Je suis issue d’une famille à problèmes de dos : mes deux parents ont une scoliose (la colonne vertébrale, au lieu d’être droite, est en forme de S ou de C).
Sachant que c’est héréditaire, ma mère a toujours fait attention en regardant mon dos, et m’a emmené un jour chez le médecin car elle avait détecté quelque chose.
Bingo, j’avais aussi une scoliose, et j’allais devoir porter un corset orthopédique. J’avais 13 ans, il fallait faire vite, pour ne pas que ma croissance vienne aggraver la chose.
À quoi sert un corset orthopédique ?
Le corset orthopédique est fait sur mesure. Il est généralement « tordu », puisqu’il doit contrebalancer la scoliose. Il est fait en plastique, avec de la mousse à l’intérieur. En-dessous, il faut porter un maillot de corps en jersey sans coutures, pour protéger la peau.
On trouve également un trou pour la poitrine (ce qui à l’époque ne servait rigoureusement à RIEN pour moi). On peut choisir un motif sur le plastique parmi un catalogue de trucs qui doivent sortir tout droit des années 80 (à l’époque, tout le monde conchiait la mode des années 80).
S’adapter à un nouveau corps avec son corset
L’adaptation au corset a été difficile. Je savais que j’avais « de la chance », par rapport à ma mère qui était littéralement écartelée pour être la plus droite possible au moment de la prise de mesures, et qui portait un instrument de torture en plâtre.
Il n’empêche, quand on enfile ce grand machin pour la première fois, on se sent extrêmement raide. La partie la plus basse m’arrivait à mi-fesses, et le scratch d’en haut était au niveau des clavicules.
J’ai donc du réapprendre à faire tout un tas de gestes. Je ne pouvais plus me baisser en penchant mon corps en avant pour ramasser quelque chose, je devais rester « droite » et plier les genoux.
Au bout de quelques temps on s’y fait (sauf quand les boudins de mousse sont mal placés et qu’on a la peau à vif parce que ça frotte).
Par contre, le corollaire de l’amplitude du truc, c’est qu’on ne trouve pas de fringues.
En pleine adolescence, à base de « je suis mal dans ma peau personne veut de moi » (ceci dit, c’est vrai, personne ne voulait de moi à l’époque), je pleurais à chaque fois que j’allais acheter des vêtements.
Tous les pantalons étaient trop taille basse, et quand je me baissais pour ramasser quelque chose, la partie arrière du corset sortait d’un coup, en faisant un magnifique FLAP extrêmement discret.
Tous les hauts étaient trop décolletés. Ceci dit, quand ton décolleté maximum est à la clavicule, ça limite le choix. Tous les hauts étaient trop courts aussi, avec le risque qu’en pleine journée, si tu as le malheur de lever les bras, apparaisse un scratch.
J’étais donc habillée… eh oui… comme un gros sac, sous vos applaudissements.
Le regard des autres
À l’adolescence, l’acceptation de soi passe souvent par le regard des autres. Mon propre corps ne m’appartenait plus, mais heureusement, j’ai eu droit à beaucoup de bienveillance autour de moi.
Le soir où je suis rentrée avec le corset, très raide et pas du tout habituée à évoluer avec cet engin, j’ai vu mon père s’isoler dans son bureau, pleurer et dire à ma mère «
Mais qu’est-ce qu’on lui a fait ? ». Ça m’a déchiré le cœur.
Au collège, je n’ai jamais eu à souffrir de quolibets à cause de ça. Il y avait bien un garçon de ma classe qui m’appelait Gladiator, mais c’était plus affectueux qu’autre chose, et ça ne m’a jamais blessée.
On ne m’a jamais fait de remarque. Alors oui, quand en sport je me changeais et je l’enlevais, certains me regardaient un peu du coin de l’œil en se demandant ce que c’était, mais j’expliquais et tout était réglé.
