Le Conseil d’État a rendu un avis déstabilisant : interdire l’accès à la PMA aux couples de lesbiennes n’est pas une rupture du principe d’égalité. Alors que la PMA est autorisée aux femmes en couple hétéro.
Pour comprendre cette conclusion pour le moins surprenante, remontons l’affaire : un couple de lesbienne s’est vu refuser l’accès à une procédure de procréation médicalement assistée, ce qui est logique puisqu’actuellement, la loi française ne permet pas aux femmes seules et aux femmes en couple lesbien d’y avoir accès.
Le couple fait donc appel de cette décision de refus au tribunal administratif, et pose une Question Prioritaire de Constitutionnalité, car il considère que cette disposition de loi est discriminatoire, et donc, contraire à la Constitution.
Un couple se voit refuser une PMA, parce qu’elles sont deux femmes
La QPC est transmise au Conseil d’État, qui l’examine pour ensuite la renvoyer au Conseil Constitutionnel, si effectivement il s’agit bien d’une question de constitutionnalité pertinente. C’est un filtre.
Et en l’occurrence, le Conseil d’État saisi de cette QPC à propos de l’accès à la PMA ne l’a pas transmise au Conseil Constitutionnel, il y a répondu. Et selon lui :
« La différence de traitement […] entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe […] n’est pas contraire au principe d’égalité. »
Ah bon ?!
Le principe d’égalité est pourtant un principe fondateur de notre droit mais plus globalement de notre société : cf les frontons des mairies, des écoles, c’est le 2ème mot de la devise de la République Française, pour ceux du fond qui n’avaient pas suivi.
En quoi n’est-ce pas une rupture du principe d’égalité ?!
Mais effectivement, le principe d’égalité ne signifie pas que tout le monde doit être traité pareil. Des situations différentes justifient qu’on soit traité différemment.
Par exemple, dans le cas de l’égalité devant l’impôt : nous ne sommes pas à égalité par les ressources qu’on a, il est donc normal qu’on ne s’acquitte pas des mêmes montants d’impôts. Ils dépendent du montant de nos revenus.
À situations différentes, traitements différents : c’est pourquoi le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que « le législateur règle de façon différente des situations différentes ».
Là où je commence à perdre le fil du raisonnement du Conseil d’Etat, c’est dans l’appréciation de la différence de situation entre une femme en couple stérile, et une autre femme en couple également stérile.
En effet, le Conseil d’Etat estime que :
« le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général »
Quelles sont exactement les situations différentes entre :
- un couple infertile ayant recours à un don de sperme et à une opération de procréation médicalement assistée
ET
- un couple infertile ayant recours à un don de sperme et à une opération de procréation médicalement assistée
Quelle est la différence ? Non allez-y, expliquez-moi qu’est-ce qui différencie les deux couples de mon exemple. Selon le Conseil d’Etat :
« Les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe. »
Au regard de la procréation, oui. Au regard de l’incapacité de procréer, expliquez-moi la différence ?
Quelle est la différence entre un couple infertile et un couple infertile ?
Deux femmes qui forment un couple biologiquement stérile, c’est pas pareil qu’un homme et une femme formant un couple biologiquement stérile ?
Dans le premier cas, c’est normal et naturel que le couple soit stérile, donc avoir recours à la PMA C’EST CONTRE NATUR-HAN ? Et dans le deuxième cas, si le couple est stérile… On a le droit d’aller contre la nature pour QUAND MÊME concevoir un enfant ?
Et oui, c’est exactement le raisonnement du juge administratif, qui s’appuie sur l’article L2141-2 du code de la santé publique :
« L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué.
L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. »
Il faut que l’infertilité ait été « médicalement diagnostiquée ». Donc résumons : si ton couple est stérile parce que c’est la nature, tu ne peux pas avoir recours à une PMA. Sauf si tu es dans un couple hétéro, et que normalement, ton couple aurait pu être fertile, alors dans ce cas, tu peux avoir recours à la PMA.
Ouais c’est compliqué quand c’est expliqué comme ça, c’est plus simple de l’écrire ainsi :
- Un couple hétéro peut concevoir un enfant dans une éprouvette
- Un couple lesbien ne peut pas.
Et ce ne serait pas une rupture d’égalité devant la loi ?!
Ah oui dit comme ça c’est gênant
Pourquoi le droit à l’enfant serait accordé en fonction de l’orientation sexuelle ?
Je peux être d’accord avec l’argument selon lequel il n’y a pas de droit à l’enfant, et si ton couple est stérile, ton couple est stérile point. Tourne-toi vers l’adoption et lâche ces éprouvettes ; pourquoi pas ! Mais alors le principe d’égalité tel que je l’entends commande de refuser ce droit à l’enfant à tous les couples stériles. Pas seulement aux couples de même sexe.
