Alexandra Richard, aujourd’hui âgée de 43 ans, est une femme comme les autres. Une femme avec du caractère, « dure à cuire » et bosseuse, selon ses proches. « Une maman géniale » toujours là pour les autres, selon sa fille aînée Enola, qui est aujourd’hui âgée de 19 ans.
En 2012, Alexandra est mariée, maman de deux petites filles, et elle a un boulot stable. Mais son couple bat de l’aile. Elle fait alors la connaissance de Sébastien G., au travail.
Au début, la mère de famille décrit une histoire « passionnelle » entre eux, une véritable idylle. Sébastien est aux petits soins, il la met en confiance ; Alexandra tombe folle amoureuse de lui. Elle se sépare de son mari, et Sébastien s’installe très rapidement chez elle.
C’est là que le piège se referme.
La spirale des violences conjugales emprisonne Alexandra Richard
L’homme, déjà condamné en 1999 pour avoir tiré sur un rival amoureux, a des problèmes d’alcool. Il boit au moins cinq verres de whisky par jour. Mais il va surtout parvenir à assujettir complètement sa conjointe, selon un processus de manipulation psychique bien précis, très courant dans les cas de violences conjugales.
Sébastien G. isole Alexandra de ses proches, contrôle ses moindres faits et gestes, la rabaisse, et décide de tout pour elle, jusqu’à ses achats personnels. Elle ne peut pas prendre sa douche seule, ou communiquer avec quelqu’un sans que son conjoint ne vérifie tous ses échanges. Sébastien se met aussi à la frapper, et à la violer, quasi quotidiennement.
Lorsqu’il redevient « doux », l’espace de quelques heures, la mère de famille — sous emprise — lui pardonne. Sa fille Enola raconte :
« Elle qui avait d’habitude du caractère, du répondant, devenait soumise, tout le temps en train de baisser les yeux devant lui. »
Sébastien veut un enfant, qui viendrait selon lui « sceller leur amour ». Sa conjointe accepte, et finit par tomber enceinte. Pendant sa grossesse, les violences continuent. Le 8 mai 2015, la mère de famille, qui ressent de vives contractions, demande à son conjoint de l’emmener à la maternité. Il refuse : il ne la croit pas, elle « exagère ».
Alexandra Richard va finir par accoucher seule, dans sa chambre, face à un miroir.
Et la naissance de leur fils ne va rien apaiser. Sébastien serait jaloux de l’attention qu’Alexandra porte au nouveau-né. Les insultes et les menaces de mort fusent lorsqu’elle lui dit qu’elle veut le quitter.
Les deux filles d’Alexandra — dont la plus âgée, Enola, n’a que 14 ans à l’époque — vivent elles aussi sous le contrôle permanent de cet homme. L’adolescente se souvient :
« C’est simple, on n’avait pas le droit de sortir de nos chambres. Il était aussi très jaloux : il s’en prenait constamment à ma petite sœur car il n’acceptait pas qu’elle ait besoin de l’attention de sa maman. »
Tout au long de cette période, Alexandra perd une trentaine de kilos. « Ma relation avec Sébastien, je la définis en trois mots : alcool, violences et soumission », rapporte la mère de famille lors de son premier procès.
Comment la justice a laissé tomber Alexandra Richard
Elle a bien essayé de s’en sortir. En janvier 2016, après une énième scène de violences, Alexandra Richard trouve le courage d’aller porter plainte. La justice ordonne une simple « médiation pénale » qui aura lieu des mois plus tard, quelques jours avant le meurtre — une mesure « complètement inadaptée », selon l’avocat d’Alexandra, Maîtree Quentin Dekimpe, et qui a depuis été interdite (par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales).
Personne ne viendra confisquer les armes à feu qui se trouvent au domicile du couple. Sébastien, malgré sa condamnation à trois ans de prison en 1999, dispose d’un permis de chasse, de huit armes à feu, de 1200 cartouches et de plusieurs couteaux de chasse.
