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Société

Pourquoi c’est encore si difficile de dénoncer les violences sexuelles, en France ?

Libération publie une longue enquête sur des faits d’agression sexuelle et de viol perpétrés au sein de l’UNEF. Un cas d’école sur la difficulté de combattre concrètement les violences sexistes et sexuelles.

Libération a publié, mardi 20 février, une longue enquête mettant en lumière des faits de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viol au sein de l’UNEF, l’un des principaux syndicats étudiants.

Ces comportements sont restés impunis, des victimes se sont tues, ou on a refusé de les entendre, au prétexte de ne pas nuire à l’organisation, en particulier à ses dirigeants…

Pour en savoir plus, je ne peux que te recommander la lecture du résumé qu’en fait Mymy, en renvoyant vers le travail documenté réalisé par les journalistes de Libération :

Abus sexuels : les témoignages qui accablent l’Unef

Des faits de ce type peuvent se dérouler dans de nombreux autres contextes, instances universitaires et étudiantes ou non, politiques ou non… Toute organisation ou tout établissement est susceptible d’être confronté à des affaires de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles, voire de viol.

L’enquête réalisée par Libération à propos de l’UNEF permet de se pencher sur les mécanismes qui rendent la situation si compliquée à dénoncer pour les victimes.

À toi qui a pu être confrontée à des comportements similaires, ou dont des amies t’ont confié s’être retrouvées dans des situations identiques, voici une analyse doublée de quelques conseils.

Est-ce un viol si… c’est un plan cul ?

À l’UNEF, de nombreuses témoignantes expliquent avoir eu des relations sexuelles auparavant avec ceux qui sont, un jour, devenus leurs agresseurs.

« Au départ, la plupart des militantes ont accepté le jeu de la séduction et d’une relation sexuelle. »

Il semble que les agresseurs en question aient souvent estimé que dès lors, une nouvelle relation sexuelle leur était due s’ils le souhaitaient.

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Spoiler alerte : jamais. 

Ils ont parfois profité du fait que la jeune femme soit restée dormir chez eux, d’autres fois, ils ont élaboré des stratégies pour eux-mêmes quémander un lit à l’occasion d’une soirée entre militant·es, ou d’un événement.

Aucun de ces prétextes ne peut pourtant justifier d’imposer une relation sexuelle à quiconque. Le consentement donné une fois n’est pas valable à vie.

C’est pourquoi lorsque Laurie, l’une des jeunes femmes qui témoigne dans Libération, se trouve dans une telle situation, et que Grégoire, l’agresseur, insiste jusqu’à obtenir ce qu’il souhaite, ce n’est pas une relation mutuellement consentie :

« [Grégoire T. et Laurie] ont déjà eu plusieurs relations sexuelles sans lendemain. Mais ce soir, Laurie ne le souhaite pas. »

… C’est un viol.

C’est un viol même si « c’est un ami », même si « oui mais j’ai accepté de dormir chez lui/qu’il dorme chez moi ». Sitôt que le consentement n’est pas respecté : c’est un viol.

Et si « c’est un ami », peut-être que non, justement : ce n’est pas un ami, celui qui te force à subir un acte sexuel. 

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« Est-ce un viol si… je n’ai pas réagi ? »

Les militantes qui témoignent invoquent souvent trois réactions possibles face à cette insistance.

Le premier est la fuite, pure et simple :

« Terrifiée, elle trouve la force de quitter le lit, la chambre et l’appartement : « J’ai préféré être toute seule dans la rue à 2 heures du matin plutôt que de rester dans cette situation. » »

Mais pour certaines, cette solution est hors de portée : elles entrent en état de sidération – c’est à dire que face à l’agression, leur cerveau met en place une chaîne de réactions qui visent à les protéger, mais a pour effet simultané de les paralyser.

Elles sont incapables de se défendre, à moins qu’un événement « perturbateur » ne leur donne l’opportunité de se dégager.

Elles ne sont en rien responsables de l’agression, faute d’avoir été capables de se débattre, elles sont victimes de l’agresseur et d’un processus biologique naturel. C’est le 2ème cas de figure.

À lire aussi : Sidération et dissociation pendant un viol : les 2 mécanismes de survie du cerveau contre l’arrêt cardiaque

Enfin dans le 3ème cas, elles « cèdent » :

« La militante n’en peut plus. Elle veut que ça cesse : « J’ai fini par me laisser faire. » »

Or, céder n’est pas consentir – comme l’explique à la perfection le film Sexe sans consentement qui sera diffusé sur France 2, le 6 mars prochain.

