« T’es vraiment trop con… »
C’est sur cette dernière phrase, sortie de ma bouche sans autre argument que le ton consternant avec lequel je l’ai prononcée, que mon ex et moi nous sommes quittés. Le point final d’une histoire qui le fut, « à la con ».
Rien d’autre à ajouter. Congédié, il a pris ses affaires, et s’est cassé, ce pauvre con.
Si l’amertume dans laquelle mon ex-cher et tendre m’avait soudain plongée n’excuse pas la grossièreté du terme employé sur le coup, l’insulte elle, dans le fond, était justifiée : ne fallait-il pas qu’il soit bien con pour aller vérifier que l’herbe n’était pas plus verte ailleurs, et pour revenir la queue entre les jambes me confesser ce coup de sécateur au contrat, espérant reconquérir mon gazon ?
Il s’est retrouvé là, bêtement planté comme un con, face à moi, qui n’ai rien trouvé d’autre à dire que :
« T’es vraiment trop con… »
Le soir même, à grands coups de phrases convenues et de lampées de rhum à peine dilué, ma fidèle bande de consœurs au royaume des cocues et moi l’avons élu Roi des cons (ça fait du bien sur le moment), et l’avons noyé dans des breuvages qui me rendirent tellement malade que même plusieurs semaines après cette rupture conventionnelle mon estomac est encore tout congestionné.
Mais il est congestionné moins de cette excessive consommation d’alcool que de la contrariété, avec du recul, d’avoir insulté si gratuitement un homme que j’avais aimé, en dépit de son manque de convenance. On ne guérit pas un cœur asséché avec du piment, aussi aujourd’hui je m’emploie à l’approvisionner régulièrement en eau de rose. Quitte à passer pour une conne parfois…
Je l’ai aimé, jusqu’à ce jour où vraiment, l’ayant trouvé con, je franchis le rubicon.
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Un mot du quotidien
Mon appartement désormais vide de tout concubin ou conjoint, ne resta dans ma tête que ce mot qui tournait, tournait et tournait encore, comme mon chat sur le tapis du salon, heureux qu’il était de pouvoir à nouveau prendre ses aises dans la maison sans qu’on lui hurle dessus « Dégage, con de chat ! » : le mot « con ».
Trois petites lettres, qui sonnent comme un couperet, pour un mot qui doit être le plus employé par les Français•es au quotidien…
Faisons le compte de ses nombreux usages :
- Le matin, à la sonnerie du réveil : « encore une journée à la con »
- Mal réveillé-e, se renversant du café sur le jean : « Mais que je suis con ! »
- Puis dans les bouchons, « Bon, tu vas avancer avec ta caisse pourrie, gros con ? »
- Ou attendant le bus dans le froid : « Mais qu’est-ce qu’il fout, ce con de bus ? »
- Au bureau, qui peut être un vrai royaume des cons en tous genres avec le niais, le mesquin, le gentil benêt, le désobligeant, le miso, etc.
- Le soir, devant la télé diffusant une « émission à la con ».
- Puis au coucher, pour les célibataires comme moi, qui nous endormons tous seuls, un peu comme des cons…
Cuisiné à toutes les sauces, avons-nous conscience du vrai sens de nos propos lorsque nous usons du mot con ?
A mon dictionnaire de me répondre :
— Papotiche, sache que tu es misogyne. — Moi, miso ?! — Oui, toi !
Je m’explique…
Le con de la femme
Si l’origine du mot « con » est contestée, et a plusieurs versions, la plus convenue est celle qui la renvoie au latin « cunnus », à savoir « le sexe féminin ». Là, tu es en train de te dire : mais ouiiii, d’où le cunnilingus ! C’est ça, d’où le cunnilingus. C’est, en somme, donner sa langue au con…
Sa définition est plus exactement, d’après le CNRTL :
« Subst., trivial. Région du corps féminin où aboutissent l’urètre et la vulve. […] En partic. Sexe (organes génitaux externes) de la femme. »
Au départ, rien de vulgaire donc — tout comme le mot « sexe », du latin « sexus », désignait le genre « homme » ou « femme », sans aucune connotation.
L’usage du mot a rapidement été réservé aux récits érotiques, et il est devenu familier puis vulgaire. Le « con » est d’ailleurs l’homologue féminin du « vit » (la nature est bien faite, puisque « conviés » à se rencontrer, leur entente fut parfaite).
D’ailleurs, saviez-vous que déconner, à l’origine, signifiait « se retirer » ? Hein ? Je ne vous fais pas un dessin (j’en connais qui ne diront plus jamais : « Hier on a bien déconné avec les potes ! »)… Son contraire, « enconner », était synonyme de pénétration vaginale.
Une autre origine est attribuée au mot « con », toujours dans le même registre, mais plus poétique : celle du vieux français « conil », le lapin. Eh oui, du cunnilingus à la cuniculture, tu as déjà fait le rapprochement ! Au Moyen Âge, le sexe de ces dames était pudiquement appelé conil (devenu « con »), permettant ainsi de parler de la « chose » sans avoir à la nommer. Le conil est devenu lapin, pour des raisons de prononciation, mais entre-temps, selon Claude Dunneton dans La puce à l’oreille : anthologie des expressions populaires avec leur origine…
« le petit animal avait eu le temps de léguer au con toute sa fâcheuse réputation de niaiserie, de lâcheté, voire de manque de cervelle. »
Robert proteste.