Dans l’entourage du couple non plus, on ne s’inquiète pas plus que ça, comme le raconte Maître Dekimpe :
« Même lorsqu’Alexandra a tenté de s’ouvrir à une amie sur les violences qu’elle subissait, cette dernière ne l’a pas prise pas au sérieux. »
Le coup de feu, et l’abandon
Le 16 octobre 2016, Alexandra Richard finit par tirer sur son conjoint de 36 ans avec un fusil de chasse, à leur domicile de Montreuil-en-Caux, en Normandie. Sébastien G., alcoolisé, venait de menacer de la « fracasser ». Elle explique s’être alors emparée de l’arme pour le dissuader, et non pour le tuer ; mais en le voyant se lever et s’emparer du canon, elle aurait alors tiré, dans un élan de panique, pour sauver sa peau.
Alexandra est placée en garde à vue puis en détention provisoire pendant un an et dix mois. Derrière les barreaux, aucun suivi psychiatrique ne lui est proposé, alors que les médecins qui l’examinent affirment qu’elle souffre clairement de stress post-traumatique, une conséquence des violences qu’elle a subies.
Pour son avocat, Maître Quentin Dekimpe, « elle a été prise en charge comme un simple délinquante, sans que l’on entende qu’elle était également une victime ».
En novembre 2020, Alexandra comparaît devant la cour d’assises de Rouen, en Seine-Maritime. Face aux jurés, elle raconte le calvaire qu’elle a traversé avec Sébastien G. pendant près de quatre ans, mais assure qu’elle n’a jamais voulu le tuer, et qu’il s’agit d’un accident.
« Elle n’a jamais revendiqué fièrement son geste, elle s’en veut et elle se sait coupable. »
Quentin Dekimpe, avocat d’Alexandra Richard
Quand Alexandra Richard devient coupable, comme tant de femmes
De leur côté, les proches de Sébastien sont convaincus qu’elle grossit le trait, et qu’elle a bien tiré volontairement sur son conjoint ce soir-là. Ils dressent le portrait d’un homme bon, qui buvait certes, mais qui n’était finalement « pas si violent que ça ». Pour eux, Alexandra aurait donc menti sur toute la ligne.
Claire Charlès, porte-parole de l’association Les Effrontées, qui se bat aux côtés d’Alexandra Richard, s’offusque :
« Comme pour une femme victime de viol, on a disséqué, sa vie, sa sexualité pour que ça puisse être apporté à son discrédit, on a dit : “elle a trompé son mari donc c’est une menteuse et une manipulatrice”. »
Au terme des débats, Alexandra Richard est reconnue coupable de meurtre, avec la circonstance aggravante qu’il est commis sur conjoint. Autrement dit, on la met au même niveau pénal qu’un auteur de féminicide.
Elle est condamnée à 10 ans de prison.
La décision des jurés est motivée par « les pires mythes sexistes » selon Maître Lorraine Questiaux, qui défend Alexandra Richard aux côtés de Quentin Dekimpe. On reproche par exemple à l’accusée de ne pas s’être enfuie, ou encore de ne pas avoir « assez de traces de violences » sur son corps.
Léa Colin, porte-parole d’Osez Le Féminisme 76, était présente lors de ce procès. Pour elle, le verdict est un déni de justice.
« On a fait d’Alexandra une “mauvaise victime” car c’est une femme forte, mais les violences sont extrêmement graves, notamment les violences sexuelles. »
Depuis, les avocats d’Alexandra ont enchaîné les demandes de remise en liberté pour pouvoir préparer son procès en appel comme il se doit. Toutes ont été refusées. Pour Maître Dekimpe :
« Le fait que ça soit une femme, ça joue beaucoup. Les magistrats sont bien plus conciliants avec d’autres profils — pourtant, Alexandra Richard a un casier vierge, mais elle ose parler, donc ça dérange. Il y a une volonté politique de faire passer un message qui serait “les femmes : encaissez, restez tranquille, si vous ne partez pas, c’est votre problème”.
On veut dire aux victimes que c’est de leur faute. Alors qu’une victime n’a rien demandé, elle subit. »
« Je n’avais pas envie de perdre ma mère »
Aujourd’hui, après un an derrière les barreaux, Alexandra se sent « épuisée » selon son entourage. Mais elle est prête à se battre de nouveau. Maître Questiaux affirme :
« Je suis admirative de son courage. Elle veut tenir pour ses enfants. »
« Elle s’en veut de nous faire vivre tout ça mais moi, je lui en veux pas : je n’avais pas envie de perdre ma mère et c’est ce qui se serait passé si elle n’avait rien fait », explique Enola, la fille aînée d’Alexandra.
