— Publié le 4 octobre 2016
Première année post-bac. J’arrive à Grenoble, pas super bien dans mes pompes, pas super prête à affronter la vie.
Les murs gris de mon IUT m’enferment autant que les montagnes qui barrent l’horizon de tous les côtés. La ville est dans une cuvette, et mon moral aussi, même si j’essaie de me dire que ce nouveau départ, c’est tout ce que j’ai toujours voulu.
Je n’arrive pas vraiment à me faire des amis, même dans ma petite promo d’une vingtaine de personnes. Le système ressemble diablement au lycée, mais en quittant le lycée j’ai fait ma crise d’ado et brûlé tous les ponts, je n’ai pas envie de m’y replonger.
Je n’ai plus de potes. J’ai quelques connaissances avec lesquelles déjeuner à midi.
Charlie, ce garçon trop bien pour moi
Bien sûr que je l’avais repéré, ce garçon. Il était beau à s’en damner, déjà, avec ses cheveux bouclés et ses lèvres pleines, sa mâchoire carrée et ses lunettes en écaille. Il était sociable, à l’aise, bien dans ses baskets de toile dénotant un certain goût vestimentaire. Sa voix grave portait loin, grâce à des années de théâtre.
Il n’était pas timide. Il avait sa petite bande.
C’était un cool kid, ça crevait les yeux. Jusqu’à son prénom qui avait l’audace de ne pas être ordinaire. Charlie.
Et il ressemble grave à Hernando de Sense8.
Charlie était tout ce que je pensais détester. Alors quand il m’a proposé de se voir en-dehors des cours, j’ai freiné des quatre fers. Il avait déjà mis dans son lit une ou deux filles de la promo : hors de question d’être le prochain trophée sur son tableau de chasse.
Je me suis forcée à relativiser. Je me suis obligée à m’en vouloir de juger trop vite, de le prendre pour un coureur de jupons. Je me suis répété que c’est pas en étant aussi fermée d’esprit que je me ferais des ami•es.
Je me suis dit aussi, avec un peu d’amertume au fond de la gorge, que de toute façon, les mecs comme Charlie ne draguent pas des filles comme moi.
Je me suis dit aussi, avec un peu d’amertume au fond de la gorge, que de toute façon, les mecs comme Charlie ne draguent pas des filles comme moi.
Qu’il avait probablement besoin d’un coup de main pour un cours, ou que son naturel sociable le poussait à fréquenter tout le monde, mais qu’à aucun moment il ne pouvait être intéressé par le vilain petit canard maladroit que je voyais dans le miroir.
Alors j’ai dit oui.
Le premier rendez-vous… et ses surprises
On a été au cinéma, et c’était bien car ça nous ferait au moins un sujet de discussion. La pluie tombait à la sortie de Slumdog Millionnaire, et j’étais plus détendue. Le film m’avait mise de bonne humeur.
https://youtu.be/DrQECAgBxWU
La puissance !
C’est en essuyant mes doigts sur la serviette en papier du fast-food que j’ai percuté. Quelle conne.
Je m’étais enfermée dehors, claquant la porte avec mes clefs à l’intérieur. C’était déjà la deuxième fois cette année.
Quelle conne. Regarde-le, avec son arrogance, croire que c’est une excuse foireuse pour aller chez lui. Regarde-le déjà persuadé que je rêve de finir dans son lit.
Je me suis confondue en pommettes écarlates et on a pris le chemin de son appartement. Il me rassurait comme il pouvait.
« J’ai un canapé, tu sais, on ne dormira pas ensemble. »
On a pas dormi ensemble. On a pas dormi du tout. On a parlé toute la nuit. J’ai bu la première bouteille de vin rouge de ma vie. J’aimais son appartement ancien, la table de bois brut, l’odeur de tabac froid, de linge propre et de vieux livres.
On s’est déshabillés avec les mots et une fois mis à nu, on s’est trouvés beaux.
On a regardé l’aube se lever, allongés sur sa couette blanche moelleuse, même pas ivres, juste fatigués. Je ne sais plus trop comment on s’est embrassés. On a fait l’amour.
Et comme ça, juste comme ça, pour un trousseau de clefs oubliés, on est tombés amoureux.
Charlie, mon alter-ego inattendu
Charlie, c’était ce que je n’osais pas être, le mec que je n’aurais jamais osé convoiter. Assuré, cultivé, créatif, aussi à l’aise dans sa vie que dans sa sexualité, dans ses ambitions que dans ses addictions. En route vers le succès, un cocktail à la main, une clope au coin des lèvres.
