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Ma conscience politique, de la Syrie à la France

De la Syrie à la France, voici comment Miss Lu s’est construit une conscience politique à partir de pas grand-chose.

Au vu des récentes attaques perpétrées par des terroristes à Paris, je compte plus que jamais m’exprimer sur l’importance de la politique.

Parce que je viens de Syrie, et que le droit de faire de la politique, pour les simples citoyen•ne•s, est loin d’y être acquis. Parce qu’en France, nous sommes un peuple libre — tout ce que Daech déteste. Parce qu’il est important, plus que jamais, de faire de la politique une affaire citoyenne. N’oubliez pas que la politique est un droit. Profitez-en.

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Chez moi, comme chez beaucoup d’entre vous peut-être, la conscience politique n’était pas innée. En gros, jusqu’à mes seize ans, j’en avais absolument rien à faire. Et je ne me doutais absolument pas que je finirais dans la grande école française numéro 1 des politiques ! Moi, je me voyais écrivain ou éventuellement fleuriste… En tout cas, chez moi, la politique, c’était niet.

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Une enfance au goût de propagande

Il faut dire que chez moi, la politique, c’était risqué. En Syrie (et pourtant c’était bien avant la guerre) on ne parlait pas politique à moins que ce ne soit pour dire des trucs fourrés à la mauvaise foi du bien du président et de son gouvernement. Autant dire que ce n’était pas forcément très honnête.

Mais on n’avait pas le choix ! La police secrète (les mouhabarat), ça pouvait être n’importe qui dans votre entourage, du chauffeur de taxi à votre copine, votre la prof de fac, en passant par l’éboueur de votre rue. Elle était partout, ou en tout cas pouvait avoir une oreille partout, et on ne savait jamais à qui se fier (sauf dans la famille… et encore).

Les conséquences ? Personne ne critiquait jamais les actions ou les positions prises par le gouvernement (sauf dans la famille, encore une fois), de peur que ça ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, et de se retrouver ensuite les fesses gelées dans le trou à rats humide et malodorant qui sert de prison. Sans procès, sans avoir été officiellement arrêté par la police, sans même avoir eu le temps de prévenir ses proches. Sans aucune chance d’obtenir un avocat non plus, bien sûr. Et sans chat (alors que les chats, c’est le bien).

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Bref, politiquement, c’était soit on approuvait, soit on s’exilait. J’ai donc vite appris à tenir ma langue, même à la maison. Pas qu’on ait eu peur d’avoir des micros dans l’appart, mais c’était une question d’habitude. Ça ne veut pas dire, bien sûr, que personne ne parlait de politique — au contraire ! Simplement, il était plus facile et plus sûr de s’occuper de la politique des autres pays (typiquement des États-Unis).

La télévision était notre principal moyen d’information, comme en France je pense. Avec mes parents, je regardais donc les chaînes d’information francophones comme France24, mais on ne parlait pas beaucoup des infos de toute façon, chez moi.

L’arrivée en France : la prise de conscience

Du coup, quand je suis arrivée en France, à dix-huit ans, pour commencer mes études à Sciences Po, et que j’avais dans l’idée de devenir journaliste, j’étais très axée sur l’objectivité : pour moi, le journalisme devait raconter des faits et surtout ne jamais donner son opinion. Vous remarquerez qu’on vous demande strictement la même chose au bac, d’ailleurs : ne jamais donner d’avis sur le sujet qu’on vous impose, à moins que vous ne soyez sûr•e que le correcteur ou la correctrice soit complètement d’accord avec vous. Ce qui, évidemment, n’est jamais une certitude.

Et puis petit à petit, j’ai découvert qu’en France, on pratiquait bel et bien ce sport national qu’est la critique constante — mais pas forcément éclairée — du gouvernement et de ses décisions. En particulier, on critiquait ouvertement le président. Ce n’est pas que je ne le savais pas (j’étais quand même restée en lien avec la France pendant toutes ces années), mais c’était autre chose de voir les gens s’en donner à coeur joie sans jamais chuchoter ni regarder par-dessus leur épaule !