Non, consentir c’est mettre de l’entrain, de l’enthousiasme, c’est dire oui. Ce n’est pas, éreintée et après avoir moult fois dis « non », finir par se laisser faire.

D’autant moins lorsque celui qui insiste est en position de pouvoir – et on arrive à cette particularité qui fait du cas de l’UNEF un cas d’école pour toute forme d’organisation.

L’abus de pouvoir au cœur de l’enquête concernant l’UNEF

Les militantes de l’UNEF qui témoignent dans l’enquête de Libération expliquent que les auteurs de ces faits ont souvent été protégés par la direction, s’ils n’étaient pas eux-mêmes membre de la direction nationale.

Leurs explications démontrent que tout cela relève souvent de l’abus de pouvoir, une expression que certaines n’hésitent pas à employer :

« Ils jouaient sur la solidarité, la compassion et leur statut de dirigeant national : on était en plein abus de pouvoir ou de faiblesse. »

J’estime que le choix de leur « cible » en relevait en aussi :

« Elles sont souvent jeunes, de surcroît provinciales, isolées et débutantes, donc fragiles. À l’UNEF, on dit une « petite meuf ». »

Et lorsque le Président lui-même est mis en cause, vous obtenez une ambiance délétère dans laquelle dénoncer ces agissements devient impossible :

« Son attitude a débloqué des trucs dans la tête des autres mecs du bureau national. Ils se sont sentis autorisés à tout mélanger. »

Une dénonciation des auteurs de violences sexistes et sexuelles quasi-impossible ?

Dénoncer ces auteurs de violences sexistes et sexuelles était effectivement quasi-impossible pour les victimes.

D’abord pour des raisons que n’importe quelle victime de viol pourrait invoquer, notamment le sentiment de culpabilité, face à des gens qui les estiment responsables de l’agression qu’elles ont subie, alors même qu’il n’en est rien. Mais aussi, la peur de ne pas être crue :

« Puisqu’elles n’ont rien dit à l’époque, elles craignent de ne pas être crues ou d’être la cible de pressions de leurs anciens camarades.

« Pour survivre à l’Unef, il faut être une femme forte, c’est impossible d’être perçue comme une victime ». »

À lire aussi : Pourquoi je n’ai pas porté plainte après mon viol

Les réactions auxquelles ont été confrontées celles qui ont osé parler illustrent d’ailleurs très bien ces difficultés. C’est vrai au sein de l’organisation…

« « À chaque coup, on me répondait : « T’as des preuves de ce que tu avances ? Tu ne peux pas dire ça, c’est le président » », relate Elodie Le Moigne. »

Mais elles rencontrent des difficultés similaires face aux instances judiciaires, comme en témoigne Charlotte dans les pages de Libération :

« En écoutant son récit, un jeune policier l’accable. Pour lui, « ce n’était pas un viol, ça » et « il suffisait de dire non ». »

En matière de consentement, c’est toi qui décides

Face à des comportements comme ceux-ci, il est bon de rappeler qu’aucune autorité, aucune instance n’est légitime à te dire que « ce n’est pas grave ».

C’est ton corps, c’est toi qui sait si ce qui s’est produit est grave.

Que tu te sois débattue de toutes tes forces ou que tu sois entrée en état de sidération comme je l’expliquais plus haut, ou encore que tu aies fini par céder face à l’absence d’écoute de tes « non », je le répète : c’est toi qui sais si tu étais consentante ou pas, c’est toi qui ressent les choses, c’est toi la personne la mieux placée, la plus légitime à mettre les mots qui conviennent à tes propres ressentis.

Le premier conseil donc, même si c’est souvent compliqué puisque seules 10% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation, c’est de faire en sorte que ta plainte soit enregistrée.

À lire aussi : Agression sexuelle et dépôt de plainte : les conseils d’un policier

Chercher du soutien pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles

Et j’ajouterai à ce conseil que pour t’accompagner dans cette démarche, tu peux chercher de l’appui et du soutien là où tu es certaine de pouvoir en obtenir : auprès des organisations et associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

J’en citerai trois, mais il en existe bien d’autres :

  • Le collectif féministe contre le viol, qui dispose d’un numéro vert gratuit : 0800 05 95 95. Tu peux y poser toutes tes questions, de la plus simple (« était-ce un viol/une agression ? ») à la plus pointue (« à quel article de loi me référer pour prouver au policier qui prend ma plainte qu’il n’a pas le droit de la refuser ? »).
  • L’association En avant toutes : si tu n’es pas à l’aise au téléphone, cette organisation dispose d’un chat. Au départ dédié aux violences conjugales chez les jeunes, tu pourras aussi y trouver du soutien pour d’autres types de violences sexistes et sexuelles.
  • L’association Parler, créée par Sandrine Rousseau : elle vise à créer des espaces d’échanges entre victimes pour trouver du soutien, y compris un accompagnement pour aller porter plainte si nécessaire. Cette association est d’autant plus légitime dans le cas où tu soupçonnes l’agresseur d’avoir fait d’autres victimes : Sandrine Rousseau a lancé un mail où tu peux le signaler, le nommer, et si d’autres victimes se manifestent, l’association se charge de vous mettre en contact et de monter une action commune, qui sont des actions souvent bien plus efficaces que des actions individuelles.

