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Culture

Chloé, gameuse féministe qui joue à Counter Strike avec un rouge à lèvres — Portrait

Chloé est une gameuse, une bricoleuse et surtout une personne qui réfléchit énormément aux oppressions et à la question des genres. Entretien avec celle qui a créé le Lipstrike, le rouge à lèvres qui permet de tirer à Counter Strike.

Rompre avec les genres et les a priori, Chloé sait faire. En publiant sur YouTube une vidéo d’elle en train de jouer à Counter Strike, jeu vidéo de tir, avec un rouge à lèvres comme gâchette, elle a fait réagir.

À la rédac, on a d’abord cru à un poisson d’avril, et puis on a rapidement compris qu’il s’agissait d’une invention à la fois subversive et géniale.

Son projet, l’étudiante l’a nommé Lipstrike, contraction de lipstick (« rouge à lèvres ») et Counter Strike. Il s’agit d’un bricolage simple qui est devenu un acte engagé. Car engagée, cette fille l’est, et ça fait du bien à lire.

Rencontre avec une gameuse qui n’est pas celle que vous croyez !

Chloé la touche-à-tout (mais surtout aux jeux vidéo)

Étudiante en cinquième année aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence, Chloé, vingt-cinq ans, ne tient pas en place.

Elle fait notamment partie d’un collectif artistique à Avignon, Freesson, qui organise entre autres des événements autour de la culture DIY et détourne des jeux vidéo anciens.

À côté, elle s’est rapprochée d’une amie pour créer un jeu de combat ninja dans lequel il faut toucher des capteurs placés sur l’adversaire au niveau des genoux et des coudes.

« Tout est fait à partir de récup’, dans l’esprit Do It Yourself ! »

Avant tout, l’étudiante est surtout une grande fan de jeu vidéo en tant que joueuse.

« J’adore jouer et j’ai besoin d’avoir du temps pour ça. Je m’intéresse particulièrement à la scène du jeu vidéo indépendant et alternatif.

J’ai commencé à jouer sur l’ordinateur, je jouais beaucoup aux Lemmings et à un jeu qui s’appelle Woodruff et le Schnibble d’Azimuth. Puis je suis passée à la console, mes jeux préférés c’était Pokémon, Zelda et Tony Hawk’s. Maintenant j’aime particulièrement les jeux Stanley Parable, Don’t Starve et Space Team.

Je pense personnellement que le jeu vidéo est un formidable médium pour passer des messages. Il y a des centaines de manières de jouer. Le jeu peut être contemplatif, pédagogique, narratif tout autant que divertissant, amusant et léger. »

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Un médium dont elle s’est servie pour son Lipstrike, où elle détourne un jeu qui se veut divertissant, Counter strike, pour en faire une performance artistique…

Autopsie d’un Lipstrike

Son inspiration, Chloé l’a développée en découvrant le cyberféminisme et l’art numérique en troisième année d’études. La genèse du Lipstrike, elle l’explique avec ses mots.

« J’aimais bien l’idée de créer un contraste entre les détonations des fusils et un objet qui évoque l’opposé de la guerre, de la mort. J’ai pensé au rouge à lèvres et je me suis dit que ça créait beaucoup d’autres sens, que c’était une bonne association à cause de tout ce que ça connote. »

Techniquement, le rouge à lèvres-gâchette fonctionne avec l’aide d’un Makey Makey, un outil simple qui permet de transformer n’importe quel objet conducteur en touche de clavier ou bouton de souris. Si créer un tel objet peut impressionner, la jeune femme rassure.

« Ça me paraissait vraiment un autre monde avant de m’y lancer, mais c’est pas si compliqué. Il y a plein plein d’astuces et de tutos sur Internet.

J’encourage les personnes mauvaises en maths et en sciences physique qui se sont mis dans la tête que les domaines scientifiques n’étaient pas pour elles à revoir leur jugement. Si ça vous intéresse, c’est super accessible. Par exemple, la programmation ne demande pas de connaissances approfondies en maths.

Je pense aussi que c’est important de s’emparer de la technologie, de la bidouiller et de la comprendre. Pour moi ça ressemble plus à une autre langue.

Sur le même principe que le rouge à lèvres, j’avais branché un petit ginseng à mon ordi et on pouvait faire grandir des racines à l’écran en caressant ses feuilles. »

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À lire aussi : J’ai testé pour vous… être testeuse de jeux vidéo

Jeux vidéo et engagement

Chloé gameuse, Chloé bricoleuse, mais surtout Chloé engagée. La femme analyse les clichés dans le domaine du jeu vidéo en comparant avec le cinéma.

« Comme dans divers milieux, je pense que ce qui est important c’est de voir autre chose que les blockbusters (…). Si on ne veut pas s’embourber dans des clichés récurrents, il faut tout remettre en question, essayer de nouvelles choses, expérimenter.

