Article initialement publié le 13 mars 2015
Quand je rencontre quelqu’un et qu’il me demande de parler de mon lycée, je suis toujours un peu gênée : certes, j’ai fait une seconde générale tout à fait lambda, mais je n’ai ensuite remis les pieds dans un établissement scolaire que pour passer mes épreuves du bac. En première et en terminale, j’ai suivi les cours par correspondance.
À chaque fois, on me pose les mêmes questions : pourquoi ? Et tes parents ont réagi comment ? Comment ça s’organise ? Et si tu ne comprends pas un cours ? Et la sociabilisation ?
Les cours par correspondance : au commencement (quand j’étais scolarisée)
Dès la primaire, j’ai commencé à avoir du mal avec l’école. J’avais de très bonnes notes (que j’ai continué à avoir toute ma scolarité), mais dès mes 8 ans je trouvais le fait de rester des heures assise à écouter passivement un instituteur tellement ennuyeux… Heureusement j’étais entourée d’amis, ce qui m’a permis de vivre relativement heureuse jusqu’à mon entrée au collège.
J’ai alors déménagé et suis entrée au collège dans un nouveau quartier. J’étais la seule à ne connaître personne, et je venais d’un milieu social différent des autres. Comme souvent lors des histoires de harcèlement scolaire, ça commence dans un moment de faiblesse momentanée… Je suis devenue la tête de turc permanente des autres élèves.
Ces années ont détruit toute ma joie de vivre ; à la différence de la primaire, il n’y avait pas que l’ennui au collège, mais également la solitude du harcèlement. Je ne savais pas à qui en parler de peur que ça empire, alors j’ai enduré, seule, le harcèlement de la meute.
J’ai demandé une première fois à mes parents de suivre les cours par correspondance en sixième. La discussion est ensuite revenue souvent au collège, mais ils refusaient toujours. Après tout, mes frères et sœurs avaient également vécu un collège tourmenté, mais ça s’était calmé au lycée.
Le problème quand on devient la victime quelque part, c’est qu’on le devient souvent partout : on arrive généralement les épaules baissées, sans plus savoir répondre, triste. C’était mon cas.
Je suis rentrée au lycée pleine d’espoir mais l’histoire s’est répétée. Je vivais à nouveau dans la solitude, le harcèlement et l’ennui. Parfois je trouvais ça normal même si je comptais les jours jusqu’aux prochaines vacances, et parfois je me disais que je ne pouvais pas rester dans cet état, alors je demandais à mes parents de me déscolariser pour suivre des cours par correspondance. Ils continuaient à refuser, par peur que je décroche, que je me désociabilise entièrement. Déjà que je n’étais pas très sociable…
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Le déclic qui m’a mené aux cours par correspondance
Le déclic a eu lieu peu avant ma rentrée en première. Je me suis dit que pendant trois semaines, je ferais tous les efforts possibles pour m’intéresser aux cours et m’intégrer socialement, et que si ça ne marchait pas, je passerais aux cours par correspondance.
Au bout de trois semaines, même constat qu’avant : impossible de contrer la solitude, le harcèlement et l’ennui. Ma vie me rendait malheureuse.
J’ai tout bonnement décidé de ne plus me rendre à l’école, sans prévenir personne, ni le lycée ni mes parents. Je n’en pouvais plus, j’avais besoin de cette bouffée d’air. J’avais de toute manière l’impression de n’être prise en considération par personne.
Pendant deux semaines et demi, j’ai passé mes journées à me promener dans les parcs parisiens, dans les musées (gratuits pour les moins de 26 ans) et au cinéma (j’avais une carte illimitée). Je me sentais enfin vivre comme je le voulais, et c’était un sentiment étrangement agréable.
Bien sûr, le lycée a fini par appeler la maison, et mes parents par l’apprendre. C’était une catastrophe pour tout le monde, personne ne comprenait pourquoi une si bonne élève faisait l’école buissonnière. Tous ont pensé que c’était une crise qui serait vite oubliée si je retournais en cours comme tout le monde.
J’ai refusé. Je me suis enfermée dans ma chambre, refusant d’en sortir, je ne voulais pas remettre mes pieds dans un lycée. Ni la négociation ni les cris n’ont fonctionné. Des amis ont tenté de me raisonner, en vain. J’étais butée car ma décision était prise depuis des semaines déjà ! Voyant le temps passer, mes parents ont fini par céder.
Je suis retournée au lycée deux fois cette année-là : une fois pour rencontrer ma prof principale et ma CPE, une deuxième pour poser ma démission. Les mêmes commentaires sont revenus : « C’est dommage, tu avais un tel potentiel… », « Tu vas foncer dans le mur », etc.
