Il y a quelques jours, Mymy m’a montré un fil Twitter fascinant, très largement partagé, et m’a posé cette question : les sciences humaines peuvent-elles décrypter son contenu et expliquer une part du comportement des protagonistes ?
L’étonnante expérience sociale d’une collégienne, devenue virale
Le thread en question, le voici.
À dérouler !
Je récapitule les grandes lignes de l’histoire si vous avez la flemme de lire ou que vous ne comprenez pas l’anglais.
Une jeune adolescente, Max, propose à ses camarades de chuchoter une phrase à tous les autres élèves pendant une après-midi.
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C’est l’effet boule de neige : la réplique se répand dans l’établissement et, à la fin du mois, un élève, sans concertation aucune avec Max, note la phrase sur un papier qu’il dépose sur le bureau d’un professeur de maths.
Celui-ci, surpris, demande des explications. Bien sûr, personne ne veut lui en donner !
Max, l’instigatrice, se lève alors, se tient bien droite, place une main derrière son dos et lit la note à haute voix.
Dès qu’elle prononce « click here », les autres élèves mettent spontanément une main derrière leur dos, imitant sa posture. Max se rassoit, et les enfants reprennent une posture normale.
Rappelons que rien de tout ça n’est prémédité. Rien n’est répété, aucune consigne n’a circulé.
Le professeur, interloqué, a prévenu la direction de l’établissement.
Cette petite histoire permet d’aborder plusieurs concepts importants des sciences sociales !
Pourquoi les élèves ont-ils adopté et diffusé la fameuse phrase ?
C’est sans doute ce qui peut frapper en premier : comment une phrase tout à fait anodine, qui n’a ni sens ni contexte, a-t-elle pu se propager ?
Le phénomène pourrait bien illustrer l’idée « d’influence sociale » !
La chercheuse Stéphanie Baggio explique que l’influence sociale peut…
- s’exprimer de plusieurs manières (de façon implicite ou explicite)
- provenir de sources différentes (un individu, un groupe ou une minorité peut nous influencer)
- produire des effets différents.
Selon la spécialiste Susan Fiske, l’influence sociale dépend également du nombre, de la force, et de la proximité des sources d’influence (en fonction de ces facteurs, on parlera d’influence majoritaire ou minoritaire).
Ici, l’influence s’est exprimée à la fois de manière explicite (Max propose de répéter une phrase) et implicite (la phrase se propage jusqu’à amener les élèves à se comporter d’une certaine manière, sans aucune consigne).
De la même manière, l’influence provient à la fois d’un individu (Max) et d’un groupe (la classe de Max).
En fait, on assiste à un processus de « normalisation », à la naissance d’une norme dans un groupe !
Et cette norme, les élèves vont s’y conformer : ils modulent leur comportement afin qu’il devienne conforme à celui du groupe, sans qu’il n’y ait ni de pression explicite, ni de rapports hiérarchiques entre les membres du groupe et la source d’influence.
Solomon Asch, auteur d’une expérience célèbre sur le sujet, explique que les « cibles d’influence » peuvent se conformer, entre autres raisons, par peur de la désapprobation sociale.
Cette peur peut être d’autant plus forte à l’adolescence, une période de construction de soi, où l’influence et le regard de l’autre tiennent une place toute particulière…
Quand le conditionnement social dérape, entre La Vague et la prison de Stanford
La narratrice de l’anecdote s’étonne de la réaction du professeur : pourquoi celui-ci a-t-il semblé inquiet du comportement de ses élèves ?
Peut-être parce que ça lui rappelait des expériences plus dangereuses… À la lecture du thread, certains ont pensé au film allemand La Vague.
Il retrace l’histoire vraie d’un prof de lycée qui, dans les années 60 et dans le cadre d’un cours sur l’Allemagne nazie, décide de mettre en place une expérience pratique pour montrer à ses élèves la manière dont un régime autocratique pouvait naître.
Pour les besoins de son expérimentation, le professeur fonde un mouvement appelé Troisième Vague, basé sur des valeurs de discipline et d’esprit de corps (vous voyez le genre ?), et propose à ses élèves d’y adhérer.
Selon les écrits relatant l’expérience, quelques jours suffisent pour que tout dérape : les élèves s’investissent de manière démesurée, excluent, voire persécutent, celles et ceux qui n’adhèrent pas à leur mouvement et des violences éclatent…
La célèbre « expérience de la prison de Stanford » initiée par Philip Zimbardo a connu des déboires similaires.
En 1971, Zimbardo souhaite mener une étude sur les effets de la situation carcérale. Il propose à 24 adultes de participer à une expérience inédite pendant trois semaines : 12 joueront le rôle de gardiens, et 12 celui de prisonniers.
Les faux gardiens sont munis de matraques et peuvent rentrer chez eux après le service, tandis que les prisonniers, numérotés, doivent marcher avec des chaînes pour aller jusqu’à la cantine.
La fausse prison est truffée de caméras et une équipe de scientifiques observe attentivement ce qu’il s’y passe.
Une fois encore, il suffit de quelques jours pour que l’expérience dérape et que les psychologues perdent le contrôle…
Punitions physiques, manipulations psychologiques, humiliations sexuelles, les candidats ne jouent plus du tout. L’expérience prend une telle tournure que Zimbardo, alerté par une collègue, y met fin avant son terme.
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En me remémorant ces deux expérimentations, je peux comprendre pourquoi le professeur de Max s’est inquiété.
Il peut être surprenant de voir des jeunes gens adopter un comportement collectif que l’on ne parvient pas à piger, surtout que les ados et enfants peuvent être spécifiquement vulnérables aux phénomènes de groupe.
Quelque part, ce prof et son établissement accomplissent leur rôle en s’inquiétant du bien-être des élèves !
À ton avis, qu’est-ce qui a motivé les élèves à imiter Max ? As-tu vécu des scènes similaires ?
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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