoncée depuis longtemps. La démographie des pédiatres a baissé avant celle des médecins généralistes, les pédiatres en ville viennent à manquer et les urgences pallient ce manque. »
Une pénurie de pédiatres
Mais pour quelles raisons y a-t-il si peu de pédiatres en ville ? « Beaucoup de pédiatres se surspécialisent, par exemple, en gastro pédiatrie, et il ne reste pas suffisamment de pédiatres généralistes. Beaucoup de pédiatres restent aussi exercer à l’hôpital, la plupart n’ont connu que ça, car les stages en libéral sont rares. Et c’est aussi l’une des spécialités les moins bien payées en ville, les consultations sont longues et les tarifs bloqués à des petits taux. Il faut donc soit beaucoup travailler, soit travailler très vite et on perd en qualité de soin », explique Emma.
Une partie du suivi des enfants est donc déléguée aux médecins généralistes : « C’est très aléatoire, ils ont peu de cours de pédiatrie pendant leur cursus, certains se forment de façon complémentaire si ça les intéresse. Des enfants sont moins bien suivis, il peut y avoir des pathologies non dépistées. Certains enfants n’ont même pas de médecin traitant et peuvent ne consulter personne pendant des années, ou juste SOS médecins quand ils sont malades. »
Des conséquences désastreuses
Les soignants et paramédicaux sont au premier plan des conséquences de cette crise profonde. Leurs conditions de travail sont déplorables. « Cet hiver on a connu des conditions de travail harassantes » raconte @to.be.or.not.toubib, médecin aux urgences pédiatriques dans un hôpital des Hauts-de-France. « Plusieurs épidémies se sont chevauchées, c’est ce que l’on craint chaque année. Toutes nos unités étaient pleines. Cela a conduit au moins une collègue en burn-out, qui s’en remet tout doucement. » Et outre les conditions de travail, celles de prise en charge des patients sont dégradées également, explique-t-il. « Cette année l’épidémie a été très forte, avec un début précoce et un pic extrêmement élevé, le plus haut de ces 10 dernières années, l’hiver a été cauchemardesque » déplore Emmanuel, interne en pédiatre à l’hôpital Robert Debré, à Paris. « Certains enfants ont dû attendre 10 ou 15 heures aux urgences, d’autres y sont restés plusieurs jours en attente de lit. Les urgences pédiatriques représentent 30 % du flux total des urgences, mais au niveau budgétaire on n’est pas à 30 %. Comme elles sont généralement saturées sur une courte période de temps, pendant 2-3 mois chaque hiver, les politiques ne voient pas l’intérêt d’investir sur le long terme. »
De son côté, Emma alerte sur le fait qu’il n’existe une insuffisance de dotation en moyens en pédiatrie : « on suit l’adage ‘petits enfants, petits problèmes’ qui est totalement faux. Les enfants nécessitent parfois des soins très techniques qui ne se font que dans le public. Beaucoup d’arrêts de travail ne sont pas ou mal remplacés, des paramédicaux se retrouvent avec trop de patients à gérer chacun, ils ont donc moins de temps à consacrer à chaque enfant. Le personnel est épuisé, c’est un cercle vicieux. »
Un pansement sur une jambe de bois
En novembre, le ministre de la Santé, François Braun, a alloué une enveloppe de 400 millions d’euros aux services hospitaliers en tension, dont la pédiatrie. Mais que peut réellement absorber cette mesure d’urgence temporaire ? « Cette enveloppe temporise, et éponge le surplus, mais cela ne règle pas le problème de fond. Les décisions politiques sont à revoir de manière globale, en incluant les citoyens et les professionnels », explique Déborah Ridel.
Sur le terrain, cette enveloppe a-t-elle aidé, même temporairement ? « On a eu une revalorisation temporaire en décembre, mais ce n’est pas pérenne, ça faisait plutôt opération de com’ » estime @to.be.or.not.toubib. « Ça n’a rien changé aux conditions de travail ni à la prise en charge des patients » ajoute-t-il. Pour Emmanuel, il s’agissait également d’un effet d’annonce avec peu de ressenti perceptible sur le terrain. « Les paramédicaux ont pu avoir des heures supplémentaires mieux rémunérées, et les médecins des gardes payées 50 % plus chères, mais ce n’est qu’une mesure temporaire. » Emma est du même avis : « Une prime de temps en temps ne suffit pas, il faut des salaires vraiment attractifs et des conditions de travail décentes ».
