En général, on dit de moi que je suis timide. Je préfère me considérer comme une personne discrète : j’aime me faufiler entre les gens sur le trottoir et entrer dans une pièce sans que personne ne me voie. J’ai l’impression d’être une super-héroïne avec un pouvoir un peu nul.
Pourtant, je ne suis pas toujours comme ça.
Je ne suis pas du genre à être une personne modérée. Je ne sais pas la jouer en demi-teinte. Je suis trop ou pas assez, jamais entre les deux. Tu imagines donc que je ne suis pas toujours la personne la plus agréable à vivre, car derrière ce côté introverti, je cache une part d’ombre forgée dans les ténèbres de mon âme. Je suis un peu comme Dark Vador (ou un tueur en série en collants avec un peu trop de blush).
Je n’aime pas trop quand on laisse cuire les petits pois carottes sans leur jus.
Ça ne se manifeste pas de trente-six façons : je suis énervée, irritable et butée. Plus le temps passe, plus j’arrive à gérer cette espèce de vilaine maladie, bénigne mais virale. Pourtant ça n’a pas toujours été comme ça.
L’adolescence n’est pas la meilleure des périodes, en général. Tu es moche, tu as les aisselles qui commencent à sentir, tu t’habilles chez Mim, tu écoutes de la musique de merde et tu as envie de tout exploser, y compris ta sale face.
J’ai été une adolescente atroce, grande gueule et fan de Tokio Hotel. Pourtant, je m’aimais bien. J’avais un tas d’amis qui devaient être à ma botte. L’univers tout entier me devait des courbettes pour me remercier d’exister. Je cachais mon estime de moi derrière une façade de meuf mal dans sa peau. Comme si c’était à la mode d’avoir une tronche d’enterrement et de faire semblant d’être en train de chialer toutes les dix minutes.
Au fond, je me la pétais comme une actrice de télé-réalité : je m’aimais, certes, mais de façon complètement nulle. Tout le monde devait faire partie de mon cortège d’aficionados et était soumis à ma souveraineté. Tout le monde, mais surtout mes parents.
Il est l’or, mon seignore, il est huit or
Petite, j’ai trop souvent été recouverte de cadeaux par ma grand-mère. J’étais la princesse qui exigeait Le Petit Poney qui fait des tartes dans la seconde. Si je voulais un dîner aux chandelles sur une table en plastique à quatre heures de l’après-midi, il fallait que mon aïeule ait la gentillesse de manger dans le noir avec moi, et de ramasser les cotillons que je semais partout. Mes parents enrageaient.
J’ai été la plus exigeante des petites filles : tout devait être fait vite, bien et surtout quand je le décidais. Je pense que j’ai toujours été comme ça, mais que les comportements de certains proches n’ont pas arrangé les choses… Ce qui n’est pas une excuse.
À quatre ans, mes parents m’ont laissée passer quelques jours chez d’autres membres de ma famille. La première chose que j’ai dit, c’est : « Bon ben maintenant que Maman est plus là, c’est moi qui commande ici ».
Ô, puberté, la terrible démence !
Malheureusement pour mes parents, je n’ai pas vraiment décidé de changer, surtout pas à l’aube de mes plus folles années. Au lieu de mûrir et de m’adoucir, tous les comportements les plus chiants de ma personnalité sont sortis en même temps dans un immense Kamoulox.
Pendant presque neuf ans, j’ai été invivable. Il faut que tu t’imagines partager ta vie avec un porc-épic enragé ou devoir trimballer une araignée de mer dans ton slip. Invivable, vraiment.
Mes parents ont toujours tout fait pour que je sois heureuse. Je n’ai jamais été privée de loisirs, j’ai toujours été poussée dans ce que je voulais faire, comme je voulais le faire. J’ai reçu une éducation parfaite et pleine de culture.
Pourtant, pour montrer mon immense gratitude et ma reconnaissance éternelle, je ne trouvais rien de mieux que d’arborer une tête de croque-mort. C’est comme si la gravité exerçait une pression bien trop importante pour les commissures de mes lèvres. J’avais toujours une excuse à la con pour faire la tronche
. Parce que oui, tirer la gueule me demandait beaucoup moins d’efforts que de sourire. Et les efforts, j’estimais que j’en faisais déjà bien trop en me levant tous les matins.
