En tant que femme, j’ai largement pu me rendre compte par mon expérience des standards de beauté qui pèsent sur nous.
Les standards de beauté et les complexes féminins
Depuis petite, on m’a bien fait comprendre que la beauté d’une femme était importante. J’ai un temps fait partie des moches, puis je suis rentrée plus ou moins dans les critères de beauté du moment : blanche, blonde, les yeux bleus, mince.
Que ce soit pour me dire que j’avais un nez de sorcière dans la cour de récré, puis aujourd’hui pour m’interpeller en soirée histoire de me dire que je suis « belle » avant même de me demander mon prénom, mon apparence a toujours semblé être un sujet de première importance.
Qui passe souvent avant le reste selon mon ressenti personnel, ce qui a le don de m’irriter.
Est-ce trop demander, en 2020, d’assoir la valeur d’une femme sur autre chose que son apparence ?
Mais je m’égare, car aujourd’hui j’aimerais te parler d’un autre sujet : celui du physique de ces messieurs, des injonctions qui pèsent sur eux, et de leurs complexes.
Vaste sujet dans lequel j’ai eu du mal à me plonger, parce que je n’arrivais pas à percuter que oui, les mecs aussi avaient des idéaux de beauté, s’accompagnant de complexes physiques.
La beauté et les complexes, un non-sujet chez les hommes ?
Pendant bien longtemps, j’ai eu l’impression que la beauté, ça n’était pas un vrai sujet chez les hommes.
Au lycée, l’attractivité des mecs n’était pas autant basée sur leur physiques que chez les filles. D’autres qualités étaient davantage valorisées : le fait d’être cool, drôle, assuré.
« Je préfère sortir avec un mec stylé mais moche qu’avec un mec pas stylé mais beau », m’a un jour confié une copine.
Pour autant, ce serait mentir que de dire que la beauté des gars était anecdotique dans la cour de récré. Bien sûr que nous observions et rêvassions sur ceux que nous considérions comme des « beaux gosses ».
Si j’avais du mal à conceptualiser l’existence de complexes physiques chez les hommes, j’étais néanmoins bien consciente d’autres injonctions pesant sur eux : celles les contraignant à être suffisamment « homme », virils, forts, stoïques.
Les injonctions à ne pas montrer une once de vulnérabilité à travers l’expression de leurs émotions, de leurs sentiments, de leurs pleurs.
Je suis une femme, mais j’ai moi-même évolué dans un environnement familial dans lequel j’ai été poussée à développer des qualités que l’on réserve traditionnellement aux garçons :
– Sois forte.
– Ne pleure pas.
– Arrête de te rouler dans ton malheur.
– Aie un peu de fierté, bon sang !
De nature extrêmement sensible, il va sans dire que je l’ai très mal supporté. Alors je comprends que si être un homme s’accompagne de multiples privilèges, être un homme, c’est aussi subir une pression qui peut être destructrice.
Ce post de France TV Slash parle mieux que moi du rapport, parfois compliqué, des hommes avec l’expression de leurs émotions et de leur vulnérabilité :
La beauté, un domaine qui intéresse de plus en plus les hommes
Pendant mes études, j’ai eu l’occasion d’étudier L’Histoire de la beauté, de l’historien Georges Vigarello, qui a éclairé ma lanterne sur la conception de la beauté chez l’homme et chez la femme.
L’auteur y explique que la beauté est depuis bien longtemps une qualité intrinsèquement liée à la femme. Pendant la Renaissance s’est ainsi mis en place une vision des genres qui opposait force masculine et beauté féminine.
Cependant, l’historien explique qu’au cours du XXème siècle, la beauté se démocratise pour devenir aussi l’affaire des hommes, avec des canons de beauté qui tendent à se rapprocher chez les deux genres.
La beauté n’est donc pas absente des préoccupations des hommes. Néanmoins, elle n’a pas la même place chez les femmes et chez les hommes.
Marc Lafrance, sociologue à l’Université canadienne Concordia, explique dans une interview pour le journal La Presse que si la pression de l’image corporelle est en hausse chez les hommes, ces derniers ont « encore et toujours plus de marge de manœuvre que les femmes »
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Les complexes physiques chez les hommes homosexuels
La première fois que je me suis VRAIMENT rendu compte des complexes physiques qui existent chez les mecs, c’est lors d’un séjour de 5 mois à Sydney pendant lequel j’ai côtoyé la communauté gay australienne.
