Hier (mardi 12 juin 2012) a eu lieu une manifestation d’opposition en Russie. Cet évènement appelé « Marche des millions » (un terme quelque peu ambitieux puisqu’il aurait réuni « seulement » plusieurs dizaines de milliers de participants) avait pour but de protester contre Vladimir Poutine, symbole du régime russe. L’actualité internationale ayant été quelque peu occultée dans les médias à cause d’un tweet, c’est l’occasion de revenir ensemble sur ce conflit entre les protestataires et le gouvernement qui fait du bruit depuis de longs mois.
Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev : les chaises politico-musicales
Pour comprendre le mouvement contestataire, il faut connaître Vladimir Poutine, qui a été réélu président en mars dernier, et pour connaître Vladimir Poutine, il faut jeter un oeil à son CV :
Après avoir été nommé directeur du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) par Boris Eltsine (premier président de la Fédération de Russie) en 1998, Vladimir Poutine devient président du gouvernement l’année suivante. Boris Eltsine étant bien mal en point à l’époque, Vladimir Poutine assure alors également par intermittence la présidence du pays avant de reprendre définitivement le flambeau du 31 décembre 1999 à mai 2008. Pendant ces années, il a mené une politique économique de redressement et s’est évertué à donner davantage de pouvoirs à l’exécutif.
En 2008, la Constitution l’empêche de se présenter à nouveau, puisqu’elle impose une limite de deux mandats consécutifs. Un tout petit obstacle pour le Président sortant qui soutient alors la candidature de Dmitri Medvedev, son vice-Président, qui nomme son ancien patron à la présidence du gouvernement (l’équivalent de notre Premier Ministre) dès son élection. Un échange de bons procédés qui ne s’arrête pas là puisque lorsque Vladimir Poutine se porte candidat à la présidentielle de 2012, son ancien vice-Président désormais Président sortant lui déclare son soutien. Lorsque Poutine est réélu à la tête du pays le 4 mars 2012, il nomme immédiatement Dmitri Medvedev président du gouvernement.
Un petit tour de passe-passe à la Dupont-dominant/Dupond-dominé qui ne plaît pas à une partie du peuple. Un petit tour de passe-passe qui est également particulièrement symptomatique de l’influence et des libertés que prend Vladimir Poutine avec le pouvoir.
Que lui reprochent ses opposants ?
Les manifestations de l’opposition n’ont pas commencé hier avec cette fameuse Marche des Millions : la contestation, jusque là présentée par le gouvernement comme marginale, était disparate et isolée, mais bien présente. L’opposition s’est réellement mise en marche et s’est organisée au début du mois décembre 2011 à la suite des résultats des élections législatives remportées par Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine. Les contestataires se sont levés contre ce qu’ils estiment avoir été un scrutin entaché de fraudes (l’exemple réutilisé un peu partout est celui de la région de Rostov où les scores obtenus par les différents partis en lice représentaient plus de 140%) et contre le fait qu’on leur avait « volé leurs votes » (une expression utilisée sur les pancartes qu’ils brandissaient, comme on peut le voir et l’écouter dans ce reportage du Monde).
Les opposants dénoncent la suprématie du parti Russie Unie qui, en plus de soutenir Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev (les n°1 et n°2 du pays, donc), est majoritaire à la Douma d’Etat (la chambre basse du Parlement). Le 20 décembre 2011, après quinze jours passés en prison pour avoir participé aux manifestations, Alexeï Navalny, l’un des leaders actuels de l’opposition, qui dénonce des faits de corruption sur son blog
, appelle les opposants à faire perdre Vladimir Poutine à la Présidentielle.
Réaction du gouvernement face à la contestation
Dès les rassemblements de décembre, le régime russe a engagé un véritable bras de fer contre les opposants en sortant l’artillerie lourde (camions à eau, policiers anti-émeute par centaines de camions, les jeunesses poutiniennes jouant du tambour pour couvrir le bruit des manifestants en portant des masques de Star Trek, comme précisé dans le document audio du Monde cité plus haut) pour maîtriser la manifestation. Le lendemain du rassemblement du 11 décembre 2011 (qui aurait réuni 80 000 participants dans Moscou), Dmitri Medvedev, alors encore Président de la Fédération de Russie, promettait de faire vérifier les résultats.
