Peut-on résumer 50 ans de carrière photographiques en 140 clichés ? C’est l’impossible mission que s’est donnée la chargée de la collection photographique du Palais Galliera avec l’artiste Paolo Roversi. Ce grand photographe de mode né en 1947 à Ravenne s’est installé à Paris en 1973 et a commencé à travailler pour les plus grands médias, les designers les plus singuliers, et avec les modèles les plus doués. « C’est comme être peinte par la lumière », décrit la mannequin Guinevere van Seenus, croisée lors du vernissage presse de l’exposition débutée le 16 mars 2024, quand on lui demande ce que ça fait de poser pour cette légende vivante de la mode.
Parmi ces techniques signature compte l’usage de Polaroïd, l’éclairage à la lampe torche, ou encore les manipulations de négatifs pour créer des images toujours plus vibrantes, pour ne pas dire vivantes. Mais quand on demande à l’artiste de 76 ans de décrire son travail, il préfère botter en touche, mais résume quand même son processus créatif par quelques aphorismes :
« Je n’aime pas analyser mon travail. Tout ce que je peux dire, c’est que mon monde, c’est le studio, et le modèle en devient le centre le temps de la prise de vue. Les designers sont des compositeurs dont j’interprète la partition, avec mon appareil photo comme violon. La lumière, ce n’est pas quelque qui s’apprend, c’est quelque chose qu’on ressent. »
Si Paolo Roversi préfère laisser ses images parler pour lui, Madmoizelle a tout de même posé quelques questions à la commissaire de l’exposition, Sylvie Lécallier, également chargée de la collection photographique du Palais Galliera, pour tenter d’en apprendre davantage sur cet alchimiste de l’image.
Interview de Sylvie Lécallier, commissaire de l’exposition Paolo Roversi au Palais Galliera
Madmoizelle. Comment est née cette exposition ?
Sylvie Lécallier. Paolo Roversi est un photographe que je connais depuis très longtemps. J’étais sensible au fait qu’il n’y avait jamais eu d’exposition d’envergure à Paris pour montrer son travail. J’avais envie de réparer cette injustice. Et c’était tout à fait la place du Palais Galliera, musée de la mode de la ville de Paris, de le faire. Fin 2017, j’ai croisé Paolo Roversi à Paris Photo et j’en ai profité pour lui parler d’une éventuelle exposition. Il a tout de suite accepté. Entre-temps, la pandémie est passée par là, et ç’a un peu ralenti les choses. C’est donc une exposition qui s’est construite sur le temps long, en écho à sa manière de travailler, finalement.
Quelle place occupe Paolo Roversi dans la photographie de mode et dans l’histoire de la mode plus globalement selon vous ?
Une place centrale, car c’est un photographe qui a développé un travail, une œuvre finalement assez hors du temps. On associe souvent les photographes de mode à des décennies, à des périodes déterminées, parce qu’ils manquent souvent une époque circonscrite. Mais on ne peut pas dater les photos de Paolo Roversi, car il s’en dégage quelque chose d’intemporel. On peut éventuellement reconnaître un vêtement Comme des Garçons qui peut donner un indice sur l’année de la photo, mais c’est assez rare. C’est tout le paradoxe de Paolo Roversi : même à travers des commandes, il a su développer une œuvre qui se détache de la vitesse de la mode, toujours en flux tendu.
D’ailleurs, il n’y a pas de cartel dans l’exposition : est-ce pour mieux brouiller les repères temporels ?
Effectivement, il n’y a pas de cartel, et on a volontairement évité de proposer un parcours d’exposition chronologique. C’est notamment pour permettre une meilleure immersion dans les photographies. Mais on distribue évidemment un livret à l’entrée de l’exposition avec toutes les informations sur les photos (les mannequins, ce qu’elles portent, les années, etc). Mais on peut, si on le souhaite, ne pas consulter ces informations, car les photos sont immédiatement accessibles, même si on n’est pas fan de mode. Il s’en dégage beaucoup de beauté, de sensibilité. Ces images n’ont pas besoin de la renommée des mannequins ou des designers pour qu’on puisse les trouver intéressantes, tout en étant des photos de mode. Il ne considère pas l’étiquette de « photographe de mode » comme étant quelque chose de négatif, son travail montre bien que cela peut être de l’art.
C’est la première exposition du Palais Galliera sur un·e photographe de mode encore vivant·e : pourquoi Paolo Roversi et pourquoi maintenant ?
Ça fait quelques années maintenant que je suis à la tête du département photo du musée Galliera que j’ai essayé de développer une politique d’acquisition de photographes contemporains qui nous manquait un peu. Paolo Roversi fait partie des photographes majeurs de la mode, donc c’était un choix assez évident, a fortiori parce qu’il a fait carrière à Paris. Il est là, avec son studio, où il stocke toutes ses archives. C’est important de proposer des expositions du vivant des artistes, plutôt que d’attendre l’après, le trop tard. Profitons que les artistes soient encore là pour nous raconter leurs histoire. Si Paolo Roversi n’était plus de ce monde, l’exposition aurait été totalement différente. Là, on l’a vraiment faite ensemble, en collaboration, lui à la direction artistique, et moi au commissariat.
En quoi cette exposition souligne aussi la façon dont Paolo Roversi joue avec la dimension plastique du travail photographique ?
Oui, aujourd’hui, on fait beaucoup de photo numérique, mais cette exposition permet de rappeler aux gens, aux jeunes en particulier, cette dimension artisanale, manuelle, plastique que peut aussi avoir la photographie. Cela crée des résultats uniques, des images saisissantes qui sortent du flux des écrans. Aujourd’hui, on assiste à une telle profusion d’images qui se ressemblent, on peut saturer, on ne prend plus forcément le temps de les regarder. Cette exposition est une invitation à prendre le temps de contempler.
Et puisque Paolo Roversi a conservé toutes ses archives, comment fait-on pour choisir les 140 photos exposées actuellement au Palais Galliera ?
Même dans les photos qu’il a pu considérer comme ratées un jour, il peut les trouver magnifiques plus tard. Bien sûr, on a aussi choisi des photos iconiques, incontournables de sa carrière, qui s’imposent avec évidence pour cette exposition. On a également sélectionné des Polaroïd originaux, donc un tout petit format qui contraste bien avec les grands tirages du reste de l’expo. Tantôt, on a besoin de s’approcher pour bien voir, tantôt des images peuvent nous saisir de très loin : ces changements d’échelle rythment visuellement l’exposition. Tout ce travail de sélection s’est fait en épurant, en éliminant, en cherchant à aller à l’essentiel. Comme le veut le travail photographique de Paolo Roversi.
Puisqu’on est au Palais Galliera et que certains des vêtements photographiés par Paolo Roversi dorment peut-être aussi dans vos archives, on aurait pu s’attendre à des mises en regard des clichés et des pièces en question. L’avez-vous envisagé ?
On l’a envisagé, oui, mais on a préféré se concentrer sur les images. Le cœur de l’exposition, c’est la photographie, c’est Paolo Roversi. On ne voulait pas proposer cet aller-retour « je regarde le vêtement, je regarde la photographie » qu’on fait parfois dans nos expositions par ailleurs, et c’est un exercice très intéressant. Mais on voulait pour cette fois laisser parler les images.
Exposition « Paolo Roversi » du 16 mars au 14 juillet 2024 au Palais Galliera, musée de la mode de la ville de Paris (10, Avenue Pierre Ier de Serbie, Paris 16e).
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