Il y a quelques semaines, dans Top Chef, ce fifrelin de Jean-Edern a fait une bonne boulette dans l’un de ses plats : il a utilisé du sel à la place du sucre – ou l’inverse, je ne sais plus vraiment. Catastrophé, le cuisinier en jean disait à la caméra que, quand même, comment avait-il pu se tromper comme ça ?
On se le demande.
Ce genre de choses nous arrive à tous. Il m’est déjà arrivé de ranger mon téléphone dans le frigo, ou de me rendre dans une pièce sans me souvenir de ce que je voulais y prendre. De votre côté, vous avez sûrement expérimenté ce genre des choses, ces moments où un serveur vous souhaite un bien bon appétit et que vous lui répondez « À vous aussi », ou vous demandez à quelqu’un si « ça va » un peu machinalement, sans vraiment écouter la réponse. En bref… des moments où notre cerveau nous trolle un peu. Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
Des comportements mécaniques et un esprit « passif »
En fait, figurez-vous que notre esprit n’est pas toujours bouillonnant et survolté, non. La plupart du temps, nous sommes en fait dans un état « d’esprit passif », en « basse tension cognitive » : c’est-à-dire que nous nous mettons en mode automatique, et que nous n’analysons pas toujours les situations de façon attentive et complexe.
Et vous savez quoi ? Heureusement que nous ne passons pas notre temps à tout analyser méticuleusement – la majeure partie du temps, nous n’avons pas besoin d’être pleinement attentif et lucide.
Notre cerveau fonctionne à l’économie et ne « traite » pas toutes les informations d’une situation donnée – on voit un aspect de la situation, et on en déduit que l’on se trouve dans telle situation et que nous devons agir de telle manière. Jean-Edern a vu des petits grains blancs, et v’lan, ça lui a suffi pour en déduire que ce truc, c’était du sel.
Une expérience de photocopieuse
Nous devons ce constat de « basse tension cognitive » aux chercheur-se-s Ellen Langer, Arthur Blank et Benzion Chanowitz (1978), qui ont créé une expérience simple examinant la manière dont nous pouvons réagir à une interaction sociale.
Dans cette expérience, un expérimentateur attend qu’une personne arrive devant une photocopieuse pour débarquer et lui demander s’il peut utiliser la photocopieuse avant lui/elle. L’expérimentateur utilise trois formulations différentes pour sa requête :
- « Excusez-moi, j’ai cinq pages à photocopier, puis-je utiliser la machine ? » ; ici, l’expérimentateur formule sa demande sans la justifier, sans donner de raison
- « Excusez-moi, j’ai cinq pages à photocopier, puis-je utiliser la machine car je suis très pressé ? » : cette fois, le chercheur ajoute bien une justification valide à sa demande
- « Excusez-moi, j’ai cinq pages à photocopier, puis-je utiliser la machine car je dois faire des photocopies » : là, les chercheurs ajoutent une justification qu’ils qualifient de « faible » (je dois faire des photocopies pour faire des photocopies – duh !).
J’aimerais acquérir l’alcool s’il vous plaît.
Réagissons-nous différemment face à ces trois formulations ? Prêtons-nous attention aux justifications fournies par l’expérimentateur ?
Selon les observations de Langer et son équipe, les formulations induisent effectivement des réactions différentes : 60% des personnes acceptent de laisser passer l’expérimentateur lorsqu’il ne donne aucune justification à sa demande… alors que 94% l’acceptent avec une justification « valide ».
Là où l’observation devient intéressante, c’est qu’ils sont 93% à accepter la requête de l’expérimentateur lorsque celui-ci donne une justification « faible ». Autrement dit, que je dise « je dois faire des photocopies parce que je dois faire des photocopies » ou « je dois faire des photocopies parce que sinon, l’humanité va s’éteindre », c’est kif-kif : la personne devant moi n’entendrait que le « parce que » et ça lui suffirait !
En fin de compte, dans cette expérience, les personnes sont bien en pilotage automatique : habituellement, lorsque que quelqu’un nous demande quelque chose, on entend une justification, on entend un « parce que ». En pilotage automatique, dès que l’on entend ce « parce que », on considère que la demande est justifiée, et ça nous va, peu importe la valeur du « parce que ».
Dans l’expérience, c’est aussi ce qu’il se passe : les gens ont entendu une justification, sans écouter plus longuement la raison, sans évaluer l’argument, en supposant que la demande était bien justifiée…
Dans une seconde étape de l’expérience, les chercheur-se-s modifient la requête et la rendent plus coûteuse : cette fois, l’expérimentateur demande aux gens s’il peut faire 20 photocopies avant eux, et cette fois, les sujets se mettent à écouter les justifications. Lorsqu’ils se trouvent face à une justification « faible » (je dois faire des photocopies parce que je dois faire des photocopies), ils sont moins nombreux à accepter la requête !
Que peut-on en conclure ?
Ce que l’on retient, c’est que depuis cette expérience, beaucoup de recherches se sont centrées sur le sujet et ont souligné toutes les influences non conscientes jouant sur nos comportements.
Ces recherches ont par exemple montré que lorsque nous voyons quelqu’un vêtu d’un costume, nous le pensons plus professionnel ; lorsque nous voyons des larmes, nous les associons automatiquement au malheur… Et lorsque nous jouons à un jeu financier et que nous sommes autour d’une mallette, nous devenons plus compétitifs et égoïstes que lorsque nous sommes autour d’un sac à dos (Kay et al, 2004).
Tout compte fait, nos consciences ne seraient pas forcément aux commandes de nos comportements !
Pour aller plus loin :
- L’expérience de Langer et al.
- Un article de Psychology Today sur la basse tension cognitive au travail
- Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables – Serge Ciccotti
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Les Commentaires
Surtout car je me rend compte que je suis très très souvent en mode automatique, j'ai du mal a écouter les gens, surtout quand ça ne m'intéresse pas (donc souvent) et mon esprit vagabonde vraiment très facilement, "j'atterrit" à chaque fois que qqn me parle, comme si je sortais d'une certaine torpeur... Du coup je passe souvent pour quelqu'un de complètement à l'ouest aha ...