Et Charlie m’avait choisie.
Charlie, c’était ce que je n’osais pas être, le mec que je n’aurais jamais osé convoiter.
J’ai mené une vraie vie de bobo à ses côtés, et ça me fait rire d’y repenser. Je tapais ses poèmes en prose, sirotant un verre de rouge. Il me dictait ses pattes de mouche en fumant clope sur clope.
On faisait le marché en s’autorisant un petit plaisir, un fromage fondant ou un sachet de girolles charnues.
Et on tapait des lettres à la machine à écrire.
Quand on s’ennuyait, on écrivait. On prenait des photos. On essayait les fringues de l’autre. On allait marcher, on explorait. On peignait, parfois sur des toiles, plus souvent sur nos peaux. On s’enroulait dans des guirlandes lumineuses pour voir si ça rendait bien. On errait sur Internet à la recherche d’un•e artiste qui nous ferait des trucs dans le ventre et dans le cœur.
On faisait beaucoup l’amour.
Charlie & Alix, en couple pendant deux ans
Charlie avait un nom de plume, un alter-ego avec une vie et une personnalité rêvées. J’ai bâti le mien en miroir, quelque part entre sa muse et sa compagne, parfois libre, parfois incapable de vivre sans lui. Mon nom, c’était pas Mymy, c’était Alix.
On était Charlie & Alix.
Quand on était séparés, on s’écrivait les récits de nos « moi » inventés. Et on faisait aussi l’amour par plume interposée.
Si j’écris sur Charlie, c’est qu’il a compté. C’est qu’il est toujours là, quelque part, dans les volutes d’une cigarette, dans un morceau de parquet chauffé par le soleil, dans mon cœur aussi, j’imagine.
Tout n’a pas été rose. On s’est déchirés, séparés, retrouvés, engueulés, trompés.
C’est à cause de Charlie qu’on a pu apercevoir, un certain mois de juin, une petite Mymy effondrée en sanglots dans une cabine téléphonique parisienne, incapable de reprendre son souffle. C’est à cause de Mymy que Charlie a versé d’immenses larmes capables de le noyer, les mains tremblantes se tordant au cœur de l’hiver.
On a fini par se quitter bons amis, bons amants. Il partait vers d’autres horizons, et au bout de deux ans et demi, la passion avait vécu, était devenue braises discrètes. Charlie avait soif d’ailleurs. Moi, j’avais déjà un pied dans la porte.
J’ai aimé Charlie, et Charlie m’a aimée
Charlie n’habite pas très loin de chez moi, aujourd’hui. On s’est vus quelquefois, et puis on s’est perdus.
Le temps a fini de nous détricoter, mais Charlie est toujours là entre mes murs, dans les touches noires de ma machine à écrire, dans mes vieilles cartes postales couvertes de ses mots d’amour nerveux. Dans les cahiers que j’ai remplis à la main et que j’avais oubliés, les carnets de Charlie & Alix.
Charlie, c’était mon premier âge adulte, ma première vie rien qu’à moi.
J’ai aimé Charlie, et Charlie m’a aimée. C’était ni prévu, ni compréhensible. Je ne comprends toujours pas ce qui l’a attiré vers la poupée de son que j’étais cette année-là, bouleversée, bousculée, à fleur de peau et timide au point d’en être presque méchante. Mais je suis heureuse que ça soit arrivé.
Charlie, c’était mon premier âge adulte. Ma première vie rien qu’à moi. Mes premières décisions impulsives, mon premier agenda personnel, mes premières envies absurdes auxquelles j’ai droit de donner vie, parce que je suis grande, maintenant.
Charlie, c’était ne pas être seule. Je crois que seule, je serais devenue très triste.
Je crois que j’écris un peu pour lui dire merci. Merci Charlie de m’avoir montré que je pouvais être autre chose, que je n’étais pas coincée. Que je pouvais créer comme je respire, aimer comme je m’étire, devenir Alix, une femme que j’aimais être.
Merci de m’avoir aimée, et de m’avoir laissée t’aimer. Merci à mon étourderie de m’avoir fait oublier mes clefs.
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On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
Je me reconnais un peu dans la description que tu fais de toi avant de rencontrer Charlie. Perso, je n'ai pas eu cette chance, personne ne m'a dit à cette époque que je pouvais être autre, que je n'étais pas coincée et un peu nulle. Et en effet, je suis devenue très triste.
Mais seulement pour un temps, et seulement pour ce qui touchait à l'amour, car en amitié au contraire, j'ai eu beaucoup de chance <3