Bon, on y est. Je ne prétendrais pas savoir ce que tu ressens, mais il n’y a pas si longtemps, moi aussi je me disais « ça y est, j’y suis » en regardant fièrement vers l’avenir, les cheveux dans le vent.
Je n’ai jamais que 5 ans de plus que toi, c’est peu pour prétendre donner des leçons. Mais comme beaucoup, j’ai l’impression que ces 5 années m’ont appris plus que les 18 ans précédemment écoulés. Car désormais, ce sont tes erreurs et tes succès, ton argent, tes responsabilités, tes relations… Ce n’est pas tout à fait la vie d’adulte mais ça y ressemble déjà beaucoup.
Comme j’ai un peu d’avance sur toi, et qu’il semblerait que ça soit parti pour être comme ça toute notre vie, je m’autorise ces petits conseils ; je sais que tu es désormais assez mature pour ne pas les rejeter en y voyant de la condescendance, mais que tu y verras la bienveillance d’une grande soeur envers sa petite soeur.
Ne pense pas pouvoir tirer un trait sur le passé comme ça !
C’est la leçon que j’ai mis le plus de temps à comprendre et je te la donne, comme ça, cash. On verra bien ce qu’il en restera lorsque tu rencontreras tes propres épreuves : considère-la comme une astuce, ou une béquille.
Le problème de ce passage symbolique des 18 ans, c’est qu’il est tellement marquant qu’on a presque l’impression de recommencer sa vie à zéro. Parfois, pour les études supérieures on change de ville, souvent on change de bande de potes, de style vestimentaire…
Grande est la tentation de croire que tout ce qui s’est passé avant cette barrière symbolique, c’est du passé.
Finis les complexes d’adolescent-e, finies les peines de coeur quand tu repenses à ton ex, finies les disputes familiales ! À toi la liberté, non ?
Bon, le bac, le permis… c’est compliqué c’est sûr, mais ça vaut mieux que d’être libéré à coup de chaussette non ?
J’ai perdu un temps immense à vivre dans le déni d’événements passés, avant de me rendre compte que finalement, les marques étaient toujours là : dans le choix de mes compagnons actuels, dans ma relation avec les autres, dans mon comportement face aux études… Que tu le veuilles ou non, ce passé, peut-être lourd à porter, ou juste un peu encombrant, c’est ton sac à dos mental et il n’est pas près de te lâcher la grappe.
Hé, ne désespère pas ! Lorsqu’on a compris ça, un travail personnel bien plus intéressant nous attend : l’acceptation, la compréhension et enfin la remise en question qui permettra de poser de vraies nouvelles bases.
J’ai mis du temps avant de me rendre compte de choses aussi bête que ça : c’est étrange, comme tous mes petits copains ressemblent à mon premier, celui de mes 16 ans… C’est vieux pourtant, ça fait 7 ans. J’avais cru pouvoir remiser ça dans un coin de ma mémoire et pourtant, comme un diable bondissant hors de sa boîte, le souvenir de cette première relation marquante refait parfois surface quand je m’y attends le moins.
Pour toi ce sera sans doute autre chose, et il ne s’agit pas de dire qu’on ne guérit jamais d’un traumatisme ou encore qu’on portera toujours les conséquences de nos actions passées.
En fait, mon conseil est simple : ne te fais pas d’illusion sur ta capacité à faire table rase du passé.
Cette entrée dans la vie adulte, ce n’est pas un tableau blanc, un nouveau commencement : que tu le veuilles ou non, c’est une suite, et si tout se passe bien (ce que je te souhaite), tu comprendras bien vite que c’est mieux comme ça, en fait.
Tu ne dois rien à personne, et tu n’as rien à prouver
C’est une chose de le lire, c’en est une autre de l’expérimenter, je suis bien d’accord, mais permets-moi simplement de partager mon expérience avec toi.
Quand on est enfant, ou même adolescent-e, nous sommes souvent dans une situation où il nous semble que nous devons quelque chose à nos parents. De bonnes notes, un bon comportement… L’enfant aime généralement voir de la fierté dans le regard des adultes qui l’entourent. C’est qu’ils s’occupent de tout pour nous : de notre logis, de notre nourriture, de notre santé, de notre éducation…
Et puis un jour, ça ne marche plus. Pas forcément à 18 ans d’ailleurs. Mais arrive un moment où on ne peut tout simplement plus avancer dans la vie en regardant derrière soi pour chercher un regard approbateur : il faut se lancer, seul-e. Avoir le courage de ses objectifs et persévérer alors que parfois, on est seul-e à y croire, alors que les parents, les anciens profs, les amis même, disent d’un air inquiet : « T’es sûre ? Ça m’a l’air chaud ton histoire… ».
Et si la plantade vient, un jour, on a la force de l’assumer sans chercher à se disculper avec l’air paniqué de l’enfant pris en faute : « C’est pas moi, c’est lui qui m’a dit… » devient un simple « Merde. J’suis désolé-e, j’ai merdé ».
Ce qui est génial, c’est que ça veut aussi dire que tu n’as rien à prouver à personne. Un jour, on apprend à dire non, parce qu’on se connaît
, parce qu’on sait mettre des mots sur ses émotions. On a conscience de ses limites et envie de les faire respecter : « Non, je ne veux pas faire ça dans les chiottes de cette boîte de nuit », « Non je ne veux pas aller dans ce master ennuyeux », « Non je ne veux pas héberger la pote de la cousine de ta tante pendant 3 mois gratuitement ».