Un couple stérile est un couple stérile, qu’il soit hétéro ou non : ces situations ne sont pas fondamentalement différente. Je comprends donc que le Conseil d’État motive son avis par la deuxième proposition : il déroge à l’égalité pour « des raisons d’intérêt général. »
Et donc, l’intérêt général commanderait de priver les lesbiennes françaises de l’accès à la parentalité ? C’est ça l’idée ?
C’est cette idée qui amène le Conseil d’Etat à conclure que priver les lesbiennes d’accès à la PMA « n’est pas contraire au principe d’égalité » ?
On dirait plutôt que ce raisonnement démontre exactement le contraire de ce qu’il dit : il existe une rupture d’égalité devant la loi entre deux femmes, et cette rupture d’égalité est basée sur l’orientation sexuelle.
- Une femme hétéro en couple stérile a accès à la PMA
- Une femme lesbienne en couple stérile n’y a pas accès.
Une rupture d’égalité devant la loi sur la base de l’orientation sexuelle, ça s’appelle en droit français : une discrimination.
La discrimination qui ne dit pas son nom
Évidemment, les opposants politiques à l’égalité s’en donnent à coeur joie sur les réseaux sociaux : La Manif Pour Tous, Alliance Vita, et autres collectifs conservateurs…
Les anciens membres du front anti-mariage pour tous et désormais reconvertis dans la lutte contre l’éducation à la sexualité, contre l’accès libre à la contraception et à l’IVG, et bien sûr contre la PMA-mais-seulement-pour-les-lesbiennes (parce que les femmes hétéro, c’est OK), sont évidemment ravis d’apprendre que le Conseil d’Etat leur « donne raison ».
C’est bien ce point qui me fâche dans cette décision. Venez dire que le législateur ne devrait pas s’emballer en autorisant trop facilement, trop largement, l’accès à des techniques de procréation médicalement assistée, si c’est votre propos.
Venez interpeller le législateur et le décideur politique sur l’opportunité de tenir un débat de société sérieux sur ces questions, si c’est votre intention.
Venez peut-être mettre en garde la société sur les modèles de reproduction que nous sommes en train de développer : une mise en garde aurait pu être intéressante. (Ce n’est pas votre place, et par ailleurs, le Comité National Consultatif d’Ethique a déjà rendu son avis FAVORABLE à ce sujet).
Mais une décision qui légitime une discrimination, une rupture du principe d’égalité approuvée par la juridiction censée le défendre, voilà qui est profondément vexant — euphémisme, là encore.
Les lesbiennes sont des femmes comme les autres
Les lesbiennes seraient donc une « situation différente » des femmes hétérosexuelles. Oui, effectivement : contrairement aux femmes hétéro, les lesbiennes ont tendance à être victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle.
Et les lois de la République devraient lutter contre ces discriminations, non pas en légitimer certaines, en violation évidente du premier article de la Constitution française :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »
J’aurais bien aimé avoir l’avis du Conseil Constitutionnel, du coup. Je ne comprends pas comment l’on peut assurer « l’égalité devant la loi de tous les citoyens » mais légitimer la discrimination basée sur l’orientation sexuelle.
C’est au législateur de faire évoluer les lois injustes
Le Conseil d’Etat n’est qu’un juge, un conseiller, pas un décideur : les décisions qu’il rend sont construites sur la base du droit existant.
En toute honnêteté intellectuelle, le code de santé publique est clair : la PMA est interdite aux couples de lesbiennes et aux femmes seules. Et je n’imagine pas le juge administratif rendre dans son coin une décision en droit ayant d’aussi grandes répercussions politiques et sociales.
Il est néanmoins placé dans cette situation plus que surprenante, de devoir rendre un avis conforme au droit en vigueur, mais contraire aux valeurs de la République Française. Et oui, il n’y a pas si longtemps encore, les discriminations faites en raison de l’orientation sexuelle étaient dans l’angle mort du principe d’égalité.
Heureusement, la société évolue. Et pour que le droit lui ressemble, c’est au législateur, c’est-à-dire aux membres du Parlement (Assemblée Nationale et Sénat), de se saisir des textes injustes, pour les faire évoluer.
On peut laisser les Manif pour Tous et compagnie répéter en boucle sur tous les plateaux télé cette semaine que le Conseil d’Etat leur donne raison, que la PMA est et doit rester le privilège des couples hétéro dont l’infertilité a été « médicalement diagnostiquée ».
Ou on peut rappeler aux opposants à l’égalité que le Conseil d’Etat ne fait qu’interpréter le droit existant, et que c’est nous, les citoyen·nes, qui par la voix de nos représentant·es élu·es, sommes amené·es à écrire ce droit.
Et surtout, à le faire évoluer lorsqu’il légitime et légalise une injustice.
Pour écrire à votre député·e ou à votre sénateur, sénatrice, rendez-vous sur les sites de l’Assemblée Nationale et du Sénat.
À lire aussi : Adoption Pour Tous : remettre l’intérêt de l’enfant au centre du débat [MÀJ]
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