Peut-on aujourd’hui être encore féministe sans prendre en compte l’intersectionnalité ? Grille de lecture utilisée en sciences sociales et théorisée à la fin des années 1980, elle permet de prendre en compte les nombreuses discriminations que peuvent subir les femmes, au-delà du sexisme. Pour celles et ceux qui ne sont pas sociologues, on vous décrypte en trois points ce qu’est concrètement l’intersectionnalité.
Aux origines : un texte d’analyse juridique
Pour comprendre d’où vient le concept de la discorde, il faut remonter à 1989 aux États-Unis, lorsque Kimberlé Crenshaw, juriste et féministe noire publie un article de droit qui tente de comprendre pourquoi les femmes noires ont du mal à faire reconnaitre par la justice les discriminations qu’elles subissent au travail.
Elle relate l’histoire d’Emma DeGraffenreid, qui, en 1976, porte plainte contre General Motors. Là-bas, ni les emplois pour Noirs ni les emplois pour femmes étaient accessibles aux femmes noires. Une plainte classée sans suite, au motif que les femmes noires ne pouvaient pas plaider en même temps la discrimination raciale et la discrimination sexiste.
Crenshaw met alors en évidence la nécessité de mettre en place une grille de lecture intersectionelle, qui montre la spécificité des discriminations subies par les femmes noires, et plus globalement les femmes racisées aux États-Unis.
Pourquoi l’intersectionnalité fait tant jaser en France ?
Bien que le concept fasse rapidement son chemin dans les cercles féministes noirs en France, c’est à partir du milieu des années 2010 qu’il se fait connaitre du grand public. Pour le meilleur et pour le pire. Car il n’aura pas fallu longtemps avant qu’il ne soit vilipendé par une partie des politiques français.
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En 2020, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation Nationale, part en lutte contre les « thèses intersectionnelles ». Selon lui, elles veulent « essentialiser les communautés » et seraient à l’origine d’une « fragmentation de notre société et d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. » Rien que ça.
À son image, quelques intellectuels de droite ou encore polémistes critiquent de manière véhémente le concept. Car attachés au principe d’universalisme à la française, qui voudrait que chaque individu naisse en France sans distinction de race, classe ou genre. L’intersectionnalité serait alors un ennemi, qui voudrait détruire l’ordre républicain. Pour rappel, le concept existe à l’origine pour analyser le fait que des femmes subissent plusieurs discriminations systémiques en même temps.
Un outil indispensable pour penser le féminisme
Bien que le concept puisse être décrié notamment par des féministes dites « universalistes », la grille de lecture intersectionelle est aujourd’hui indispensable pour penser les luttes, intégrant d’autres systèmes d’oppression que la race, le genre et la classe.
Car bien qu’elles puissent être invisibilisées de certaines luttes, certaines sont à l’intersection de multiples systèmes d’oppression, comme les femmes racisées et lesbiennes, femmes racisées et transgenres… Autant de combinaisons qui montrent que des femmes peuvent être victimes de multiples oppressions systémiques.
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Une évolution de l’intersectionnalité qu’avait, dès 2015, décrit Kimberlé Crenshaw elle-même dans un article duWashington Post. Selon elle, si le concept avait, avant tout été théorisé pour les femmes noires, il est aujourd’hui important qu’il soit inclusif, pour toutes :
« Les racisés au sein des mouvements LGBTQ+, les femmes au sein des mouvements pour l’immigration, les femmes trans au sein des mouvements féministes, et les personnes non-valides qui combattent les violences policières – toutes ces personnes font face à des vulnérabilités qui reflètent les intersections entre le racisme, le sexisme, le classisme, la transphobie, le validisme, etc. »
Kimberlé Crenshaw, dans le Washington Post, en 2015.
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