Ce n’est plus un secret dans l’industrie du cinéma comme dans celle du jeu vidéo, même si cela évolue petit à petit : il y a toujours des minorités peu ou pas représentées, ou alors avec des rôles tout pourris qui alimentent l’idée qu’il y a des catégories ethniques, sexuelles ou sociales meilleures que d’autres. »

À lire aussi : Le problème de la représentation, expliqué par Mirion Malle

À ce sujet, l’étudiante cite notamment le travail de la développeuse Henrike Lode qui souhaiterait organiser des jeux avec pour personnages principaux des gens marginaux ou habituellement délaissés dans les jeux vidéo : une prostituée dans GTA, une femme enceinte qui doit réaliser des tâches quotidiennes, un livreur qui subit le racisme….

À lire aussi : Sexisme chez les geeks : l’émission d’Usul et Mar_Lard en replay

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De la théorie au vécu du sexisme

Le sexisme dans le jeu vidéo sonne comme une évidence pour Chloé.

« Le sexisme dans les jeux vidéo n’est pas une fable. Il est récurrent, encore aujourd’hui. (…) La question n’est pas « Est-ce que les filles peuvent jouer ou non aux jeux vidéo ? ». C’est une évidence que n’importe qui devrait pouvoir jouer aux jeux vidéo sans se sentir exclu de la communauté.

Il y a des trucs aberrants comme les « jeux vidéo pour fille » (souvent des jeux de maquillage, de mariage, d’esthétique…) qui sont généralement des jeux tout pourris et super genrés.

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À lire aussi : La moitié des gamers sont des femmes… et ça fait râler

Il y a aussi les gens, garçons ou filles, qui vont avoir un discours censé soutenir « les vraies gameuses » en blâmant d’autres filles parce qu’elles sont trop sexy ou girly pour faire partie de la communauté. Ils disent qu’elles jouent de leur physique pour se faire connaître…. C’est le phénomène des fake geek girls. »

À lire aussi : Anita Sarkeesian : les femmes dans les jeux vidéo, épisode 1

L’artiste admet volontiers qu’elle s’attendait aux commentaires négatifs, aux trolls, à la haine et à l’incompréhension. D’ailleurs, elle récupère les pires commentaires pour les poster sur une page web spécialement créée pour l’occasion, et qui accompagne les performances.

« Il y a des gens qui se sentent offensés par la vidéo, il y en a qui croient que c’est pour faire de l’argent, il y en a qui se demandent si je suis une fille ou un garçon. Il y en a qui s’en foutent et qui trouvent ça nul mais qui prennent quand même le temps de poster un commentaire et qui ont besoin d’en débattre.

Il y en a qui vont dire « Ouais ça ne sert à rien de parler de sexisme dans les jeux vidéo à notre époque, je connais des filles qui jouent à Counter Strike, y en a plein » juste à côté d’un mec qui va poster « t’es moche, arrête de jouer et retourne dans ta cuisine ».

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Une réflexion qui va au-delà du sexisme dans le jeu vidéo

La place de la femme, mais aussi et surtout la place de chacun sont des thématiques qui touchent particulièrement Chloé. Dans le jeu vidéo, dans le monde, elle donne son avis sur la question.

« Plus que la place de la femme, ce qui me préoccupe, c’est l’importance que l’on donne au genre. Pourquoi est-ce si important de classer les gens et de leur attribuer des jeux vidéo en fonction de cette catégorie dans laquelle on les a placés ? Tout est si binaire.

Je pense que les questions à se poser c’est : qui opprime qui ? Qui cherche à dominer l’autre ? Et cette problématique ne s’attribue pas qu’aux questions de genre.

Il y a aussi le désir de domination de l’humain sur le reste du monde, sur la nature, sur les animaux. Je pense qu’on arrivera à avancer dans notre société quand on réglera ce problème d’anthropocentrisme, quand on sortira des modes de pensée binaires et quand on arrêtera d’utiliser ce terme de « naturel » pour définir ce qui est censé être bien et normal et d’opprimer ce qui ne rentre pas dans ces critères.

Des mots qui remuent et qui me semblent justes et sincères.

Ce n’est pas tant le monde du jeu vidéo qui est sexiste, raciste ou validiste, mais la société dans son intégralité. On peut certes décrier certains milieux qui sont pires que d’autres, mais seul un changement global permettra de faire évoluer les choses dans leur ensemble.

En attendant ce changement qui ne pourra arriver qu’après des actions collectives et pédagogiques, on ne peut qu’encourager et promouvoir de tel profils pour inspirer chacun•e d’entre nous !

Pour suivre les performances de Chloé, retrouvez-la sur sa page !
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Les Commentaires

2
Avatar de Zutto
8 avril 2016 à 04h04
Zutto
Si ça permet de faire quelque chose contre le sexisme, ma foi oui. Mais attention aux gros trolls qui trouveront ça stupide et ridicule de jouer contre des bots et de quand même mourir ou de vider un chargeur à côté de la cible. Le combo fille+rouge à lèvres+ bots + fail outch...
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Voir les 2 commentaires

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