Dans la grisaille parisienne de ce dimanche 7 novembre flotte un drapeau jaune et violet. Place de l’Odéon, un petit groupe se forme autour d’une couronne de fleurs. C’est là que le Collectif Intersexe et Allié·e·s a donné rendez-vous aux militants et militantes. Quelques étreintes pudiques, des conversations à peine audibles de parts et d’autres et un mégaphone posé sur le sol.
Les personnes intersexes, dont « les caractéristiques physiques ou biologiques, telles que l’anatomie sexuelle, les organes génitaux, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique, ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité et de la féminité », selon la définition qu’en donne l’Organisation des Nations unies, se mobilisaient ce dimanche.
« C’est un dialogue de sourds »
L’hommage qui vient ponctuer la quinzaine de visibilité intersexe, deux semaines de conférences et de mobilisation, se fera en petit comité. Les organisateurs ne semblent pas s’en émouvoir. L’année dernière, il y avait moins de monde. L’année prochaine, il y en aura plus : la journée de solidarité intesexe tombera un dimanche.
Pour les quelques badauds qui traînent le pas dans le très chic 6ème arrondissement de la capitale, c’est une drôle de prière. Herculine Abel Barbin à qui on rend hommage a disparu en 1868. Inconnu·e du grand public, iel est la première personne intersexe dont on a retrouvé les mémoires. Un texte qui a même fait l’objet d’une réédition du philosophe Michel Foucault en 1978.
Oui, les visages sont solennels. Mais il n’est pas tant question de deuil. Ce qui se joue, c’est un travail de mémoire.
Intersexe et socialement considéré·e comme une femme à la naissance en 1838, Herculine Abel fait une transition, espérant pouvoir être en couple avec celle qu’iel aime. Le scandale éclate. Iel doit renoncer à son poste dans l’éducation. En 1868, dans sa petite chambre de bonne rue de l’Ecole de Médecine, Herculine Abel ouvrait le gaz.
153 ans plus tard, au même endroit, ils sont une petite cinquantaine à rendre hommage à cette figure majeure pour les personnes LGBTQIA+. Dans cette communauté qui a tant besoin de connaître sa propre histoire, ses écrits sont fondamentaux. Face à l’édifice imposant où l’université Paris Descartes a pris ses quartiers, une foule parsemée de jaune et de violet demande des comptes aux blouses blanches. Tout un symbole.
Mathilde, jeune militant·e du Collectif Intersexes et Allié.e.s, déplore lorsque Madmoizelle l’interroge :
« Les gens ne se sentent pas concernés. [Avec le corps médical], c’est un dialogue de sourds. »
Son intersexuation, iel l’a découverte sur le tard. Une vraie chance pour iel : des notions de féminisme lui ont permis de comprendre les droits qu’elle avait sur son propre corps. Mais derrière l’impression d’être passée entre les mailles du filet, Mathilde reste très en colère.
Constamment réduites à leurs organes génitaux (alors même que l’intersexuation peut tenir de caractères sexuels chromosomiques ou gonadiques), les personnes intersexes réclament ce dimanche la fin des mutilations gynécologiques, qu’elles se concrétisent par des opérations à répétitions à la naissance ou plus tard ou des traitements hormonaux lourds.
Pour les militants et militantes, l’inaction des élus et du corps médical répond à une seule et même logique : celle d’une classe sociale. Selon les activistes, ces milieux élitistes ne veulent rien apprendre d’eux, ne valorisent pas la parole des personnes concernées.
Et le collectif de lire sous les fenêtres de l’université de médecine le début du Serment d’Hippocrate auxquels les diplômés sont censés se soumettre. Respect des personnes, de leur autonomie et de leur volonté « sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions ».
Pour les militants et militantes défilant auhourd’hui, ces mots ont un sens.
La gerbe face aux mutilations des personnes intersexes
Qu’ils et elles soient intersexes ou alliés dyadiques (personnes non-intersexes), tous et toutes affichent la même solennité et posent une fleur en silence aux côtés de la couronne dorée. Mais le silence trahit aussi un écœurement profond. Après des mois de délibération, la loi de bioéthique a fait l’impasse sur les droits des personnes intersexes.