Je connais des Bordelais•es qui ne traverseront plus jamais la rue des Trois Conils sans glousser !
Toujours est-il qu’au fil des siècles, le con a perdu de sa superbe, passant d’érotique à coquin, vulgaire, puis controversé (très peu prononcé jusqu‘au XIXe siècle), finissant par atterrir dans un vocabulaire misogyne. Car tu dois te demander comment nous sommes passés du sexe féminin à une insulte aussi populaire ?
Au XIXe siècle, le mot acquiert un sens figuré injurieux et passe de nom à adjectif (être con). L’emploi devient donc misogyne, surfant sur l’imaginaire collectif de l’époque qui attribuait à la femme de jolies « qualités » telle l’impuissance, la passivité, la couardise, la lâcheté… Et puis n’oublions pas que le sexe féminin en lui-même (le con donc), comparé au pénis, symbole de domination, de puissance, acteur du coït, n’est vu que comme un réceptacle. On comprend bien l’insulte, hein ?
Être traité de con, c’est donc être traité de « vagin », c’est-à-dire de femme, avec tout ce que cela insinue à l’époque : être faible, passif, etc. Dans son Journal, Michelet écrit ainsi en 1857 :
« C’est une impiété inepte d’avoir fait du mot con un terme bas, une injure. Le mépris de la faiblesse ? Mais nous sommes si heureux qu’elles soient faibles. C’est non seulement le propagateur de la nature, mais le conciliateur, le vrai fond de la vie sociale pour l’homme. »
Bon, si le con est une femme, je peux tout aussi décider de jouer le jeu après tout.
Vu comme ça, c’est tout le vocable français qui peut prendre, si je veux, un autre sens à mes yeux…
- « Une émission à la con » serait une émission présentée par des femmes
- « Avoir l’air con » signifierait être féminine
- « Con-verser »serait papoter
- Avec « Mort aux cons », je passe d’anarchiste à misogyne !
- Si « On est toujours le con de quelqu’un», je veux bien être le tien si tu es grand, brun et riche !
- « Con comme la lune » est un bel oxymore, si l’on rappelle que la lune désigne aussi poétiquement notre derrière…
- Quand Audiard dit « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît », il fait en fait un bel éloge des femmes audacieuses !
- Enfin, « Le dîner de cons » serait un dîner auquel beaucoup aimeraient être convié•e•s en fin de compte.
Et clairement, à mon enterrement, je veux donc que l’on chante le « requiem pour un con ».
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Une insulte multiple
Le XXème siècle fit perdre au mot « con » toute connotation sexuelle, au point qu’aujourd’hui il n’est plus qu’une insulte.
Pourtant, il est aussi le siècle de sa réhabilitation ! Le lapin est devenu chatte, le con est devenu ce personnage désagréable que nous détestons. L’insulte est multiple tant le terme est employé pour désigner une vaste palette d’individus, mais ce qui est sûr, c’est que la misogynie du propos n’est plus consciente.
Jusque-là banni des écris publics pour sa vulgarité et le fait de désigner justement le sexe de ses dames, c’est par sa « re-sexualisation » que nos poètes des temps modernes s’emploient alors à le réhabiliter, à commencer par Le Con d’Irène, publié clandestinement par Aragon (pour éviter la censure) en 1928 sous le pseudonyme d’Albert de Routisie.
Brassens, qui n’a pas chanté que « les cons » mais aussi « le con » :
« La malpeste soit de cette homonymie C’est injuste madame et c’est désobligeant Que ce morceau de roi de votre anatomie Porte le même nom qu’une foule de gens. »
Pierre Perret en a quant à lui fait une ode tout en finesse avec Celui d’Alice :
http://youtu.be/z9h4dUlgPxk
« Si je me réfère À mon dictionnaire Il est temps de faire La définition De ce mot espiègle Qui échappe à la règle Plus noble qu’un aigle Dans sa condition Ce mot vous le dites Censeurs hypocrites Établissez vite Son vrai sens profond Car si on l’ausculte Au lieu d’une insulte On peut faire un culte Du joli mot con. »
La morale de cette histoire à la con ? Sans le savoir (et c’est là notre excuse), c’est nous-même que nous dénigrons, en traitant quelqu’un de con !
J’en viens donc à penser que tous les cons qui nous entourent n’en sont pas. S’il n’avait pris ce sens si péjoratif, le con serait un si joli mot, à l’image de ce qu’il désigne. Source du plaisir, « origine du monde » comme le rappela Courbet, fruit d’amour, douceur…
Non, le vagin n’est pas un sexe faible, un « sous-pénis », ou que sais-je encore. Loin d’être une insulte, il devrait être un poème, une ode, un honneur.
Je suis con, oui. Et j’en suis fière !
Tout cela pour vous dire quoi déjà ? Ah oui, que j’ai quitté mon ex. Et dans cette histoire, mon plus grand regret, finalement, sera bel et bien de l’avoir traité de « con ». Il ne méritait vraiment pas que je lui fasse ce compliment…
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