Un fantastique recueil de contes inclusifs
Derrière le beau-livre jeunesse Brune-Feuille, Le prince se marie et autres contes inclusifs, publié récemment par les éditions Talents Hauts, il n’y a pas seulement de fantastiques textes qui résonnent comme une ode à la différence et à la diversité. Il y a aussi une histoire politique qui vaut le coup d’être racontée. A l’automne 2020, en Hongrie, une députée déchire publiquement l’exemplaire d’un de ces recueils de contes. La raison de ce geste violent ? L’inclusivité prônée par cet ouvrage qui a été signé par dix-sept auteurs et autrices hongrois sollicités par l’association LGBTQIA+ Lasbrisz. Dans ce livre qui revisite des contes et mythes du monde entier, Blanche-Neige devient Brune-Feuille, Cendrillon, un jeune tsigane « aux yeux sombres et à la peau chocolat », une jeune fille se transforme en garçon, un prince préfère coudre et dessiner des robes plutôt que de pratiquer l’escrime ou la chasse quand un autre épouse un prince… Dès sa parution, l’ouvrage crée la polémique au moment où la loi homophobe du gouvernement Orban, prévoyant que les livres « qui expriment l’homosexualité » ne puissent être vendus dans un rayon de 200 mètres autour des églises et écoles, est en train d’être promulguée. Fabuleuse réponse à cette mesure abject, le recueil se classe dans les meilleures ventes de Noël 2020 en Hongrie. Et est maintenant traduit en douze langues. En France, où il vient donc d’être édité par la maison Talents Hauts, ce sont trois traductrices – Chantal Philippe, Joëlle Dufeuilly et Cécile A. Holdban – qui se sont attelées à la traduction de ces contes. Signés par des figures de renom comme la romancière Orsalya Ruff ou la poétesse Krisztina Rita Molnar, on y découvre aussi de nouvelles plumes, sélectionnées grâce à un concours d’écriture. Il faut absolument lire ce livre, devenu un symbole, et le faire lire. Sortant de la fabrique classique des héros et héroïnes de contes qui participe à ancrer nombre de stéréotypes dans notre imaginaire collectif, ce recueil offre aux enfants (dès 6 ans) des histoires dans lesquelles chacun(e) pourra au moins un peu se reconnaître. Mais aussi une vision du monde décorsetée, riche, complexe où la différence n’est pas une tare. En bref, une bouffée d’air. Par ailleurs, les très belles illustrations de Lilla Bölecz ainsi que la joliesse des écritures réunies, raviront aussi les plus grands : on a aucun complexe à dire qu’on l’a lu d’une traite et qu’on a adoré !
*Brune-feuille, Le prince se marie et autres contes inclusifs, ouvrage collectif illustré par Lilla Bölecz, Talents Hauts, 192 pages, 22€.
Une ode aux anti-héroïnes de série
A l’heure de l’éducation bienveillante (mais aussi quelque peu culpabilisante), le visionnage d’un épisode de Malcolm fait office d’élixir aux affres de la parentalité. Ou plus précisément d’exutoire. Car dans cette série américaine des années 2000, créée par Linwood Boomer, Loïs Wilkerson -interprétée par Jane Kaczmarek- , mène de manière aussi cinglée qu’impitoyable, sa famille à la baguette. Tandis que ses 4 ( puis 5 ) fils lui en font voir de toutes les couleurs (et c’est un euphémisme), cette mère shootée à la charge mentale, hurle, punit, tempête, manipule, n’hésite pas à confisquer les cadeaux de Noël ou à taper l’affiche à sa progéniture. Constamment au bord de la rupture, ce personnage aussi despotique qu’attachant, s’est vite imposé comme l’archétype de la mère indigne. Une contre-héroïne parmi tant d’autres auxquelles les journalistes Anaïs Bordages et Marie Bordas ont souhaité rendre hommage dans un livre réjouissant, Petit éloge des anti-héroïnes de série, paru cet automne aux éditions Les Pérégrines. « Nos anti-héroïnes peuvent être vaches, ingrates, revêches, coincées, obsédées, tordues, hystériques ou carrément malveillantes. Certaines sont assez populaires, d’autres sont haïes par la grand public. Chacune à leur manière, elles contribuent à élargir les normes jusqu’à récemment très restrictives de la représentation des femmes à l’écran et brisent l’idéal de perfection féminine », écrivent en introduction les deux autrices. Ces figures qu’on adore détester, craindre, plaindre, critiquer, mépriser mais aussi (plus ou moins secrètement) admirer et dans lesquelles on peut à coup sûr s’identifier, sont ici présentées, décortiquées et contextualisées dans des chapitres qui font référence aux clichés sexistes les plus souvent utilisés pour les désigner. On y croisera donc des « mères indignes », comme Loïs dont on vous parlait plus haut ou évidemment Cersei Lannister (Game of Thrones) et Betty Draper (Mad Men). Mais aussi des « filles superficielles » – Gabrielle Solis (Desperate Housewives) -, des « traînées » – Faith Lehane ( Buffy contre les vampires)- , « psychopathes » – Jenny Schecter (The L World) ,« hystériques » – Rebecca Bunch ( Crazy Ex-Girlfriend) – , « coincées » – Molly Carter (Insecure), « pestes » – Blair Waldorf ( Gossip Girl) ou encore les « carriéristes » comme Cristina Yang (Grey’s Anatomy).
