Depuis 2017 et l’explosion du nombre de témoignages de la part de femmes œuvrant dans les industries culturelles avec les mouvements #Metoo et #balancetonporc, la culture a pris un tournant sans précédent dans sa manière de produire et penser ses créations.
La question du bien-être au travail, la prise au sérieux des plaintes, la déconstruction des comportements toxiques et stéréotypes liés au genre induisent une remise en question profonde de l’industrie cinématographique depuis cinq ans. Le long-métrage Sans frapper en est le parfait exemple.
Retrouvez la bande-annonce de Sans frapper d’Alexe Poukine
Le point de départ du scénario est simple, Ada a subi trois agressions l’année de ses 19 ans, par un garçon qu’elle connaissait. Elle ne sait pas comment qualifier cet acte sexuel dans les premiers temps, car cela ne ressemble pas à l’image qu’elle se faisait du viol. Cela en dit long sur la culture du viol ambiante.
L’image de l’agresseur doit être déconstruite
Cette histoire n’est pas fictive, elle arrive littéralement à Ada qui l’a confiée à la réalisatrice de Sans frapper. Depuis 2013, Alexe Poukine enregistre Ada, qui a mis des années à mettre des mots sur cette expérience.
Elle lui raconte les détails de cette expérience traumatisante et lui explique comment elle est retournée à plusieurs reprises vers ce garçon, qui sortait avec sa meilleure amie. Comment la honte s’est emparée d’elle après leur première fois ensemble, et pourquoi elle ne s’est pas rendue compte que les relations sexuelles qu’elle a eu avec cet homme n’étaient pas consenties.
Au-delà de la notion de violences sexuelles, Sans frapper questionne notre image du violeur :
« Nos sociétés construisent une représentation du violeur comme une sorte de monstre, un sadique, un pervers, peut-être même un débile mental… Ce n’est absolument pas le cas. J’ai rencontré plusieurs auteurs de viol pour le film, des gens parfois « adorables », qui pourraient être mes meilleurs amis ! »
Alexe Poukine
Cela explique pourquoi les victimes de violences sexuelles ont tant de mal à faire entendre leur voix et à être prises au sérieux… Si l’agresseur ne ressemble pas à l’image stéréotypée qui est véhiculé de lui, la faute est régulièrement rejetée sur la vraie victime, forcément une menteuse revancharde ou sadique qui l’aurait bien cherché…
Ce qui met en avant une seconde notion capitale dans la compréhension des victimes : l’empathie.
La compréhension des victimes passe par la création d’empathie chez les spectateurs
Parce que l’empathie que l’on ressent pour quelqu’un est plus souvent liée à sa personnalité qu’aux faits vécus et racontés par cette personne, j’ai tenu à ce que certains passages soient joués par différents interprètes. Ainsi, je voulais que le
Alexe Poukine
spectateur s’interroge sur ses mécanismes d’identification.
Dans Sans frapper l’histoire d’Ada est jouée et interprétée par des femmes et des hommes acteurs ou non. Chacun commence par questionner le comportement d’Ada de retourner vers le garçon qu’elle connaissait, et nous fait douter en tant que spectateur sur la gravité des faits…
Le mot « viol » n’est utilisé que très tard dans la narration, et à raison. La réalisatrice veut que le spectateur se rende compte par lui-même de l’importance des actes et prête attention à la notion de consentement.
Une fois cette notion instaurée, Alexe Poukine joue sur l’identification, elle demande même à ce que les mêmes mots soient racontés par deux personnes différentes à un intervalle très proche. L’expérience est significative, l’empathie se crée davantage pour l’une des deux personnes ,et le pire c’est qu’il devient du coup difficile de remarquer qu’il s’agit du même récit.
Raconter la reconstruction après une agression
Par la suite, d’autres récits se mêlent à l’histoire d’Ada, qui montre que cette histoire n’a tristement rien d’exceptionnelle et qu’elle est au contraire plutôt répandue… Puis les victimes abordent les différentes étapes de leur lente reconstruction, qui pour certains n’aboutira peut-être jamais, et qui devront apprendre à vivre avec.
Puis vient les conséquences de la déclaration d’un viol. La remise en cause de la part de leur entourage voire l’isolement des victimes…
Ce film est trois fois un documentaire : sur Ada, sur les 14 personnes qui révèlent une partie de leur histoire et sur la façon dont on peut se mettre, ou pas à la place de quelqu’un.
Alexe Poukine
Sans frapper est une suite de témoignages qui nous met face au fait que la culture du viol n’est pas une lubie féministe, et que même les agresseurs n’ont pas conscience de perpétrer des actes qui détruisent la vie de leurs victimes.
Salué et diffusé par différents festivals à travers le monde Sans frapper remplit entièrement la volonté de la réalisatrice d’en faire un film documentaire pédagogique. Des récits que vous pourrez découvrir en salle ce mercredi 9 mars.
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