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C’était également très différent de constater que même dans les grandes villes, il n’y avait pas de portraits du président dans les boutiques ou de drapeaux nationaux dans les rues — ce qui est très largement le cas en Syrie, même en-dehors des administrations. Je me suis aperçue que je m’y étais habituée, que je trouvais ça relativement normal. En arrivant en France, j’ai compris pour la première fois, en m’attardant quelque peu sur le phénomène, qu’il s’agissait de propagande.

Les élections, ma première action politique concrète

2012. Ma deuxième année de licence. Les élections présidentielles. À Sciences Po, sur le campus de Nancy, le directeur a profité de l’occasion pour nous entraîner dans une simulation de la campagne présidentielle où chaque étudiant•e devait se joindre à un parti (j’étais chez les royalistes, c’était drôle) et participer à sa campagne. Nous avons fini par un vote à bulletin secret et un chef de parti a été élu (les royalistes ont perdu, même si tout le monde nous aimait bien ! OK, la simulation n’était pas super réaliste, on a fait les petits fous).

Durant cette simulation de campagne présidentielle, j’ai pensé au fait que personne, dans mon pays, n’avait la chance de faire la même chose — ni en simulation, ni en vrai. Personne n’avait le choix. Certes, il existe différents partis en Syrie, mais on peut les considérer comme factices : seul le parti du gouvernement peut être élu, puisqu’il manipule chaque fois les résultats des élections en sa faveur. C’est quand même beaucoup plus simple que de risquer de perdre, non ? Ou de faire ce que le peuple demande…

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La politique, à mon niveau et selon mes choix

J’ai réalisé qu’en France, j’étais parfaitement libre de faire de la politique. De m’y intéresser, d’en parler, d’approuver, de critiquer, de préférer tel ou tel parti, telle ou telle idée. Et je m’en suis donné à coeur joie, en m’informant le plus possible. Je suis devenue militante de certaines causes, j’ai trouvé ma place (à peu près) sur l’échiquier politique français et j’ai même participé à des manifs, chose impensable en Syrie !

En France, j’étais parfaitement libre de faire de la politique

Malgré tout cela, je ne me suis pas encartée dans un parti. Ça n’a rien à voir avec une peur de m’engager politiquement (peur des possibles conséquences si je m’engageais dans un parti qui critique ouvertement Bachar Al-Assad, par exemple, rapport que j’ai pas envie de me faire épingler quand je rentre en Syrie, si j’y retourne un jour). Ça n’a rien à voir non plus avec une frilosité d’engagement, rapport que j’ai aucun mal à dire que je suis carrément de gauche.

Non, ç’a plutôt à voir avec le fait que je ne veux pas me sentir « obligée » de voter pour tel ou tel parti, ou tel•le candidat•e, tout simplement parce que je pourrais très bien me sentir dans l’ensemble emballée par un parti mais pas par ses candidat•e•s, et inversement. Si je ne me suis pas encartée c’est tout simplement parce que je n’en ai pas ressenti le besoin.

La Marche manif Paris

Si j’ai envie de militer, je peux me joindre aux manifs, je peux voter pour qui je veux, je peux agir à mon échelle en partageant des infos et désormais en rédigeant des articles sur madmoiZelle. Et puis je ne veux pas qu’on m’associe constamment à un parti avec lequel je ne serais pas toujours d’accord, même s’il y a toujours différents courants au sein d’un même mouvement. Je garde ainsi ma liberté de penser et d’agir. Mais je ne critique pas pour autant ceux et celles qui s’encartent ! Chacun•e son kif.

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La politique, c’est pour tout le monde ?

En arrivant en France, surtout à Sciences Po, j’ai immédiatement commencé à baigner dans la politique. D’abord parce qu’à Sciences Po, tout le monde faisait de la politique. Tout le temps. Moi qui adorais débattre (sur n’importe quel sujet, de préférence en hurlant plus fort que tout le monde), j’ai découvert que dans cette filière, c’était LE truc des étudiant•e•s. On débattait de la politique du gouvernement, ou de son absence de politique sur certains sujets, de thèmes de société, de sophisme et de propagande, de la France et du monde, de la guerre et de la paix… On parlait de tout. Et c’était génial.