J’avais l’impression, comme depuis toujours, de n’être vue qu’à travers le prisme de mes bonnes notes sans que personne ne prenne compte de ce que je ressentais. Sauf que bonne élève ne veut pas dire élève heureuse.
Les cours par correspondance, un nouveau départ
Je me suis inscrite au CNED, l’institution française qui propose des cours par correspondance. Les premiers mois étaient euphoriques : enfin je ne passais plus huit heures par jour à m’ennuyer, enfin je n’avais pas à me sentir seule, enfin je faisais ce que je voulais de mes journées.
J’en voulais énormément aux gens qui ne m’avaient pas écoutée, et j’étais très fière d’avoir fait le choix de partir. Surtout, je me sentais forte. Je me sentais forte car enfin j’avais fait un choix fort, un choix qui ne reposait sur l’avis de personne sinon le mien. Ma confiance en moi était reboostée, je me sentais capable de tout. Je me suis fait la promesse de ne jamais oublier cette possibilité de faire un choix quand une situation ne me convient pas.
Et puis au fil des mois, cette euphorie s’est tassée en petits bonheurs du quotidien.
Les cours par correspondance : l’organisation au Cned
En ce qui concerne les cours par correspondance, je me suis inscrite sur le site internet du Cned. Il y a deux tarifs d’inscriptions au lycée.
- L’inscription libre, accessible à tous, qui coûte actuellement 912€ par an.
- L’inscription réglementée, accessible uniquement aux élèves déjà scolarisés auprès de l’Éducation nationale, qui coûte 280€ par an. J’ai pris cette option.
Après l’inscription, j’ai reçu tous les cours de l’année en un seul (et très gros) colis. Les matières sont séparées en chapitres (entre six et douze), et à chaque fin de chapitre, il y a un contrôle que l’on fait chez soi. Pour valider une année, on demande aux élèves d’envoyer les trois quarts des contrôles de chaque matière pour mai.
On me posait tout le temps la même question au sujet des contrôles : « mais tu peux tricher alors ? ». Eh bien oui, les cours par correspondance sont basés sur la confiance alors si tu veux tricher, tu le peux. C’est juste que ton résultat sera faussé. Une fois qu’on a bouclé un contrôle, on l’envoie par courrier ou sur la plate-forme Internet du Cned.
En langue, on a également des contrôles à l’oral, on s’enregistre et on le poste sur le site (bon, oui, on se sent un peu bête quand on le fait). On reçoit ensuite la correction d’un professeur qui s’enregistre lui aussi sur son ordinateur et nous l’envoie.
Je tiens d’ailleurs à souligner ce point : même si on reçoit toujours en complément une correction type du devoir, les corrections des professeurs sur la copie envoyée sont beaucoup plus poussées que ce que l’on a l’habitude de recevoir en lycée lambda. Souvent, des professeurs réexpliquaient sur ma copie un point entier que je semblais ne pas avoir compris.
D’ailleurs, si un point du cours reste incompris, on te donne des adresses mail et des numéros de professeurs à joindre pour l’expliquer !
Pour travailler mes cours, j’ai décidé de ne travailler que le matin (de 9h à midi) et en début d’après-midi (de 13h30 à environ 14h30-15h) du lundi au vendredi et en m’accordant les vacances scolaires.
C’était amplement suffisant pour suivre le programme et faire mes contrôles dans les temps. Bien sûr, la motivation n’est pas la même entre le moment où tu reçois tes cours et après trois longs mois d’hiver. J’avoue avoir de nombreuses fois fait sauter des journées de travail par manque de motivation. Mais j’ai toujours su me ressaisir à temps.
Viennent souvent des questions subsidiaires : comment s’organisent les TPE quand on est seule, par exemple ? Les TPE (Travaux Pratiques Encadrés) sont en effet une sorte de gros exposé en groupe que sont censé•es présenter les élèves de première, et la note compte pour le bac.
À la place de le faire en groupe, j’ai tout simplement préparé puis présenté mon exposé toute seule. Les élèves de première sont tous en contact avec un professeur pour les aider sur ce projet. J’avais très peur de rendre seule un travail très mauvais, mais finalement ça s’est bien passé et j’ai eu 15/20 !
Pour le sport, on reçoit un CD présentant les différentes épreuves auxquelles on peut se présenter et comment s’entraîner. Bon, ça reste très peu si on vise une note au-dessus de la moyenne.
