« La femme gagne quand c’est sa décision. »
Ce n’est que l’une des nombreuses phrases puissantes que vous pourrez retrouver au cinéma devant À la vie. Ce documentaire puissant, tout juste sorti en salles (le 20 octobre), a pour sujet Chantal Birman — 70 ans, sage-femme de banlieue, féministe aguerrie — mais aussi et surtout les femmes et leur post-partum.
Un engagement au quotidien aux côtés des femmes
Pendant un peu moins d’une heure et demie, la caméra d’Aude Pépin suit, avec sobriété, les visites d’appartement en appartement dans le 93 de Chantal Birman, encombrée de sa lourde valise de matériel. La sage-femme y délivre, avec franc-parler, la bonne parole aux jeunes mères ; elle panse leurs blessures, prend soin des nouveaux-nés.
Cette femme iconique, qui a d’abord travaillé à la maternité des Lilas puis est depuis dix ans en libéral, a fait de sa vie un combat — pour l’IVG (elle se dit prête à mourir pour que les Françaises conservent ce droit), pour donner un soin gynécologique et obstétrical de qualité aux femmes, pour un congé paternité égal à celui des mères (car pour elle, les droits et les devoirs, ça se partage à égalité), et pour accorder des moyens aux sages-femmes qui en manquent cruellement et qui commencent à réussir à le faire savoir, par le biais de grèves récentes notamment.
L’émotion nous cueille dès le début, alors que les images ne sont pas encore à l’écran. On entend une jeune mère chez elle parler avec Chantal Birman, lui expliquer que depuis quatre jours qu’elle est rentrée avec son bébé de la maternité, elle a du mal à arrêter de pleurer, que la fatigue est intense et que la rencontre tant attendue avec son bébé peine à se faire.
Tout de suite dans le vif du sujet de ce que va être ce documentaire, on voit la sage-femme la rassurer, lui dire que ses problèmes sont normaux, que des pulsions de mort envers son bébé peuvent exister.
Les difficultés maternelles, encore assez taboues, sont exposées sans filtre. Plusieurs femmes pleurent de fatigue, d’angoisse. On voit les joies et les difficultés, sans impudeur aucune.
Chantal Birman aide les femmes qui souhaitent allaiter, examine les crevasses et les cicatrices, prodigue ses conseils, toujours sans injonctions. Le but est de normaliser les écueils et de faire disparaître les tabous liés au corps post-partum.
La sage-femme milite pour qu’il y ait une meilleure prise en charge du post-partum — rappelons que la première cause de décès chez les jeunes mères est le suicide, avant les hémorragies de délivrance notamment. Lors d’un entretien avec Madmoizelle, Chantal Birman évoque cette période complexe pour les femmes et explique ce dont elles ont besoin :
« Au moment où elles ont énormément de chagrin, il faut les consoler. Il y a de quoi avoir du chagrin, quand on a perdu son corps, quand on a perdu ce qu’on était, qu’on est passé d’une génération à une autre, qu’on a touché la mort, d’une façon ou d’une autre. Il y a de quoi pleurer un petit coup.
Est-ce que le baby blues est normal ? Bien sûr, il est même sain. Il faut aider, être suffisamment à distance pour faire rire. »
Cela est le travail des sages-femmes et de l’entourage.
Le rôle primordial des sages-femmes
Les réunions avec des amies sages-femmes de Chantal Birman donnent lieu à des scènes joyeuses où se partagent des anecdotes mais où aussi, les larmes aux yeux, elles déplorent les accouchements à la chaîne, le manque de moyens de plus en plus criant, les péridurales obligatoires par manque de temps.
C’est un métier à grandes responsabilités, pourtant si peu considéré et rémunéré. Elles voudraient avoir la possibilité de donner aux femmes les soins et l’attention qu’elles méritent durant ces moments si compliqués et intenses.