À lire aussi : 8 jeunes sur 10 s’intéressent à la politique

Si bien qu’ensuite, j’ai fini par penser que tout le monde faisait de la politique, à son niveau. En s’intéressant simplement à des sujets qui nous touchent. Pendant ma première année, j’étais en cité universitaire, et le soir, au lieu de dormir, je descendais devant l’immeuble pour discuter avec les fumeurs (bien qu’étant non-fumeuse) et les couche-tard. J’ai été très déçue de découvrir que la plupart affirmaient « s’en battre les steaks de la politique », mettant absolument tou•te•s ceux et celles qui en faisaient dans le même sac.

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La politique nous touche dans tous les aspects de notre vie

À toutes les personnes qui m’affirment qu’elles n’en ont rien à faire de la politique, et qu’elles n’en font pas, je réponds : c’est faux. Je reste sur mon idée première, à savoir que tout le monde fait de la politique, parce que ça touche tous les sujets, et notamment les thèmes cruciaux de société et d’économie, et que chacun•e peut avoir un avis. Qu’il ou elle donne sans qu’on le lui demande, d’ailleurs, la plupart du temps.

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Vous avez droit à des aides du gouvernement ? C’est de la politique. Vous êtes en couple avec une personne du même genre que vous ? C’est de la politique. Vous faites vos courses au supermarché le dimanche ? C’est de la politique. Vous avez libre accès à Facebook et à Twitter ? C’est de la politique (et c’est pas le cas partout) ! Vous voyez ? Tout nous concerne, tout nous touche. La politique, c’est simplement le moyen de se faire entendre, dans le cas du régime français à travers des représentant•e•s. La politique, c’est penser. La politique, c’est s’exprimer.

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La politique, les autres et moi

En cité universitaire, toute seule, j’ai donc commencé à faire de la politique avec les gens qui m’entouraient. Et j’ai essayé de les convaincre que non, ce n’est pas parce que j’étais à Sciences Po que j’allais devenir présidente… mais que oui, la politique ça m’intéressait et que je comptais me faire entendre. En tant que citoyenne. J’ai essayé de leur expliquer qu’eux et elles aussi pouvaient se faire entendre, mais que ce n’était pas en refusant la politique en bloc que ça allait marcher. J’ai essayé de leur rappeler que la politique appartient avant tout aux citoyen•ne•s. J’espère que vous aussi, en lisant cet article, vous prenez conscience que vous pouvez vous réapproprier la politique.

Je ne me suis pas inscrite à l’association de Sciences Po qui organisait régulièrement des débats, parce que je ne trouvais pas toujours les sujets intéressants. Je ne me suis pas engagée avec les jeunes de tel ou tel parti. Mais j’ai lu plein d’articles sur plein de sujets, dans plusieurs quotidiens différents : Le Monde, Courrier International, VoxEurop, Rue89 ou encore Slate, pour n’en citer que quelques-uns. Et je les ai partagés sur les réseaux sociaux.

J’ai aussi débattu avec des gens d’avis contraires aux miens, pour connaître les arguments des autres et pouvoir y répondre éventuellement. Et ces gens, je n’avais pas besoin d’aller les chercher très loin ! Je discutais avec mon oncle et ma tante, avec mes ami•e•s de Sciences Po, mes potes de la cité universitaire, les gens que je rencontrais en soirée…

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Tout le monde a toujours un avis sur tout

Je vous le dis : sans forcément en être conscient, tout le monde a toujours un avis sur tout, même sur les sujets qu’ils et elles ne maîtrisent pas forcément. Mais ça vaut mieux que de dire « ça ne m’intéresse pas » ! Il y a une différence entre ne pas avoir d’opinion, et ne s’intéresser à rien. Il y a une différence entre dire « je ne sais pas » et simplement laisser couler.