Je suis restée exigeante. Si ma journée ne se déroulait pas de la manière dont je l’avais décidé en posant mon premier pied par terre, j’étais complètement chamboulée. Je préférais me renfermer plutôt que de m’expliquer, de trouver n’importe quelle solution. Parler de moi et de mes émotions était un luxe que je n’accordais à personne, et surtout pas à mes géniteurs.
Je trouvais qu’être une fille à problèmes, c’était sacrément cool. Ça me donnait un côté badass, bien loin de l’Amélie qui se débattait pour qu’on entende le son de sa voix au milieu d’une conversation.
J’ai pas mal voyagé avec mes parents. Je me rappelle particulièrement de Berlin, que j’avais adorée. Je n’ai que des bons souvenirs de cette excursion sur les traces de la Guerre Froide Bill Kaulitz. Pourtant, quand j’en parle à ma mère, elle ne manque pas de me rappeler que nous avions failli rentrer plus tôt pour motif de « non-entente familiale ». En d’autres termes, j’avais été pire que le chikungunya. J’ai vu en Berlin un endroit merveilleux où j’aurais aimé vivre ; mes parents, eux, ont vu un endroit triste.
Et je ne m’en suis même pas rendue compte.
Je ne me rendais compte de rien. Je ne voyais pas le souci avec mon comportement. Je ne comprenais pas pourquoi ma mère se cachait dans la cuisine pour pleurer ou pourquoi elle ne voulait plus me dire bonne nuit. J’ai passé des journées entières à me battre pour des conneries. À la fin, on ne savait même plus pourquoi on s’engueulait.
J’ai grandi, j’ai pris de l’assurance. L’école m’a appris plein de nouveaux mots à placer dans des conversations de grands. J’ai compris comment tourner mes phrases pour bien faire mal. Inutile de préciser que mes cobayes préférés étaient mes parents. Ils étaient sur place et avaient du répondant : c’était parfait.
J’ai commencé à répondre, en appuyant au point le plus sensible. Retourner le couteau dans la plaie ne me suffisait pas, il fallait le planter plus profond encore (et tant qu’à faire, pourquoi pas lécher le sang dessus aussi). J’ai dit, et écrit, des horreurs plus grosses que moi. J’allais jusqu’à confier à mon journal que je préférerais qu’un éclair s’abatte sur ma maison et crame tout le monde plutôt que de devoir passer une journée de plus dans cet enfer. Celui que je m’étais créé toute seule, donc.
Pendant presque neuf ans, j’ai eu un coeur en plexiglas. C’est comme si la douleur des gens coulait dessus sans jamais s’y accrocher. J’étais imperméable à tout type d’émotion envers ma famille. Pour moi, ils ne servaient à rien, ne m’apportaient rien, n’étaient intéressants en rien. Ils n’étaient rien.
Le véritable amour c’était celui que me portait mon « copain » de l’époque — un horrible garçon moustachu avec le Q.I. d’une huître.
La seule personne capable de me calmer était mon père. Mon papa, c’est ce genre de monsieur qui ne dit rien, qui cache son jeu comme un champion de poker, puis qui explose. Crois-moi, il vaut mieux être bien loin quand c’est le cas. En attendant, comme je n’étais qu’une petite conne, c’est avec ma mère que j’étais la plus virulente.
Il paraît que c’est normal de vouloir chercher les limites de son environnement quand on est ado. Moi, je les ai pulvérisées comme des briques en polystyrène.
Âge de raison : âge à partir duquel on peut avoir raison sans recevoir une gifle
Au fur et à mesure, l’étau que je plaçais autour de mes proches a fini par se détendre. Centimètre par centimètre, je relâchais la pression. Partir m’a fait du bien. J’ai appris à vivre seule. J’ai compris que personne ne m’attendait nulle part, que j’étais loin d’être la nouvelle merveille du monde. Je suis devenue une grande fille, j’ai vécu un peu ma vie et je ne me suis jamais transformée en archiduchesse.
J’ai croisé des gens condescendants, d’autres qui avaient de gros problèmes de communication, d’autres encore qui n’avaient aucune famille.