La beauté et la pression pour l’atteindre étaient TRÈS, TRÈS présents dans cet univers.
Je me rappelle de mon ambivalence par rapport à cette place de la beauté et du paraître chez mes potes…
D’un côté, je trouvais ça génial que les corps des hommes soient ENFIN érotisés, et plus seulement ceux des femmes. Si tu t’intéresses à l’érotisation (ou l’absence d’érotisation) du corps des hommes hétéros, je te conseille d’écouter cet épisode du podcast Les couilles sur la table invitant la journaliste sexo Maïa Mazaurette à débattre de la question.
Je trouvais ça génial que des hommes assument d’aimer la mode, de travailler leur style vestimentaire. Qu’ils soient libres d’exprimer de la féminité s’ils le souhaitaient, tout en jouant parfois des clichés, avec moult renforts de paillettes, de talons et une manière d’être haute en couleur.
Mais je me rappelle aussi avoir trouvé mes amis impitoyables envers ceux qui ne rentraient pas dans des critères physiques assez élevés, ou du moins ne feraient pas assez d’effort pour les atteindre, en passant des heures à la salle de sport pour obtenir un six-pack d’Apollon.
Ça me rappelait les injonctions physiques qui pesaient sur nous, les femmes, et que nous n’avions toujours pas réussi à mettre à bas malgré un combat commencé depuis belle lurette.
Si le sujet t’intéresse, un excellent documentaire de la BBC a été consacré à la pression de la beauté qui pèse sur les hommes gay, parfois jusqu’à la mise en danger de leur santé. Selon le journaliste qui a enquêté :
« Les hommes gay sont bien plus à risque de développer des insécurités quant à leur corps que les hommes hétéros. »
Les complexes des hommes dans le milieu du cinéma
Dans certains milieux comme celui du cinéma, les pressions à avoir un beau corps sont avérées, comme tu peux le lire dans cet article de Mymy sur les complexes de Sam Claflin, qui incarne entre autres le personnage de Finnick dans Hunger Games.
L’acteur déclarait au Sydney Morning Herald :
« À chaque fois que j’envisage un rôle, je complexe — surtout si ça me demande d’enlever mon haut — et je deviens nerveux.
Je me prends la tête au point de passer des heures à la salle, des semaines sans manger pour atteindre ce que j’imagine que l’équipe désire. »
Les complexes physiques, l’affaire de tous les hommes
Mais les complexes ne sont pas réservés aux hommes gays ou aux stars d’Hollywood.
En discutant avec un ami hétéro des injonctions qui pèsent sur les meufs (poils, maquillage, minceur etc), celui-ci m’a parlé de son propre rapport aux injonctions physiques.
Il m’a dit qu’il se faisait appeler « la frite » dans sa jeunesse parce qu’il était fin et qu’il avait eu sa puberté tard, qu’il plaisait pas aux filles, qu’il avait pendant longtemps été bourré de complexes.
Voulant en savoir plus sur les complexes des mecs, j’ai lancé un appel à témoignages.
Voici celui d’Hugo, 26 ans, complexé en majeure partie par sa perte de cheveux et la taille de son sexe :
« Oui j’ai des complexes physique : je perds mes cheveux, j’ai une bite plus petite que la moyenne. Ce sont, je pense, les complexes que l’on retrouvera chez le plus d’hommes.
Pour le deuxième, on va pas se le cacher, la plupart des pénis qu’un homme hétéro a vu ou verra dans sa vie sont issus de films pornographiques. Je pense que ces visions jouent beaucoup dans l’inconscient collectif et créent une pression dans l’esprit de certains.
C’est inscrit dans l’imaginaire collectif (merci le porno) que grosse queue = satisfaction de la femme. Et même si j’ai entendu beaucoup de femmes me dire le contraire, je ne peux pas m’empêcher d’être persuadé que la taille a bel et bien une importance et que, à performance égale, un sexe plus gros apporte plus de plaisir.
Et je pense qu’au fond de moi, quelque chose me fera me sentir en quelque sorte inférieur à un autre homme s’il a un plus gros pénis.