Ma conscience politique, désormais solidement ancrée

C’est comme ça que je me suis construit une conscience politique. C’est comme ça que je me suis forgé des opinions diverses et parfois contradictoires sur plein de sujets différents. Je suis allée chercher des informations, et même si je ne cherche pas systématiquement à lire les avis contradictoires (j’avoue privilégier tout simplement les quotidiens et sites Web qui reflètent ma pensée générale), j’en ai lu assez pour me faire une idée globale de pas mal de thèmes. Je suis allée manifester en conséquence. J’ai écrit en conséquence. J’ai débattu en conséquence.

Je me suis trouvée beaucoup plus incluse dans la société

Et petit à petit, je me suis trouvée beaucoup plus incluse dans la société, beaucoup plus à ma place que quand j’ai débarqué toute seule, jeune et naïve, de Syrie. Je me suis trouvée faire partie des citoyen•ne•s de France, parfois plus que certain•e•s qui ont pourtant vécu beaucoup plus longtemps que moi dans ce pays. Parce que je m’engage à ma façon. Je participe. J’approuve, j’admire, je m’insurge, j’applaudis (rarement mais pour le mariage pour tous, j’en ai pratiquement pleuré quand même), je râle (beaucoup et très fort)…

À lire aussi : La politique et nous #3 — Qu’est-ce qu’on attend pour (re)prendre le pouvoir ?

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Est-ce que ma foi en la politique n’a jamais vacillé ? Est-ce qu’aucun scandale n’a jamais ébranlé ma croyance en ce système démocratique et en ses représentant•e•s ? Bien sûr que si. Alors que j’écris ces lignes, je suis même sacrément désabusée. J’ai été — et suis encore — déçue par énormément de personnalités politiques.

Je ne comprends tout simplement pas, à l’heure qu’il est, que l’Europe puisse laisser des réfugié•e•s mourir sur ses côtes par centaines, par milliers. Le président Sarkozy m’a dégoûtée lorsqu’il a parlé de « passer au kärcher » des quartiers entiers, laissant apparaître son mépris pour les gens qui y habitent. Je déplore que des gens aussi jeunes que Marion Maréchal-Lepen propagent une idéologie qui me donne envie de vomir.

Mais surtout, je comprends mal les citoyen•ne•s français•es qui accordent plus d’importance aux histoires de coeur de leur Président qu’à ses actions, qui sont capables de comparer leur Garde des Sceaux à un singe… Moi, j’admire Christiane Taubira, pour la force et la conviction dont elle fait preuve, pour la façon magnifique dont elle est capable de s’exprimer, notamment dans ses écrits, pour son courage face à l’adversité au sein de son propre parti, pour avoir défendu la cause LGBT face à une France plus que frileuse.

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Souvent, je doute. Je me désole. Je n’envisage pas de faire de la politique à proprement parler (c’est-à-dire de prétendre à être élue), parce que j’ai le sentiment qu’aujourd’hui, il faut avoir des dents longues comme le bras et plus d’ambition que de coeur pour pouvoir se frayer un chemin là-dedans !

Vous faites déjà de la politique

Mais je ne perds pas complètement espoir. Dans ce monde, il y a encore du bon. Il y a encore de quoi croire en la politique. Peut-être pas en (certain•e•s de) ses représentant•e•s actuel•les. Mais dans ce cas, c’est à nous de nous exprimer pour que ça change ! Nous voulons plus de transparence, plus d’action, un gouvernement plus porté sur tel ou tel aspect de la société ou de l’économie ? À nous de le faire savoir. À nous de nous faire entendre. Lisons, écoutons, écrivons, partageons, signons des pétitions, manifestons. Bougeons-nous.

Nous en avons le pouvoir. Nous faisons déjà de la politique !

À lire aussi : Caroline Roux, journaliste politique — Interview en vidéo !

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Les Commentaires

8
Avatar de Destiny Nova
24 novembre 2015 à 19h11
Destiny Nova
Merci
J'avais pris note de ta liste Je ne me suis pas exprimée clairement, mais je pensais à des livres et/ou sites qui proposent une sorte de vulgarisation de la politique, un peu comme en sciences. Mais c'est vrai que le sujet peut être plus complexe
Il faut finalement avoir un peu de patience et se documenter. Après, tout est fonction de ce qui nous touche et du temps qu'on peut/veut y investir. (Je pense.)
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