Article publié initialement le 12 février 2016
Vous souhaitez offrir un livre à un•e enfant ? Quelle heureuse idée ! Mais avant de vous lancer, je vous invite à vous poser quelques questions, afin d’être assuré•e•s de faire mouche.
Quel genre de livre suis-je en train d’offrir ?
Quand on offre un livre à un•e enfant, on peut prendre trois directions différentes.
- Le livre « plaisir », c’est de choisir une belle histoire ou quelque chose de rigolo, voire de totalement subversif.
- Le livre « instructif », c’est de choisir un récit qui, sous couvert de fiction raconte une réalité historique, scientifique (ou à travers des livres qui visent explicitement à informer, comme les documentaires)… ou incarne une réflexion.
- Le livre « médicament », c’est d’offrir un livre lequel, à travers l’histoire racontée, va « soigner » d’un mal quelconque — ça va d’un langage trop pipi-caca à la peur de la mort !
Il n’y a pas de meilleure direction par rapport à une autre, mais cela détermine votre cred auprès de la famille : à savoir si vous êtes plutôt sympa ou en plein sabotage de l’innocence enfantine.
Vous avez compris où je voulais en venir.
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Suis-je dans l’air du temps ?
En matière de littérature, l’être humain est naturellement attiré par ce qu’il connaît déjà. Il s’oriente rapidement dans une bibliothèque ou une librairie vers les livres et les auteur•e•s qu’il a lu•e•s, vers les maisons d’édition qui sont parvenues à conquérir sa confiance…
Il est donc très fréquent que des adultes qui souhaitent offrir un livre à un enfant ou un ado aient l’envie très forte de lui offrir ce qu’ils avaient eux-mêmes lu à son âge (et avaient a-do-ré). C’est ainsi que dans un élan de nostalgie, on assiste bien souvent à une farandole de demandes de conseils à base de Club des cinq, Fantômette et autres romans de Jules Verne !
Tmtc la Bibliothèque rose
Bien entendu, je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas leur faire découvrir ces classiques ni les autres livres qui ont révolutionné votre jeunesse — dans la mesure où le plaisir des cadeaux réside aussi dans la transmission et que les générations d’aujourd’hui sont tout à fait capables d’apprécier les succès d’antan.
Néanmoins, restez ouvert•e•s à ce qui se fait aujourd’hui, et soyez conscient•e•s que les centres d’intérêt des jeunots ont évolué.
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Le livre choisi va-t-il l’intéresser ?
Lorsque vous vous dirigez d’un pas dynamique vers la caisse, interrompez-vous quand même deux minutes et réfléchissez. Achetez-vous ce livre parce que vous avez la conviction qu’il va faire plaisir à son destinataire, ou bien est-ce une démarche qui vous fait surtout plaisir à vous ?
C’est une problématique que l’on retrouve dans l’achat de n’importe quel livre, mais elle est encore plus évidente en littérature jeunesse. En effet, c’est l’adulte qui choisit le livre pour l’enfant, avec sa maturité (et son argent) de grande personne. Vu que c’est son choix et sa thune, il est naturellement orienté selon ses goûts et ce qu’il juge être un « bon livre ». Alors, êtes-vous sûr•e•s que l’enfant ou l’ado va s’intéresser au bouquin sur le jardinage que vous vous apprêtez à lui offrir ?
Nope.
Un conseil : l’idéal est de trouver un compromis entre le livre d’activités
Cars et le dernier guide des vins de France. Et SURTOUT ne vous souciez jamais de ce que pourraient penser les parents (c’est plus rigolo).
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Est-ce que je ne sous-estime/sur-estime pas le destinataire ?
Mais dites-moi, ce livre que vous tenez entre vos grosses mains, est-il adapté à l’âge de son futur lecteur ?
Avec cette question, l’idée est de trouver un équilibre entre le fait de ne pas trop surestimer ses capacités (« Ma nièce a cinq ans, elle sait déjà écrire son prénom de manière parfaitement hasardeuse et incompréhensible, je lui cherche un roman ») ni le sous-estimer (« Non désolée cette histoire métaphorique de la graine qui devient arbre, c’est beaucoup trop abstrait »). On a vite envie de trouver qu’un enfant (surtout quand il est de sa famille) est un génie précoce et qu’il est bien plus avancé que tous ceux de sa classe. Mais on peut aussi avoir un jugement faussé, en pensant que la naïveté propre à l’enfance ne permet pas de comprendre certaines nuances, certaines subtilités.
Les enfants comprennent bien plus de choses qu’on ne le pense, et parfois plus de choses que nous ne percevons nous-mêmes. Cependant, ce n’est pas une raison pour les faire grandir trop vite.
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Est-ce que je me censure ?
Les enfants comprennent donc tout à fait bien ce qu’on leur raconte, mais attention à ne pas exacerber leur sensibilité.
Les adultes ont la fâcheuse tendance à se censurer eux-mêmes devant certaines histoires, les trouvant trop dures, trop violentes, trop tristes. Ils craignent que les plus jeunes ne puissent pas avoir suffisamment de recul vis-à-vis de tout cela.
Pourtant (et je parle ici par expérience) les enfants ont tendance à recevoir ce genre d’histoires avec beaucoup plus de philosophie que nous. Au moment où on grimace devant une situation dérangeante, ils vont s’interroger, sans doute s’identifier, mais sans nécessairement dramatiser ou en ressortir traumatisés.
Okilélé (Claude Ponti, L’école des loisirs) se fait emmurer vivant dans un placard, mais ça va.
Alors n’ayez crainte, ils ne vont pas chouiner sous la couette toute la nuit parce que le chien du personnage principal s’est cassé la patte.
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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