Une sélection qui n’a évidemment rien d’exhaustif et tout de subjectif mais qui a le mérite de nous faire voir d’un autre œil un certain nombre de séries et même de nous donner envie d’en voir d’autres. Plus encore, on adhère complètement à cette mise en avant de personnages faillibles, loin donc des héroïnes badass et forcément puissantes dont on nous abreuve et qu’on dirait, comme le soulignent les autrices « tout droit sorties d’un moule qui érige des attributs masculins en qualités sacro-saintes ». Un petit livre au ton enlevé, souvent drôle et bien plus profond qu’il n’y paraît. Seul petit bémol : l’absence d’un index des nombreux personnages évoqués qui permettrait de pouvoir picorer l’ouvrage comme un dictionnaire (en plus fun ! ).
*Petit éloge des anti-héroïnes de séries, par Anaïs Bordages et Marie Telling, Les Pérégrines, 269 pages, 14€50.
Faire famille autrement
Avec Faire famille autrement, percutant essai paru début novembre chez Binge audio éditions, Gabrielle Richard, sociologue et chercheuse, spécialiste des questions de genre et de sexualité n’entend pas prouver, une énième fois que « les parents lesbiennes, gays, bisexuels, pansexuels, asexuels, trans et non binaires sont capables d’élever des enfants de manière « saine » ». A ce sujet, rappelle l’autrice, de très nombreuses recherches en psychologie et en sociologie ont déjà été menées depuis près d’un demi-siècle et démontrent combien l’homoparentalité ne change rien au bien-être et au devenir psychologique des enfants. Et c’est justement là que le bât blesse. Car si la question semble réglée scientifiquement, elle continue d’infuser de nombreux débats et critiques qui interrogent les « conséquences » d’une éducation homoparentale, démontrant l’aspect évidemment idéologique de ce qui est en jeu. « Ce n’est pas qu’on ignore, c’est qu’on refuse de voir. On refuse d’accepter que la procréation puisse être détachée de l’hétérosexualité. De reconnaitre qu’il est possible de faire famille sans miser sur la complémentarité homme-femme. De concevoir que la nature de nos gamètes n’a à priori rien à voir avec notre identité ou avec le lien social qu’on entretiendra avec l’enfant à naître » scande ainsi l’autrice en introduction. Alors que, comme elle l’écrit, la parentalité est le bastion le mieux gardé de l’hétérosexualité, cette québécoise, queer et parent de deux enfants qu’elle élève avec sa partenaire non binaire, signe un essai qui donne à voir la réalité de familles queers en s’appuyant sur de très nombreux entretiens. De la conception à l’éducation, ces témoignages et les analyses de l’autrice dessinent d’autres manières de faire famille et font réfléchir à la façon dont la répartition genrée des rôles dans la parentalité s’appuie sur des constructions normées, ni naturelles ni obligatoires. Un livre coup de poing très argumenté regorgeant de pistes de réflexion et de cas pratiques, à mettre entre toutes les mains pour construire de nouveaux possibles.
*Faire famille autrement, de Gabrielle Richard, Binge audio éditions, 160 pages, 15€.
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Les Commentaires
Le second livre pourrait en revanche m'intéresser. Les anti héroïnes ont beaucoup de charme. D'ailleurs, Lois est l'image même de la mère qui doit tout gérer, tout en étant dépeinte comme hystérique. Je me plaignais l'autre jour de l'écriture des mères de famille dans beaucoup de séries américaines.