Pour l’heure, il semblerait que le gouvernement reste sourd aux demandes des soignants : « Le gouvernement ne souhaite pas geler le taux de patients à ne pas dépasser par infirmier ou infirmière » explique Emma. « L’objectif national de dépense de la sécurité social, un budget qui est fixé chaque année, est toujours trop faible. Elle est majoritairement allouée à l’hôpital, mais cela ne couvre pas les besoins des hôpitaux. Il y a moins d’embauches en CDI, et toujours plus de paperasse administrative à faire qui réduit le temps de soin. »
Les demandes des soignants
Certaines mesures envisagées par le gouvernement scandalisent les soignants, comme celle de déléguer des consultations en pédiatrie à des infirmiers ou infirmières, ou l’obligation de passer par un médecin généraliste avant de pouvoir consulter un pédiatre. Que faudrait-il donc mettre en place ? Trois axes principaux se dégagent dans les demandes des soignants, pour éviter de revivre éternellement cette crise cyclique, révélatrice de difficultés plus profondes.
Le premier concerne le nombre de médecins et paramédicaux, toujours trop faible. « C’est une demande récurrente mais qui semble impossible à satisfaire » estime @to.be.or.not.toubib. « À cause du numerus clausus, il faut s’attendre à une situation qui empire jusqu’en 2030, car la démographie des médecins est en baisse et le renouvellement prend du temps. Ce qui se passe en pédiatrie va bientôt concerner tous les autres domaines de la médecine, ça commence déjà à être le cas », explique Emma.
Un travail est également à faire en matière de pédagogie auprès des parents. « Certains parents consultent vite par inquiétude, il faudrait leur proposer des ateliers d’éducation thérapeutique quelques mois après la naissance de l’enfant, pour leur apprendre les signes de gravité, comment réhydrater un enfant, etc. Cela aiderait à désengorger les cabinets et les urgences » propose Emma.
« Informer les parents est important, le nouveau carnet de santé a été fait en ce sens, mais il faut continuer à développer ces moyens de communication » explique Emmanuel. @to.be.or.not.toubib propose même la mise en place d’une campagne de santé publique : « il faut éduquer à la santé, et aussi faire de la pédagogie sur les nouveaux vaccins disponibles, celui contre la gastro-entérite est maintenant remboursé, et il existe une injection d’anticorps contre la bronchiolite ».
Et il y a bien sûr et surtout un manque de moyens financiers en pédiatrie. « Il faudrait revaloriser les actes, rendre la pédiatrie plus attractive financièrement pour que plus de médecins s’installent en cabinet, et ainsi augmenter la qualité de soin et désengorger les urgences » avance Emma. Elle s’inquiète également du fait que la situation en pédopsychiatrie s’est encore plus dégradée qu’en pédiatrie.
« Il faut arrêter de noyer les médecins généralistes en libéral sous les certificats et l’administratif, ils écopent le flux et il faut les préserver pour nous soulager » alerte @to.be.or.not.toubib, mais « vu les négociations en cours, c’est très mal parti, le gouvernement n’en a strictement rien à faire ». Emma propose en ce sens de « remplacer les certificats enfant malade par des attestations sur l’honneur. Cela libérerait du temps et des consultations. Mais il faudrait aussi sanctionner les rendez-vous non honorés sans justification, c’est inadmissible dans ce contexte de manque de médecins. »
Davantage de personnel, de moyens financiers, et de pédagogie, voilà ce que demandent les soignants en pédiatrie pour désaturer le système. Les Assises de la Pédiatrie et de la Santé de l’enfant (un travail collectif de réflexion interministérielle) prennent fin en avril. Les soignants en attendent des solutions durables, toutefois sans grands espoirs.
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