Gabrielle, membre du Collectif Intersexes et Allié.e.s et co-organisatrice de l’événement, commente pour Madmoizelle ;
« Déçus, c’est un euphémisme. Il y a des personnes qui ont œuvré pour la sensibilisation du personnel politique. Puis, la loi bioéthique est venue. Il y a eu des amendements qui ont été déposés, y compris par la majorité, qui auraient permis de mettre fin à ces mutilations, à ces traitements non consentis et en fait, à cause de ce prisme médical et du fait de son influence sur le ministère de la santé, ces amendements ont été rejetés. »
Reste un amendement qui a échappé à ce refus unanime : celui de l’organisation de la filière médicale pour créer des conditions de transparence à l’égard des patients. Mais pour Gabrielle, ce ne sera pas suffisant. Rares sont les médecins à soutenir les personnes intersexes. Surtout publiquement.
La jeune femme travaille dans la recherche et concède qu’il est difficile de prendre position sur le sujet. Du côté des blouses blanches, le rang reste serré. Il en va de même en politique où la thématique mobilise peu, alors même que la mutilation des enfants intersexes a valu à la France de multiples condamnations de l’ONU.
Après un silence, Gabrielle relativise. Les choses changent.
« On a obtenu que le sujet soit débattu dans l’hémicycle pendant des heures, en commissions puis en séances publiques. Et ces choses-là sont retranscrites. Dans le cas où un ministre nie certaines pratiques, ça peut servir pour des procès. »
La mobilisation va croissant, les questions se précisent ; des dispositifs se mettent en place pour récupérer les dossiers médicaux, demander des condamnations et des réparations. Si le Collectif Intersexes et Allié.e.s s’intéresse tant à la justice, c’est qu’il veut mettre en place une jurisprudence.
« Aujourd’hui, la France n’est pas sortie du paradigme pathologisant des mutilations des personnes intersexes », explique la jeune chercheuse. Le but est donc de bouleverser l’imaginaire collectif.
Alors que les activistes déposent une gerbe sur le rebord de la fenêtre de l’université, un vent froid parcourt l’assemblée. Tous espèrent qu’il tourne.
La solidarité LGBTQIA+ n’oublie pas son « i »
De nombreuses associations LGBTQIA+ et féministes ont répondu présentes. Après des années de militantisme pour Bi’Cause, une association qui milite pour la visibilité bisexuelle et pansexuelle, Gabrielle affirme que la solidarité est primordiale dans les luttes.
« Il faut que toutes les parties de la communauté se soutiennent. »
Sans le savoir, Vincent Viktoria Strobel viendra lui donner raison avec une étreinte. Co-porte-parole de Bi’Cause, iel esquisse peut-être un grand sourire mais la colère n’est jamais loin :
« Quand on fait des opérations chirurgicales sur des nourrissons, c’est que la vie est en danger ! Là, la vie n’est pas en danger. Au nom de qui, au nom de quoi, au nom de quelle image, peut-on s’arroger le principe de rendre conforme [aux normes sociales] ? »
Avec le soutien de l’Inter-LGBT, d’Act Up Paris et Amnesty, le Collectif Intersexes et Allié.e.s parvient à impliquer les autres communautés discriminées sur les questions de genre. Pour Vincent Viktoria Strobel, l’objectif est sans appel : il faut faire tache d’huile. Depuis les associations concernées, la problématique finira par s’imposer davantage dans le débat public. Dans son discours de soutien, lea porte-parole affirme :
« Si des paroles de souffrance s’expriment et il le faut, c’est aussi pour les transformer en force collective, en revendication, en action. »
Gabrielle pointe néanmoins quelques difficultés de compréhension qui persistent, même au sein de la communauté LGBT+. La militante déplore que l’intersexuation serve d’argument rhétorique contre la binarité de genre. Être intersexe ne dit rien de l’identité de genre et de l’identité sexuelle d’une personne… Mais la jeune chercheuse sait trop bien que ces questions restent complexes.
Autour d’elle, quelques oreilles traînent. Éloquente et synthétique, Gabrielle est celle vers laquelle beaucoup de militants renvoient les gens ayant des questions.
Dans ce petit rassemblement, on fait grand cas de la parole des concernés, de leur histoire et de leurs revendications. Gabrielle le déclare d’ailleurs sans mal :
« Le collectif a des objectifs politiques qui ne seraient rien s’il n’y avait pas d’objectifs communautaires. »
En attendant d’être véritablement écoutés, les personnes intersexes multiplient les groupes de parole espérant que dans ce ciel maussade de novembre, le prochain arc-en-ciel se teinte de jaune et de violet.
À lire aussi : Trois podcasts pour comprendre l’intersexuation et soutenir les personnes intersexes
Crédit de une : Katie Rainbow / Pexels
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.