La seule fois où on m’a attaquée à ce sujet, c’était début seconde. Il faisait extrêmement chaud, je suis allée aux toilettes m’asperger d’eau, et évidemment, j’en ai mis partout.
De retour dans le couloir, je suis tombée face à un groupe de filles de ma classe.
Mais si, vous savez, les petites racailles, celles qui fumaient en cachette dans les toilettes du collège dès la 4ème, qui sont tombées enceintes fin seconde et qui, à l’époque, étaient tout en haut de l’échelle de popularité (mais qui sont tombées bien bas depuis).
Elles m’ont harponné à base de « Alors comme ça on se fait pipi dessus ? » et autres joyeusetés.
J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai soulevé mon t-shirt et je leur ai dit « Toi tu es en débardeur. Moi j’ai un t-shirt, un corset qui va des fesses aux clavicules, qui mesure 1cm d’épaisseur avec de la mousse, et un maillot de corps en-dessous. Alors OUI, j’ai chaud, et OUI je me suis mis de l’eau dessus, ça pose quoi comme problème ? ».
Fermage de gueule instantané. Grosse GROSSE fierté personnelle. Elles ne m’ont plus jamais embêtée.
La libération : j’ai enlevé mon corset
Les résultats du port d’un corset
Fin seconde, on m’annonce que désormais, je n’aurai plus besoin de le porter que la nuit. Autant te dire que je ne l’ai jamais remis (je ne saurais d’ailleurs te dire quand on m’a dit que je ne devais plus le porter du tout).
Il était au fond de mon lit, et je mettais religieusement mon maillot de corps au sale tous les jours pour faire croire que je le portais.
J’ai été bien débile, mais heureusement, ça n’a pas eu d’incidence sur ma scoliose. Les résultats ont d’ailleurs été meilleurs qu’espérés. Au début, il s’agissait de faire en sorte que ma courbure ne s’aggrave pas. Elle s’est arrangée.
Alors oui, aujourd’hui, comme tout le monde, je souffre de tout un tas de problèmes de santé du type jambes lourdes, vitiligo et autres joyeusetés, mais je n’ai JAMAIS eu mal au dos.
Que sont devenus mes corsets d’antan ?
J’ai eu deux corsets. Le premier, j’ai voulu le casser, mais je n’ai pas réussi. Je l’ai scié dans le jardin.
Le deuxième, j’en ai fait un projet d’art plastique en terminale, que j’ai présenté au bac. Il fallait que j’exorcise ça d’une façon ou d’une autre.
Un mois après l’avoir enlevé définitivement, j’étais percée au nombril. À l’époque je ne m’en suis pas rendue compte, mais c’était évidemment un truc du type « mon corps m’appartient regarde je le perfore où je veux ».
Comme j’ai pu m’habiller comme je le voulais, j’ai commencé à porter des choses très colorées et près du corps, et ça ne m’a plus quitté depuis.
J’ai aussi eu la chance d’avoir droit à l’effet « j’enlève mes lunettes d’intello et je deviens une bombe », façon série américaine.
À l’époque, mon addiction au fromage et au gras en général n’avait pas encore eu le temps de me faire grossir, et je suis passée de « Gladiator/buccalement vierge » à « je suis une bombasse, des garçons veulent sortir avec moi, et ce ne sont pas des tocards ».
Mes seins ont poussé (ENFIN) et j’ai eu mes règles dès que j’ai enlevé le corset, comme si tout était resté coincé à l’intérieur.
Je remercie ma famille, mon producteur, mes amis…
En conclusion, porter un corset a été une épreuve assez difficile, physiquement et mentalement. Mais heureusement que je l’ai fait. Sinon, je serais aujourd’hui toute tordue.
Ça a forgé ma personnalité, m’a prouvé que mon entourage était vraiment riche de soutien et de bienveillance, et j’en sors aujourd’hui grandie. À toutes celles qui doivent porter un corset, sachez-le : ça vaut le coup.
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