Le 16 novembre 2017
Un homme aime une femme. Ou un homme fréquente une femme, en tout cas. A des relations sexuelles avec elle. Et un jour, la femme tombe enceinte.
Sauf que ce n’était pas prévu. La contraception (pilule, anneau, implant, DIU…) n’a pas fonctionné.
Selon l’avancée de la grossesse, la femme peut choisir d’avoir recours à la pilule du lendemain, à une IVG, ou d’aller jusqu’au terme. C’est à elle que revient la décision finale, car c’est de son corps qu’il s’agit.
Mais c’est aussi l’homme qui a créé cette grossesse. Et sa place, dans tout ça, elle existe — même si on en parle très peu…
Les couilles sur la table parle des grossesses accidentelles, côté masculin
Ce matin, j’écoutais dans le métro le dernier épisode du podcast Les couilles sur la table, qui parle de masculinité. Victoire Tuaillon y reçoit Coline Grando, réalisatrice de La place de l’homme.
Un documentaire qui, justement, s’intéresse aux hommes ayant « vécu » une grossesse accidentelle.
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Ce passionnant échange m’a beaucoup fait réfléchir sur le sujet, et mon intérêt a été renforcé par le fait que… eh bien, ça pourrait m’arriver, puisqu’aucune contraception n’est fiable à 100%, même pas mon DIU cuivre.
La place de l’homme face à une grossesse accidentelle
Coline Grando a réalisé La place de l’homme avec le Centre Vidéo de Bruxelles. Elle y interroge des hommes âgés de 20 à 40 ans, qui se sont retrouvés face à une grossesse accidentelle.
Seul l’un d’entre eux, le plus âgé, a fini par devenir père. Dans les autres cas, la grossesse n’a pas été menée à terme.
Coline Grando explique à Victoire Tuaillon avoir eu du mal à trouver des hommes prêts à parler de ce sujet. Elle a fini par avoir recours au bouche-à-oreille pour rassembler son panel d’intervenants.
En plus d’un certain malaise chez les mecs qui ne sont pas habitués à s’ouvrir, à parler de ce qui les bouleverse, les attriste ou les blesse, il y avait aussi une pudeur liée directement aux différences biologiques.
Eux ne porteront pas l’enfant, eux n’auront pas recours à l’IVG, ce n’est pas « leur » problème, et ils ne veulent pas « voler » la parole à celles qui vivent, dans leur chair et leur ventre, cette grossesse accidentelle.
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C’est louable, mais ça ne les empêche pas de ressentir, d’espérer, d’avoir peur, de se sentir coupable, démuni… et c’est ce qu’ils finissent par exprimer devant la caméra de Coline Grando.
Quelles options pour les hommes face à une grossesse accidentelle ?
« Mon corps, mon choix » ; « pas d’utérus, pas d’opinion ». Ces deux slogans féministes restent d’actualité à l’heure où le droit à l’IVG doit sans cesse être défendu face aux obscurantistes.
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Il faut, évidemment, que la personne enceinte ait le choix final, car il s’agit de son corps, sur lequel elle est la seule à avoir tous les droits. Coline Grando l’explique :
« Si on me retire le droit à disposer de mon corps, alors je suis une enfant, je ne suis pas une adulte à part entière. »
Cela n’empêche pas, cependant, les hommes d’avoir des émotions, des opinions. De vouloir peut-être garder un enfant alors que la femme souhaite avorter, ou à l’inverse, de ne pas vouloir être père.
Les ressources sont rares. Les centres du Planning Familial ne sont pas tous accueillants pour les hommes ; faute de moyens, leur priorité reste parfois de soigner et d’encadrer les femmes, comme l’explique Coline Grando.
De plus, il y a toujours le risque que l’homme oppresse la femme, cherche à la forcer (à garder l’enfant, à avorter). Il est donc important qu’elle puisse se confier, en privé, à un personnel compétent.
Pour les hommes, souvent, c’est la solitude face à une grossesse accidentelle, qui peut aussi être un évènement grave, traumatique dans leur vie.