Pour les cheveux, vu que c’est quelque chose qui ne relève pas de l’intimité et qui est exposé à la vue de tous, on n’a pas d’autre choix que de se confronter au problème et d’essayer de l’accepter.
Après tout, on peut toujours être beau gosse même avec quelques cheveux en moins n’est-ce pas ? Jude Law m’a bien aidé à me réconcilier avec moi-même lorsque pendant ces deux dernières années je recherchais sur Google « coiffure homme calvitie » ! »
Les complexes revenant le plus souvent dans les autres témoignages que j’ai reçus portaient sur un corps trop fin ou au contraire en surpoids, une perte de cheveux, un sexe trop petit ou un manque de pilosité et de barbe.
Des idéaux de beauté sources de troubles de la santé mentale chez les hommes
Mais à quoi ressemble le corps masculin « parfait » du moment, au juste ?
Selon le magazine GQ, le corps idéal de ces dernières années s’éloigne des montagnes de muscles et de la virilité écrasante à la Arnold Schwarzenegger pour se diriger vers un idéal plus fin, plus sec, mais quand même très musclé, à la Zac Efron dans le reboot d’Alerte à Malibu.
Un idéal qui reste complexant et extrêmement difficile à atteindre, selon le journaliste.
Les idéaux de beauté causent des complexes aux hommes, mais aussi des troubles de la santé mentale.
Une étude retraçant l’état de la recherche actuelle sur les troubles du comportement alimentaire (TCA) chez les hommes rapporte qu’un pourcentage de 2,7% à 13,3% des hommes seraient touchés par des TCA.
Selon un article de la Professeure en psychiatrie américaine Katharine A. Phillips paru dans le New York Times, près de 8 millions d’hommes américains, soit plus d’1 sur 50, souffriraient de dysmorphie corporelle.
Ce trouble de la santé mentale se traduit par une préoccupation imaginaire ou démesurée d’un défaut physique qui pousse certaines personnes à se trouver laides, voire monstrueuses.
Les complexes des hommes, un tabou ?
Mais alors, pourquoi entend-on aussi peu parler des complexes masculins et des TCA chez les hommes ?
Selon l’étude sur les TCA citée précédemment, l’existence de ces troubles a souvent été occultée par leur prévalence importante chez les femmes.
Un article du New York Times permet de dégager une autre piste d’explication.
La pédiatre Cara Natterson y explique que les standards de beauté pèsent aussi les garçons, mais que ces derniers ont tendance à rester silencieux à ce propos à cause de difficultés à parler de leurs émotions.
Un phénomène qui s’explique par une éducation souvent genrée, qui laisse les filles extérioriser leurs souffrances mais apprend aux garçons à être « forts ».
Bref, le rapport des hommes à leurs corps et à leurs complexes = un sujet plutôt tabou.
J’ai pu m’en rendre compte lors de mon appel à témoignages : si j’ai reçu un certain nombre de récits factuels d’hommes sur la nature de leurs complexes, peu se sont épanchés sur leurs ressentis.
Quand j’ai demandé à ma sœur et à des amis de relayer mon appel, je me suis aussi heurtée à une réaction qui en dit long :
« Oula ! Si tu veux, mais ça dépend à quels potes ! Y en a plein qui voudront jamais répondre. »
Je me suis alors demandée si parler à cœur ouvert de ses complexes pour un mec, c’était avouer une faiblesse, une vulnérabilité, et ainsi déroger à des impératifs de virilité.
J’ai posé la question aux quelque-uns m’ayant envoyé leur témoignage.
Pour Hugo :
« Je peux parler de tout ça en rigolant mais ça reste des sujets sensibles, et si on appuie trop dessus, surtout pendant certains moments de faiblesse, ça peut faire craquer. »
Pierre estime avoir eu la chance d’être encouragé à dialoguer et à exprimer ses émotions au sein de sa famille, mais avoue que la société lui renvoyait un autre son de cloche :
« D’un point de vue « culturel », par les films ou les séries par exemple, les personnages hommes que l’on admire représentent souvent un idéal de force dans lequel les doutes et les faiblesses n’ont pas trop leur place.