En terminale, des cours de sports accessibles aux inscrits du Cned sont proposés dans toutes les régions de France. J’ai choisi cette option et pendant un an, je me suis entraînée deux heures par semaine avec d’autres Cnediens. Nous avions tous des parcours de vie différents : plusieurs avaient choisi le Cned pour passer leur bac alors qu’ils travaillaient déjà, il y avait un jeune prodige du violon, une fille avait dû être déscolarisée suite à un lourd accident duquel elle se remettait petit à petit…
C’est une période où j’ai pu aller énormément au musée, au cinéma, où j’ai lu de très nombreux livres. Même si ce n’était jamais fait dans le but de travailler mes cours, je suis certaine que ça m’a beaucoup aidée scolairement.
Les cours par correspondance : comment sociabiliser ?
En dehors de l’organisation nécessaire, on m’a souvent demandé comment se passait la sociabilisation quand on ne se rend pas « comme tout le monde » à l’école.
Les premiers mois, j’ai vraiment apprécié d’être seule car cela faisait des années que je subissais la présence des autres. Puis, petit à petit, ça a commencé à me manquer. Je ne dirais pas que ça m’a pesé, plutôt que ça me titillait : j’étais soudainement bien plus curieuse des autres que je ne l’avais été avant. Alors j’ai trouvé des activités : je me suis inscrite à un atelier d’écriture et un autre de dessin. Je cherchais les rencontres, discutais de bon cœur avec la caissière du supermarché ou les employés de mon cinéma.
Finalement, je pense avoir fait beaucoup plus de rencontres qui m’ont tenu à cœur pendant ces deux années de cours par correspondance que pendant tout mon collège et mon début de lycée.
Après des années courbée, à me fermer au monde, je m’ouvrais enfin.
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Passer le bac après des cours par correspondance
Les mois précédant le bac, je me suis mise à angoisser : j’avais très peur de ne pas l’avoir. Pas pour moi, mais pour les autres. Tous ceux qui m’avaient dit que je me planterais, que je foncerais dans le mur. Deux ans plus tard, je me sentais obligée de leur prouver le contraire.
Bien entendu, on ne passe pas le bac de chez soi. On est obligé•e de se rendre dans un centre d’examen. Je me suis donc retrouvée entourée d’élèves de mon âge pour la première fois depuis près de deux ans. C’était étrange, mais je me sentais à mon aise. Je n’avais plus cette envie irrépressible de me cacher.
(Presque) moi le jour du bac.
Le jour des résultats je n’ai pas osé me rendre au lycée où ils étaient affichés. J’avais trop peur de ne pas l’avoir et de l’apprendre devant « d’autres ». J’ai donc su devant mon ordinateur que je l’avais. Sans mention, certes, mais je l’avais !
Plus que de la joie, j’ai ressenti du soulagement :
j’avais réussi mon pari, assumé mon choix jusqu’au bout. J’ai évité deux ans de plus dans un lycée dans lequel je ne me sentais pas bien. Ma confiance en moi était plus que remontée !
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Les cours par correspondance : et après ?
Cela fait maintenant quatre ans que j’ai eu mon bac. Depuis je suis retournée à l’école pour mes études et ça m’a énormément plu.
Tout n’était pas tout rose ; j’ai de nouveau passé de nombreuses heures à m’ennuyer en écoutant des profs parler… Mais dans le supérieur, les études ont plus de sens car on les a généralement choisies en fonction de ce que l’on veut vraiment faire. C’est pourquoi j’étais contente d’être là.
J’ai cependant privilégié l’alternance pour entrer dans le bain du travail plus rapidement. J’ai eu mon diplôme en juillet dernier, l’école est bien finie pour moi !
Cette histoire reste un tabou avec mes parents : je pense que ça leur est tombé sur la tête sans qu’ils s’y attendent et qu’ils voient ça comme un échec dans l’éducation qu’ils voulaient me donner. Peut-être aussi qu’ils ressentent une certaine honte d’avoir été aveugles face à mes souffrances. En tout cas on n’en reparle pas.
Avec du recul, je pense que cette expérience m’a appris deux choses à mon sens cruciales.
- Il faut s’écouter soi avant d’écouter les autres (que ce soit les parents, proches ou amis).
- Même si elles impliquent de nombreux sacrifices, des alternatives sont généralement possibles pour aller de l’avant autrement.
Ces deux points sont aujourd’hui essentiels dans ma façon de voir la vie.
À lire aussi : « L’école n’est pas obligatoire », le strip de Tarmasz sur l’école à la maison [MÀJ]
Pour aller plus loin :
- Le site du Cned.
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Les Commentaires
Contente de voir que cette Madz a tenu et a eu raison. Et tous ces gens qui sous-estiment la gravité du bullying...