L’un d’eux, qui s’est rendu avec sa compagne au Planning Familial, dit à Coline Grando :
— Personne ne m’a demandé, à moi, « Est-ce que cette nana n’est pas en train de te forcer à perdre ton gosse ? ». Non, personne ne m’a rien demandé. Tu te rends compte ? Comme c’est absurde ? — C’est le droit d’une femme de disposer de son corps, donc je ne trouve pas ça absurde… — Okay.
Une souffrance réelle qui se heurte à une autre réalité, celle de la biologie. Oui, la femme, à la fin, choisit. Et oui, l’homme peut ne pas être d’accord, peut en souffrir. Mais il ne peut pas (encore ?) se charger de la grossesse à sa place…
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Recréer du lien entre sexualité, contraception et grossesse
Une des volontés de Coline Grando, avec ce documentaire, était de renouer le lien entre une relation sexuelle et le risque d’une grossesse accidentelle. Un lien qui semble absent des esprits de beaucoup d’hommes.
Bien sûr, il est normal de tomber des nues lorsqu’on pense avoir une contraception efficace et qu’elle nous fait défaut. Mais dans les faits, la contraception pour hommes est très limitée, donc c’est souvent à la femme de s’en occuper.
Des partenaires sexuels réguliers, dans un duo hétérosexuel, vont souvent délaisser le préservatif une fois les tests IST/MST effectués. À la femme, ensuite, de prendre une pilule, de se faire poser un DIU, un implant…
Les seules options accessibles pour les hommes souhaitant être en charge de la contraception sont de continuer à utiliser un préservatif, ou d’avoir recours à une vasectomie (qui risque de ne pas être réversible).
Un tweet à dérouler, l’expérience très instructive d’un homme ayant eu recours à la vasectomie
D’autres contraceptions masculines existent, mais sont très peu connues et difficiles d’accès.
Alors, rappelle Coline Grando, une solution simple existe pour les hommes : utiliser des capotes, même si ça n’est pas l’idéal, même quand leur partenaire prend une contraception de son côté.
Le risque zéro n’existe pas, mais associer deux contraceptions (par exemple pilule et préservatif) est une sécurité supplémentaire.
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À quand du soutien parmi les hommes ?
En cas d’accident, c’est en effet à la personne enceinte d’avoir le dernier mot… Ce qui n’empêche pas de créer des initiatives pour les hommes dans cette situation, comme des associations ou groupes de parole.
Je suis bien obligée de remarquer qu’encore une fois, c’est une femme, Coline Grando, interviewée par une autre femme, Victoire Tuillon, qui parlent de questions touchant aux émotions et aux sentiments des hommes.
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En France, les ressources d’entraide et de soutien entre hommes, créées par des hommes, notamment pour parler de sujets liés à la masculinité, restent rares.
Ce documentaire et l’interview de Coline Grando me fait penser qu’il est urgent pour les hommes de se saisir de ces thèmes, car ceux qui souffrent sont bien réels, et souvent seuls.
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Les Commentaires
Bref perso je pense que si je devais me retrouver un jour dans ce cas de figure, la solution la plus éthique pour moi serait soit d'avorter soit de garder l'enfant en connaissance de cause en acceptant de ne rien demander à son père. Et ça ça pose un problème plus gros encore parce que va expliquer ça à ton gamin dix ans plus tard quoi (et en même temps est-ce que c'est vraiment pire pour l'enfant que d'avoir un père qui aurait endossé son rôle à contrecoeur, voire dans le ressentiment le plus total ?) Bon après je le dis comme ça à froid mais si ça devait réellement m'arriver je ne tiendrais pas nécessairement le même discours (c'est si facile de se dire "moi je ferais ci ou ça" quand on est pas dans la situation en question).
On parle principalement du choix des femmes à disposer de leur corps et je suis totalement d'accord avec ça et avec le fait qu'elles sont les premières concernées par le sujet de l'avortement. Pour autant, ça n'est pas incompatible avec le fait de réfléchir à la liberté de l'homme à choisir d'être père ou non. Ou en tout cas, ça ne l'est pas pour moi.