Tu vas me dire : « c’est pas l’âge adulte ça, c’est la maturité ». Tu n’as pas tort. Le fait est que l’âge adulte ne peut commencer qu’à partir du moment où tu as cette maturité qui te permet de commencer à vivre pour toi-même. À défaut de pouvoir déjà le faire par toi-même.
Je ne te cache pas que ça apporte aussi de grosses emmerdes, hein. Clairement, il y a des fois où j’aurais mieux fait d’écouter mes potes. D’ailleurs…
Rends-le bien à ceux qui te veulent du bien
Quand on commence ses études supérieures, ce qui est ton cas, on rencontre une foule de gens bien plus dense qu’auparavant. Il y a ceux du lieu d’études, ceux des soirées, les amis des amis qui s’invitent dans la danse, et ta vie sociale de petite lycéenne risque de te sembler bien paisible en comparaison.
Ces liens vont aussi prendre plus d’ampleur : tes relations amoureuses vont sans doute gagner en profondeur (et peut-être perdre en innocence), tes amitiés vont s’endurcir à travers des épreuves plus complexes.
Je me suis souvent sentie perdue, un peu sonnée, parmi cette foule de gens. J’ai été par exemple embarquée dans des histoires de ragots de fac, qui n’ont rien à envier à leurs équivalents lycéens, à ceci près qu’ils étaient plus sales, plus pernicieux, plus encombrants. J’ai voulu faire ami-ami avec tout le monde, être de toutes les fêtes, peut-être même être populaire… et dans une certaine mesure ça a marché.
Mais le problème c’est qu’à être perpétuellement sollicitée par cette excitante vie sociale, on en oublie parfois l’essentiel : privilégier les personnes qui nous veulent du bien.
Ces amies de fac qui ne te parlent que pour te demander des fiches de cours, ces profs qui se la jouent grand mentor pour mieux te priver de ta propre pensée, ce petit copain possessif qui ne supporte pas que tu réussisses… Ils vont te prendre du temps. Beaucoup de temps. Que tu ne passeras pas avec ces autres, parfois plus discrets, qui te veulent du bien.
Même quand on connaît le principe, c’est parfois dur de l’appliquer.
On se retrouve soudain à négliger les gens qui ne demandent qu’à exercer une influence positive et bienveillante dans notre vie, au profit de personnes qui n’ont pas autant d’égards pour nous, qui ne nous respectent pas totalement, mais semblent plus attirantes sur le moment.
Avec le temps, je te rassure, on apprend à faire le tri et à éviter les influences toxiques ! Quand on se connaît un peu mieux, on a souvent assez de recul pour se dire : « Tiens, c’est bizarre, je passe beaucoup de temps avec telle personne, mais je n’en ressors pas heureuse, j’ai l’impression qu’elle me tire vers le bas ».
Je ne te cache pas que ça demande beaucoup de pratique, et comme vivre 100% de relations humaines positives et constructives tient un peu de l’utopie, concentre-toi plutôt sur cette règle simple qui consiste, une fois qu’on a identifié une relation épanouissante (amicale, professionnelle ou amoureuse), à en prendre soin. À lui accorder du temps, nos meilleures attentions, à la valoriser. Si ça te semble d’un bon sens évident, ne rigole pas trop vite : c’est un effort à tenir dans la durée !
Ouais, tout comme dans Friends !
Pour finir, le plus important dans tout ça, ça reste les guillemets. Une vie « d’adulte », moi-même je ne sais pas ce que c’est au fond, et tu t’en feras bien assez tôt ta propre définition.
Ce que je voulais te dire, petite soeur, du haut ridiculement bas de mes 5 petites années d’expérience de cette vie sans filet, c’est qu’un jour viendra où tu devras revoir ton mode de fonctionnement, évoluer, parce que la façon dont tu as vécu pendant 18 ans ne sera plus suffisante.
Tu ne seras plus « la fille de tes parents, sous leur responsabilité » ou « l’élève du prof, suivant ses enseignements ».
Ta façon de réagir à l’adversité ou au succès ne sera plus la même parce que tu auras intégré ta condition en tant qu’individu unique et libre, avec ce que cela comporte de responsabilités.
Un jour, tu sentiras en toi que quelque chose a changé, au détour d’une réaction inattendue, d’un défi que tu auras relevé autrement. Ce sera un peu comme faire ta propre connaissance. Excitant, non ?
Et bien sûr, ce jour-là, si tu veux, je serai là, mais t’inquiète pas : ça ira !
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Pas de problème pour les parents à l'autre bout du monde, en France métropolitaine j'aurais ma grande soeur, mon grand frère, entre autres
J'ai bien conscience qu'il faut être raisonnable et que c'est le plus dur, mais je n'ai jamais eu de difficultés en cours et je me sens capable de pouvoir dire "non" à une sortie sous prétexte de réviser. Bien sûr ça peut paraître naïf, la jeune ado qui à hâte de devenir adulte tout ça... Mais j'ai tellement mal vécu mon arrivée dans le DOM que la France métropolitaine représente un rêve pour moi, chaque fois que j'y retourne c'est le paradis. Je sais bien qu'il faut que je m'attarde sur le présent et non sur le futur, mais pour l'instant le présent ne me plaît pas trop, et pas à cause du manque d'indépendance, juste à cause du déménagement (que j'ai déjà évoqué :
En tout cas merci quand même de ta réponse ^^