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Moi, moi et moi

Corrélations illusoires : pourquoi choisissons-nous toujours les files qui n’avancent pas ?

Vous êtes-vous déjà dit quelque chose comme « P’tain, j’ai ENCORE choisi la file qui n’avance pas »/ « J’ai oublié mon manteau, tu peux être sûr qu’il va flotter »* ? Ou pire « Femme au volant, mort au tournant » (ce qui, rappelons-le bien fort, est tellement faux : cf. page 33 de ceci) ?

Si vous êtes du genre à lire votre horoscope (par hasard – je sais bien que nous sommes ici entre personnes rationnelles que l’horoscope n’intéresse pas le moins du monde, sauf peut-être celui du 20 minutes, il est gratuit) en vous disant « Gosh, c’est EXACTEMENT ça », vous êtes victimes de ce que l’on appelle « les corrélations illusoires » : une tendance de notre esprit à exagérer la fréquence des liens entre certains évènements.

Le phénomène a été démontré à la fin des années 60 par des psychologues (Chapman & Chapman) et sur des psychologues : dans une expérience, ils présentaient à des psy et étudiants en psychologie des cas de patients diagnostiqués de certains troubles (paranoïa, impuissance…) accompagnés d’un « dessin du bonhomme » (NDLR ???) supposément fait par le patient. Résultats : les sujets (psychologues et étudiants) ont surestimé la fréquence des signes présents dans le dessin en fonction du diagnostic associé au patient. Ainsi, par exemple, lorsque le patient était censé présenter des troubles paranoïaques, les sujets ont noté plus de « gros yeux ». Pire, l’effet résiste même lorsque l’on fournit aux sujets des rapports indiquant le contraire : les psychologues sont restés fermement sur leurs conclusions et leurs théories dites « naïves » (NDLR ????).

Pourquoi sommes-nous victimes de ces corrélations illusoires ? Comment fonctionne un tel mécanisme ? Dans Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables – 150 petites expériences de psychologie, Serge Ciccotti fait le tour de la question

La confusion des sources

En premier lieu, nous mélangerions apparemment l’effet et la cause des évènements. Par exemple, nous serions nombreux à penser que « les antibiotiques, ça fatigue ». Et effectivement, à chaque nous en prenons, nous sommes fatigués. Mais ne serait-ce plutôt de la faute de l’infection ? Si ces deux éléments sont toujours présents en même temps, est-il pour autant juste d’imaginer qu’ils ont une relation de causalité (Horn, 1998) ?

Le poids des croyances sur nos jugements

Comme souvent, le problème vient tout droit de nos croyances. Celles-ci, bien souvent farfelues mais malheureusement bien ancrées dans caboches, nous amèneraient à inventer des relations entre certains faits. Ainsi, certains d’entre nous expliqueraient bien volontiers tel comportement violent ou agressif par la présence d’une pleine lune, ou tel trait de personnalité par un signe astrologique (mais enfin, tout le monde sait que les béliers sont casse-pieds puissance 10 ?!), ou une douleur au genou par des conditions météorologiques… D’autres encore croient dur comme fer que si la paume de leur main gauche les gratte, c’est un signe d’arrivée imminente de $$$$ (coucou P’pa!).
Toutes ces croyances sont bien des corrélations illusoires, puisque l’on surestime la probabilité d’apparition de telle ou telle chose pendant telle ou telle condition…

Pourtant, aucune preuve dite scientifique ne vient corroborer ces affirmations – à vrai dire, c’est même tout l’inverse : selon d’innombrables études, il n’y aurait absolument aucun rapport entre tous ces phénomènes, et ces croyances sont principalement irrationnelles.

Redelmeier et Tversky (1996) ont par exemple étudié 15 mois durant les liens entre variations climatiques et symptomatologie des patients (douleur ressentie et évaluation médicale) et ne sont parvenus à démontrer aucun rapport entre les deux évènements… Malgré tout, lorsque ces constatations sont expliquées aux patients, ceux-ci refusent d’y croire, et tout comme les psychologues auparavant, restent convaincus du bien-fondé de leurs croyances.

Corrélations illusoires et comportements

Évidemment, les problèmes ne s’arrêtent pas à nos croyances et peuvent également influencer nos comportements : nous croyons parfois tellement à l’impact d’une cause X que seule son évocation peut agir sur nos comportements.