Si tu en connais d’autres, n’hésite pas à le signaler en commentaire. Ça peut toujours être utile.

Une absence de réaction de l’UNEF symptomatique face aux violences sexuelles

En dehors du monde associatif et de la justice – cette dernière étant censée être l’autorité de recours suprême – il faut aussi aujourd’hui faire évoluer les organisations elles-mêmes.

Il est vrai qu’aucune d’entre elles n’est « imperméable aux maux de la société », et c’est pour cela qu’il faut y créer des instances et des processus de gestion des cas de harcèlement ou d’agression sexuelles.

À l’UNEF, si ces cas n’ont pas été pris au sérieux, c’est aussi sans doute parce qu’il n’existait justement pas d’instance dédiée :

« Vu les témoignages qui s’accumulent, plusieurs femmes vont essayer d’obtenir une sanction de la commission de contrôle de l’UNEF contre A.

Ce qu’on leur refuse. L’instance est pourtant chargée de se prononcer sur les cas les plus graves et permet – normalement – l’exclusion officielle de militants. […]

« On nous a répondu que ça ne pouvait pas porter sur des violences sexuelles, on nous a baladées », se souvient Lauranne Witt, une ancienne dirigeante de l’UNEF, qui espérait ainsi mettre en place un outil valable au cas où des faits semblables se reproduiraient. »

Face à cette situation désespérée, les militantes ont développé des tactiques individuelles :

« Margaux A. s’inquiète : « J’avais peur pour les nouvelles étudiantes qui ne le connaissaient pas. On s’organisait pour ne jamais le laisser seul dans le local avec les plus jeunes. » »

Créer des instances habilitées à gérer les cas de violences sexistes et sexuelles dans toutes les organisations

Malheureusement, de pareilles situations se produisent aujourd’hui encore dans de nombreuses organisations. Les pistes de solutions données plus haut restent alors la référence en la matière : chercher le soutien d’organisations féministes et porter l’affaire en justice.

Malgré tout, le monde est en train de changer : des instances de ce type ont été créées notamment dans des écoles, universités, partis politiques…

C’est vers elles qu’il est aussi possible de se tourner pour signaler des cas de harcèlement et d’agression, et ce sont d’ailleurs des processus qui ont été développés au sein même de l’UNEF depuis :

« Blâmer l’organisation c’est trop facile : il s’agit de comportements individuels, explique Lilâ Le Bas, l’actuelle présidente de l’UNEF.

Une pléiade de schémas sexistes ont été déconstruits par nos outils, ils permettent aujourd’hui aux femmes de parler sans avoir peur de nuire à l’image de l’organisation. »

Des structures identiques doivent encore être développées dans de nombreuses autres structures.

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, a d’ailleurs annoncé que des lieux d’écoutes seraient mis en place dans les universités.

C’est un pas de plus dans la lutte contre ces violences sexistes et sexuelles.

Donner les moyens de lutter contre les violences sexistes et sexuelles

En réalité, tous les schémas décrits dans cette affaire relèvent de ce que l’on nomme la stratégie de l’agresseur :

  • Isoler la victime
  • La dévaloriser, la traiter comme un objet
  • Inverser la culpabilité
  • Instaurer un climat de peur et d’insécurité
  • Agir en mettant en place les moyens d’assurer son impunité

Pour en savoir plus il est possible de consulter cette fiche du Collectif féministe contre le viol qui explique ces mécanismes en détail.

J’achèverai cet article en espérant que la loi en préparation contre les violences sexistes et sexuelles donne les outils et les moyens nécessaires à la lutte contre ces violences.

Vivement qu’on n’ait pas plus à recourir à la solidarité féminine pour se protéger des violences sexistes et sexuelles.

Vivement qu’on éduque au consentement dès le plus jeune âge.

Vivement qu’on forme tout le personnel habilité à recevoir des plaintes aux violences sexistes et sexuelles, ainsi que tout le personnel judiciaire et la magistrature.

À lire aussi : L’autodéfense des femmes et l’éducation au consentement ne sont pas incompatibles !


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