La semaine dernière, le gouvernement a adopté une loi limitant le droit de manifester : jusqu’à 7300€ d’amendes pour qui participera à une manifestation non autorisée (soit une somme 60 fois plus importante que l’amende préconisait dans ce cas de figure auparavant, comme le rappelle L’Express). Le dessein de cette loi ? Dissuader les gens à descendre dans la rue de peur de risquer de payer cette somme – permettez-moi un euphémisme – considérable.
Le 11 juin dernier, soit la veille de la grande manifestations anti-Poutine, les leaders de l’opposition au Président russe ont vu leurs logements perquisitionnés. Le Comité d’enquête a prétendu que ces perquisitions faisaient partie d’une investigation par rapport aux « désordres massifs » qui ont conclu une précédente manifestation, celle du 6 mai dernier où 20 000 personnes s’étaient rassemblées pour protester la veille de l’investiture de Vladimir Poutine et qui s’était terminée avec des affrontements entre la police et les manifestants qui ont fait plusieurs blessés dans les deux camps.
Texte fondateur de la Russie libre
C’est à l’occasion de la manifestation du 12 juin qu’a été dévoilé hier le texte du manifeste La Russie libre, rédigé par Alexeï Navalny (blogueur anti-corruption), Olga Romanova (journaliste), Ilia Iachine (leader du mouvement Solidarité) et plusieurs autres opposants, militants ou issus du milieu politique russe. Les principales thèses du document, rapportées par Courrier International, sont les suivantes :
- Démission de Vladimir Poutine, symbole du système.
- Mise au point d’un projet pour une nouvelle loi sur les élections législatives susceptible de garantir un scrutin honnête, transparent, au cours duquel s’exercera une véritable concurrence. Il devra prendre en compte les revendications exprimées lors des grandes manifestations [qui se tiennent depuis les législatives du 4 décembre 2011].
- Adoption de ce projet de loi par la Douma (Parlement) actuelle, dont ce sera le dernier vote.
- Tenue d’élections législatives dans le cadre de la nouvelle loi.
- Examen d’un projet de nouvelle Constitution par le Parlement tout juste sorti des urnes. Ce texte limite considérablement les pouvoirs du Président et le nombre d’années qu’il peut passer à son poste (au maximum un seul mandat de six ans, ou deux de quatre ans), et étend les pouvoirs du Parlement au sujet de la formation du gouvernement et des enquêtes diligentées par le Parlement. Ce projet de Constitution doit ensuite être soumis à référendum.
- Adoption par le nouveau Parlement d’une loi sur l’élection du Président et annonce de la date du scrutin. Adoption de lois garantissant l’autonomie de gestion locale et l’élection des gouverneurs au suffrage universel.
- Examen et adoption par le nouveau Parlement d’une loi sur une réforme des tribunaux, du parquet, de l’instruction et de la police, loi prévoyant le licenciement des personnes dont la carrière a été entachée d’actes criminels. Adoption d’une loi sur les référendums afin de simplifier notablement la procédure permettant de les organiser.
Pourrait-il y avoir un Printemps Russe ?
Le mouvement de contestation ayant une certaine ampleur, on est en droit de se demander si les opposants russes vont suivre le chemin des Printemps Arabe et d’Érable. Ce n’est pas certain car face à une opposition tenace, Vladimir Poutine peut compter sur ses supporters qui étaient plus de 100 000 à lui manifester leur soutien le 1er mai dernier.
L’opposition sera-t-elle matée et étouffée par les autorités ? Le mouvement contestataire continuera-t-il de prendre de l’ampleur ?
Le temps nous le dira.
Les Commentaires
Le principal problème n'est pas tant Poutine que les centaines de milliers d'intermédiaires véreux dans les milieux administratifs, médicaux ou policiers qui touchent leur pot-de-vin quotidien et n'ont aucun intérêt à la révolution.
L'avenir démocratique de la Russie dépend de sa capacité, une fois la tête de son système coupée, à éradiquer méthodiquement les pratiques parasites à tous les étages. Et le phénomène est tellement énorme que je parie sur des lois d'amnistie.