Marlatt et Rohsenow (1980) ont entrepris une expérience sur trois groupes. Dans le premier, les sujets buvaient de la vodka-tonic. Dans le second, les sujets pensaient boire la même chose alors qu’il s’agissait en réalité d’eau gazeuse et de jus de limette. Dans le dernier, les sujets ne buvaient que de l’eau mais le savaient. Conséquences : les sujets croyant boire de l’alcool ont fait preuve de comportements plus agressifs et plus sexuels. Ceux qui pensaient être sous l’emprise de l’alcool ont donc adopté des comportements conformes à ce que l’on attend de quelqu’un ayant bu… Même s’ils ne buvaient que
de l’eau.

Recours à des théories naïves dans les corrélations illusoires

Généralement, nous préférons tous les explications qui confirment nos croyances. De ce fait, non seulement nous hallucinons à propos de la fréquence de relation entre des faits, mais pour l’expliquer, nous nous basons en plus sur des théories naïves, dites de « bon sens ». Le hic ? Ces théories renforcent nos préjugés et stéréotypes.

Elles viennent la plupart du temps du milieu dans lequel nous évoluons. L’exemple probablement le plus délirant se situe pendant la montée de l’antisémitisme, lorsqu’un journaliste (antisémite, il va sans dire) affirme que l’on peut reconnaître une personne de confession juive à ses traits physiques (ce qui vous rappelle certainement une appli, tiens) : nez, dents serrées, pieds plats, « main hypocrite », entre autres joyeusetés. Ces propos sont relayés dans les médias, puis discutés sous couvert d’étiquette pseudo-scientifique, et v’lan, ils deviennent une vérité vraie et justifient à eux seuls des comportements d’exclusion. Allô le monde, nous dirait une chanteuse au talent méconnu.

Pourquoi adhère-t-on plus souvent aux théories « du sens commun » plutôt qu’aux scientifiques ? Sans doute parce qu’elles sont plus faciles, moins coûteuses en termes de temps, d’énergie, d’efforts cognitifs, et qu’elles sont immédiatement disponibles dans nos cervelles sous influence.

Le pire dans tout ça, c’est que certaines d’entre elles ont acquis au fil du temps des statuts de méthodes scientifiques : c’est ainsi le cas pour la morphopsychologie (si vous avez une tête ronde, vous êtes vachement sympa, mais si votre corps est aussi rond, vous êtes probablement aussi fainéant) et pour la graphologie (si les barres sur vos T sont grands et élancés, vous êtes un fonceur). Allô le monde, réédition, répèterait la chanteuse au talent méconnu.

Que la messe soit dite : tout un tas d’études – aux méthodes scientifiques, elles – ont démontré les unes après les autres que toutes ces théories étaient incapables de prédire des comportements ou décrire des personnalités (King & Keohler, 2000). En fin de compte, nous sommes très probablement tous soumis à ces mécanismes, tous influencés par les croyances que nos sociétés nous ont transmises, tous victimes (ou coupables, ce sera selon) de corrélations illusoires. L’effet est donc compréhensible, et trouvera parfois une utilité sociale. Mais que se passe-t-il lorsque ces croyances et pseudo-sciences sont utilisées pour influencer autrui ? Ou encore pour finaliser un recrutement ? Comment encore accepter à notre époque que la numérologie, l’astrologie, la graphologie et toute autre truc-ologie soient largement relayées dans nos médias, poussant certain-e-s à les prendre en compte personnellement ?

* La victime d’expressions ringardes en moi hurle « comme vache qui pisse », mais j’ai décidé de rester digne.

Pour aller plus loin

 

– Le livre de Serge Ciccotti, Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables – 150 petites expériences de psychologie, où vous trouverez les fondements de cet article p.63 à 71, et qui est l’un des livres de « vulgarisation » les plus accessibles et amusants DU MONDE.
Récapitulatif sur les représentations sociales de la pleine lune
Les corrélations illusoires de la graphologie, sur charlatans.info
Un cours de l’université de Metz, que je ne saurais que trop conseiller


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Les Commentaires

8
Avatar de Caliode
28 décembre 2011 à 14h12
Caliode
Justine, tu viens de démonter une de mes croyances...
Je pensais vraiment que les douleurs articulaires étant sensibles aux changements d'humidité, elles étaient influencées par les changements météorologiques.


Je sais plus quoi penser, je suis toute mal à l'aise maintenant... Va falloir que j'ai une discution avec l'épaule de mon papa.
0
Voir les 8 commentaires

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