Or dans la période de la vie où on cherche qui on est vraiment, on a souvent tendance à imiter ces personnages et à se demander « qu’est-ce que dirait [insérer nom de personnage viril et velu] dans cette situation ? », voire « qu’est ce-qu’il penserait? », avec souvent des résultats pas très fins…
C’est donc difficile de parler de mes complexes physiques à cause de ça, et aussi car j’ai vite l’impression de me plaindre pour quelque chose de « pas si grave », « réversible avec un peu d’effort » ou de passer pour un kéké ou un mec « look at me now » qui n’a pas réellement de problèmes et s’en invente pour se faire mousser en mode « moa ossi je souffre ».
J’ai d’ailleurs failli ne pas envoyer ce mail à cause de ça. Pourtant ça reste un bruit de fond dans ma vie. »
Antoine, quant à lui, me confie qu’il n’a aucune difficulté à en parler à ses potes filles, mais que c’est beaucoup plus compliqué avec ses potes garçons :
« J’aurais peur qu’ils se moquent de moi.
A part la calvitie, on en parle facilement parce que je pense qu’on voit ça comme un complexe « normal » pour un homme, alors que mon autre complexe qui est de ne pas aimer ma peau du cou qui pendouille…
Les uniques fois où je l’ai évoqué, ça a fait rire. »
Des hommes commencent à prendre la parole sur leurs complexes
La bonne nouvelle, c’est que des hommes commencent à prendre la parole pour livrer leurs témoignages et entamer une réflexion autour des injonctions qui pèsent sur eux.
Leurs voix s’élèvent notamment par le biais des réseaux sociaux, où des comptes promouvant des masculinités plus positives émergent.
C’est le cas du compte @tubandes qui, via des témoignages d’hommes, parle de sexualité, de stéréotypes et d’injonctions masculines.
Sur ce post, un homme témoigne de son complexe lié à sa taille, qui a posé problème dans sa relation avec certaines femmes :
Le compte @lesgarconsparlent poste également de nombreux témoignages d’hommes pour promouvoir une « masculinité plus authentique ».
Comme celui-ci, dans lequel un homme évoque son complexe d’être, au contraire, trop grand :
Il y a aussi le compte @myjojo, une marque de sous-vêtements masculins inclusive et bodypositive qui donne de la visibilité à tous les types de corps. Tu peux retrouver l’interview de son fondateur en cliquant ici.
« Ton poids peut varier. Ta valeur, non. »
L’émergence de ces comptes me réjouit tout particulièrement.
De nombreux comptes féministes ont en effet fleuri ces dernières années, mais je ne voyais pas de mouvement de la part des hommes pour aller vers une masculinité plus positive et combattre les injonctions qui pèsent sur eux.
J’ai aussi trop souvent vu des hommes prendre la parole sur le sujet pour mettre en doute la parole des femmes dénonçant le sexisme. Du style :
« Arrêtez de vous plaindre parce que nous aussi on souffre ! »
Ou bien :
« Nous aussi on souffre (et c’est à cause de vous les femmes). »
Je caricature un peu, mais si maintenant, mecs comme meufs, on s’alliait pour déconstruire les schémas et les stéréotypes qui nous pourrissent la vie, qui finalement ont le même coupable (genre, le patriarcat), et qu’on essayait d’envoyer valser nos complexes ?
Et si le sujet des masculinités t’intéresse, je t’invite à aller consulter de toute urgence le super podcast The Boys Club de Mymy !
À lire aussi : Les nudes et le rapport au corps, côté mecs : témoignages
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Oui, de nombreuses injonctions pèsent sur les hommes sur ce que doit être leur supposée virilité, ce qui inclut leur apparence physique.
Et oui, bien sûr, ils en souffrent évidemment mais chut, prière de ne pas en parler !
En premier lieu, parce que cela ne serait - prétendument - pas viril, justement..
En second lieu, parce que les sujets sur la souffrance masculine sont perçue avec méfiance par certaines femmes, certaines féministes. D'autant que des mecs bas du plafond alimentent cette méfiance en prétendant à leur tour faire taire les femmes, comme le rappelle @Faustine M.
Pourtant, personne ne gagne à ce silence.
Les impératifs rigides de masculinité, notamment autour de l'aspect physique, sont indissociables de ceux qui pèsent sur les femmes.
Deux faces d'une même médaille : le carcan des stéréotypes sexistes.
Que la parole se libère ! Toutes les paroles !