Bizarrement, même si parfois on se haïssait, j’ai toujours été proche de ma mère. Je l’ai autant adulée que je l’ai détestée sans raison. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé depuis que j’ai quitté ma grande maison de campagne, mais je crois avoir compris une chose essentielle : les gens et les situations ne sont pas figés.
Je vais peut-être passer pour une vieille fan de Joséphine Ange Gardien, mais vivre, c’est quand même assez urgent.
J’ai compris que mon petit frère était doté de neurones et que mes parents n’avaient jamais cherché à aggraver la situation. Si j’ai passé trop de temps enfermée dans ma chambre, c’était par ma faute. Je ne sais pas comment ma mère a eu assez de sang-froid pour ne pas venir me trucider dans la douche quand je passais plus d’une heure dans la salle de bains. Personnellement je me serais envoyée au goulag, ou pire encore.
Mes parents sont les personnes à qui je tiens le plus, dans le monde entier. J’ai envie de rattraper tout le temps que j’ai perdu bêtement en partageant un maximum de trucs avec eux. Je veux aller chercher mon frère à la sortie du lycée, je veux mettre la table, je veux aller promener les chiens sous la tempête, je veux donner un cours de Web à ma mère, je veux poser pour les tests photos de mon père (pendant des heures) (c’est long). Je veux arrêter de négliger le quotidien parce que je me suis fait une raison : la vie, c’est ça.
Quand je parle de mon comportement, j’ai l’impression de décrire quelqu’un d’autre. Ça me fait rire, du coup, ça commence à faire loin. J’ai été la pire des connasses avec mes parents et je me suis soignée.
Si tu te sens concernée, tu peux rassurer ta famille : ça passe avec le temps.
Mais tu sais quoi ? Tu ferais mieux de kiffer, tu le peux, tu le dois. Vivre, c’est tellement plus simple sans avoir des épines plein le palpitant et l’estomac comprimé comme pour une séance de bondage. Tes parents sont sûrement à chier parfois, mais c’est normal : ils sont humains. Crois-moi, leur parler comme à des chiens, c’est un (petit) crime contre l’humanité. Ils méritent tellement mieux.
* Tout dépend de ta définition.
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Les Commentaires
Après le bac, je suis partie d'un pas résolu et n'ai pas donné de nouvelles pendant plusieurs mois. Ca m'a permis de réfléchir, prendre du recul et me poser. Oui mais voilà, je voulais qu'ils s'excusent des torts qu'ils avaient eu à mon égard. Ma mère s'est montrée plus coopérative et, sans pour autant devenir copains comme cochons, nous avons pu mettre en place une entente cordiale. Avec mon père ça a été une autre histoire, aussi borné que moi, le conflit continuait. Ca a duré un an, toute ma première année d'études, et je sais aujourd'hui que mon père en souffrait énormément, moi aussi d'ailleurs, mais je m'étais blindée. Un an après mon départ de la maison, j'ai revu mon père et décidé d'avoir une discussion franche avec lui, d'aller droit au but. Sans pour autant s'excuser, il a reconnu ses torts, c'était déjà ça. J'ai appris que par la suite, il avait vu sa sœur et lui avait confié qu'il sentait que les choses iraient mieux avec moi, que ça pouvait finalement peut-être s'arranger.
Pourquoi j'en parle au passé? Parce qu'un mois plus tard, mon père est décédé. Ca a été brutal, imprévu, soudain. Un jour il était là, le lendemain il n'était plus. J'ai remis mon mur en place, deux fois plus blindé qu'auparavant, il ne fallait rien montrer. Je me suis toujours considéré comme plus "forte" pour ça que ma mère et mon frère, j'ai donc naturellement assumer le fait de ne rien montrer pour leur permettre d'encaisser plus facilement.
Mais aujourd'hui, la culpabilité me ronge. Je ne cesse de me dire que mon père est mort malheureux. Malheureux par ma faute. En pensant que je lui vouais une haine farouche et profonde.
Alors ne gâchez pas votre adolescence à vous battre sans cesse avec vos parents. Ils peuvent disparaitre plus vite qu'on ne l'imagine et le jour où vous vous rendez compte de vos erreurs, il est déjà trop tard..