Chantal Birman insiste : « Je n’arrive pas à comprendre comment on peut mettre à la chaîne les accouchements », un système si dommageable pour la prise en charge des femmes. Elle met cela en parallèle avec les visites de suites de couches où les sages-femmes ont parfois plus de temps, un moment très utile :
« Quand on est en suites de couches, on est dans une relation différente, on a une seule femme à la fois, donc je passe d’une femme à une autre comme on le voit dans le film. Ce documentaire montre que si l’on a une heure ou une heure et demie par femme, on peut faire un boulot de prévention extraordinaire.
Toutes les femmes du film ont le baby blues, aucune n’a fait de dépression du post-partum, parce qu’elles ont les deux ou trois réponses qu’elles cherchaient à ce moment-là. Elles vont s’y accrocher puis en trouver d’autres.
Après, elles sont allées les chercher les réponses, parce que dans ce moment-là, elles étaient en train de glisser, toutes. Si vous arrêtez le système de glissement, c’est reparti ! Elles sont hyper capables.
C’est pas grand-chose. Toutes les sages-femmes qui ont un peu de temps font ce travail-là. »
Elle ajoute que c’est aussi pour ça que les sages-femmes font la grève : pour avoir ce temps avec les femmes, qui est primordial pour leur santé physique et mentale.
Les conseils de Chantal Birman
Au fil des consultations dans le documentaire, la sage-femme délivre des conseils aux jeunes mères et ces derniers peuvent être utiles à toutes.
« La femme gagne quand c’est sa décision. »
Cette phrase peut particulièrement résonner lorsqu’il est question d’accouchement et du choix de la péridurale ou non. Chantal Birman déplore en effet le manque de moyens qui ne permet pas aux sages-femmes d’avoir suffisamment de temps pour accompagner les femmes ne voulant pas de péridurale.
Pour l’allaitement aussi, elle aide les femmes qui le veulent et cela n’est pas toujours facile ! Mais elle décomplexe, bien sûr, les femmes qui n’en ont pas envie.
« Concernant votre enfant : plus on fait confiance à quelqu’un, plus il a de force ! »
Une mère présente dans le docu a du mal à quitter son nouveau-né les premiers jours, à ne pas le surveiller, à se reposer. Chantal Birman lui livre donc cette phrase, qui peut s’appliquer à beaucoup de situations dans la parentalité et qui fait beaucoup de bien.
« La réponse aux questions de la mère, ce sont les réponses qu’elle va trouver elle-même. »
Il faut certes faire confiance aux enfants mais aussi aux mères elles-mêmes.
« Quand le bébé naît avant terme, la maman aussi est une maman prématurée. À elle aussi, il a manqué du temps. »
Ce que veut dire Chantal Birman, c’est qu’il faut neuf mois pour faire un bébé, physiquement mais aussi psychologiquement.
Cette sentence fait particulièrement écho chez moi, mère de bébés prématurés, qui ai été plongée assez brusquement dans une maternité certes très attendue mais assez violente.
« Tout ce qui rentre dans le corps d’un enfant, ça ne nous regarde pas. C’est lui qui décide s’il a assez mangé ou non. »
Pour Chantal Birman, il faut proposer le sein, les biberons et la nourriture de façon générale : ensuite, c’est l’enfant qui choisit.
« Devenir adulte, c’est écouter sa mère, mais pas forcément la croire. »
Lorsque l’on devient mère, on prend aussi souvent du recul sur sa propre relation à ses parents.
Pour Chantal Birman, quand on est une femme, on n’a pas le choix, on doit militer. Dans les temps de crise, les droits des femmes seront les premiers à être repris. Quand on est sage-femme, on est obligée de militer.
Les propos de Chantal Birman sont illustrés avec force dans ce documentaire si beau, réalisé avec sensibilité, qui touchera au cœur les femmes qui ont vécu cette période, mais espérons-le aussi, tout le monde.
À la vie est au cinéma ; allez le voir, vite, parlez-en autour de vous, car il risque de ne pas rester longtemps en salles. Il mérite pourtant d’être vu par tous et toutes.
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