La légitime défense doit être prise en compte dans des cas de violences conjugales
En 2015, l’affaire Jacqueline Sauvage ouvre le débat sur la légitime défense des femmes battues. En France, elles sont chaque année une dizaine à tuer leur conjoint après avoir subi des violences. Pourtant, seules trois femmes ont à ce jour bénéficié du régime de la légitime défense et ont été acquittées, non sans se battre (Florianne Harelle, Adriana Sampaïo et Alexandra Lange).
Maître Questiaux et Maître Dekimpe ont d’ailleurs défendu l’une d’elles, Adriana Sampaïo. Comme Alexandra, elle avait été condamnée en première instance. Ils ont finalement obtenu son acquittement en appel en novembre 2020. L’avocate explique :
« Cela montre que la double peine va plus loin que le dépôt de plainte. Dans ces dossiers, symptomatiques des lacunes de la justice, des femmes sont amenées pour se défendre à commettre un crime. On arrive au bout de l’horreur de ce que les violences peuvent causer comme conséquences néfastes.
Et pourtant, dès le départ, ces femmes ne sont pas considérées comme victimes, elles sont au contraire présumées coupables. On analyse pas la situation, le contexte. »
Pour Maître Questiaux, il est évident qu’Alexandra a cherché à se défendre ce jour-là.
« Tuer un homme, c’est très grave, on ne le conteste pas. Mais elle ne l’a pas tué de sang-froid, elle a cherché à se défendre. Il l’aurait sûrement tuée si elle ne l’avait pas fait. »
En France, on estime à 220 000 le nombre de femmes victimes de violences conjugales chaque année. Tous les trois jours, l’une d’elles meurt. Pour les autres, le risque est permanent. Pour Claire Charlès, justement :
« La justice sous-estime la dangerosité réelle des agresseurs et le danger de mort permanent dans lequel vivent les femmes victimes de violence conjugales. On ne dit pas qu’on doit se faire justice soi-même, mais on veut que les femmes soient protégées ».
En moyenne, selon Maître Dekimpe, « il faut compter sept tentatives avant qu’une femme ne soit véritablement éloignée de son conjoint violent ». Alexandra n’aura pas attendu si longtemps.
« Elle a répondu plus rapidement que d’autres femmes à la violence. Elle a su se révolter, se battre et dire stop. Et on lui fait payer le prix fort pour avoir agi alors que la justice elle n’a pas été à la hauteur pour la protéger. »
#LibérezAlexandraRichard
À l’aube du procès en appel d’Alexandra Richard, l’association Osez Le Féminisme a réalisé des collages devant la palais de justice d’Evreux où se tiendront les audiences, pour interpeller les magistrats et les citoyens. Une pétition circule également en ligne.
Plus largement, les associations souhaitent que la loi sur la légitime défense soit révisée en faveur des victimes de violences.
Aujourd’hui, dans le droit français la présomption de légitime défense ne s’applique qu’a deux cas : le vol ou pillage avec violence, et l’effraction nocturne. « Nous voulons qu’elle soit élargie aux cas de violences conjugales », explique Claire Charlès, de l’association Les Effrontées.
« La légitime défense est un droit naturel qui existe avant le droit, on le comprend très bien quand il s’agit des hommes, et pourtant on l’interdit aux femmes », ajoute Maître Questiaux.
Verdict le 21 octobre pour Alexandra Richard
Pour Alexandra, le soutien de ses proches et celui de la société civile est important. « Elle se sent très isolée en prison », nous racontent ses avocats. Mais « savoir que dehors, on la croit, on la comprends, c’est primordial pour cette femme qui a tellement été malmenée par l’institution », explique Lorraine Questiaux.
Alexandra Richard s’apprête désormais à refaire devant les jurés de la cour d’assises le récit de sa vie, de son geste, à revivre le drame et les violences qui l’ont précédé. Ses proches et les associations qui la soutiennent espèrent qu’elle sera acquittée, et reconnue comme victime de violences conjugales.
« Cela fait un an que je n’ai plus ma maman, c’est très difficile, et j’espère qu’elle ressortira libre de ce procès. »
Enola, fille d’Alexandra Richard
Les débats vont durer plusieurs jours. Un verdict est attendu le 21 octobre.
Crédit photo de une : Osez le Féminisme 84 / Famille d’Alexandra Richard
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires